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2017 : les gauches ont déjà perdu

2017 : les gauches ont déjà perdu

Jamais dans son histoire, la gauche n’a abordé une présidentielle avec aussi peu de chance de la gagner. Ce serait même un miracle si elle échappait, au printemps 2017, au désastre qui lui semble promis. C’est son statut de force politique d’alternance qui est désormais menacé dans un système bientôt dominé par la rivalité principale de la droite républicaine et de l’extrême droite populiste.

La gauche – celle qui entend gouverner – a pu rêver un temps que la primaire de la droite républicaine soit un pugilat tel que son unité en sorte en lambeaux. Or pour le moment, cet exercice démocratique demeure à peu près maitrisé et le candidat qui tient la corde – Alain Juppé en l’occurrence – est aussi celui qui dispose d’une force d’attraction jusqu’à présent suffisante pour faire bouger les lignes dans un paysage politique en pleine recomposition. D’où sa domination dans les sondages.

En terme d’intentions de vote, le maire de Bordeaux devance Marine Le Pen d’une courte tête et distance de quinze points environ les différents prétendants de la gauche. Même en pariant sur ses prétendues fragilités dans une campagne au long cours, il faut être diablement imaginatif pour croire qu’une fois désigné par son parti, il puisse chuter à ce point que sa qualification pour le second tour de la prochaine présidentielle soit demain compromise.

L’autre espoir de la gauche était que la menace frontiste ou même simplement sarkozyste suscite dans son électorat en réflexe unitaire obligeant ses candidats potentiels ou déclarés à imaginer un dispositif d’alliance qui la rassemble plutôt que de la diviser. Tout cela est aujourd’hui à l’eau. La primaire dite de «la Belle Alliance» ne sera, en janvier prochain, que celle du PS et de ses tous petits satellites. Il est douteux qu’elle puisse attirer les foules. Elle ne concernera surtout qu’un morceau de la gauche puisque ni Jean-Luc Mélenchon, ni Emmanuel Macron, ni le candidat écolo n’ont la moindre intention d’y participer à quelque titre que ce soit.

La gauche cumule les handicaps. Elle pèse aujourd’hui environ 35% du corps électoral. Elle a parfois fait pire mais ce niveau reste celui de ses anciennes défaites. Elle est fragmentée par des courants rivaux qui ne se parlent plus et vivent dans l’espoir de se liquider les uns les autres tant ils sont devenus «irréconciliables». Enfin – et c’est sans doute le principal – aucun de ses courants ne bénéficie aujourd’hui d’une dynamique suffisante pour imposer une forme de domination dans son camp.

Dans les sondages, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron font à peu près jeu égal. Tous les trois naviguent entre 10 et 15% au premier tour. C’est cette égalité dans la médiocrité qui les rend durablement impuissants. Au cours de la Cinquième République, la gauche a été éliminée à deux reprises du tour décisif de la présidentielle. Faut-il toutefois rappeler qu’en 1969, le communiste Jacques Duclos (21%) distançait largement le socialiste Gaston Defferre (5%) et que le 21 avril 2002, il y avait dix points d’écart entre Lionel Jospin et Noël Mamère, alors premier de ses poursuivants. Sur de telles bases, la gauche avait pourtant mordu la poussière. Comment croire qu’il puisse en être autrement, en 2017, si aucun de ces prétendus champions ne parvient à imposer rapidement une forme de leadership, ne serait-ce que dans son propre camp ?

François Hollande se dit «prêt». Dans son interview à l’Obs, il prononce la mot «gauche» à vingt-cinq reprises. Cela résume son propos, sa stratégie et son ambition. Il vient d’entrer en lice de la pire des manières en l’assortissant de nouvelles confidences livresques qui relèvent toutes de la faute professionnelle. En dépit des commentaires assassins, y compris dans le cercle de ses derniers soutiens, qu’ont suscité ses improvisations absurdes (car inutiles), le Président sortant reste pourtant le candidat naturel de son parti. Et cela pour le simple raison que l’appareil du PS n’en a pas d’autres qui lui assure la moindre chance de survie.

Tout autre candidature que celle François Hollande provoquerait l’éclatement d’un parti dont le dernier trésor est un semblant d’unité, au bord du gouffre. Le Président est tellement faible, tellement promis à l’humiliation d’une défaire cuisante qu’il en est presque devenu pratique. C’est un non choix qui au fond arrange tous ceux qui craignent la clarification. En bonne logique, François Hollande devrait d’ailleurs être le seul à craindre de se représenter. Les autres, ceux qui, bon gré mal gré, finiront par le pousser en avant, peuvent déjà se préparer à expliquer, au lendemain du désastre, qu’il en a été le seul et unique responsable à force de trahisons et d’obstinations coupables.

Le choix de Manuel Valls ou d’Arnaud Montebourg, outre qu’il n’est pas guère plus performant, provoquerait en effet dans les rangs socialistes une dispersion qui ne ferait qu’ajouter la confusion à la crise et compliquerait d’autant plus, au lendemain de la présidentielle, les procès qui se profilent à l’horizon. Vu du PS et des intérêts bien compris de son réseau d’élus, un non-choix restera toujours préférable à un non-sens.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer Martine Aubry, incarnation parfaite du socialisme de la résignation. Tant que la maire de Lille continuera à se taire et donc à soutenir de facto la candidature de François Hollande, ce dernier pourra poursuivre son chemin de croix jusqu’au bout. Aux dernières nouvelles, rien n’indique qu’elle ait l’intention de changer de stratégie et de se mettre ainsi en situation soit d’y aller elle-même, soit de devoir choisir entre trois supplétifs – Manuel Valls, Arnaud Montebourg ou Emmanuel Macron – qu’elle déteste avec une égale férocité pour des raisons qui, pour une fois, sont également de fond.

Tout cela complique singulièrement les ambitions d’Emmanuel Macron. En claquant la porte du gouvernement, l’ancien ministre de l’Economie a pris son risque. S’il a franchi le Rubicon, ce n’est pas pour y pêcher à la ligne mais pour marcher sur Rome. Sa démission n’a de sens que si elle le conduit à être demain candidat avec l’espoir réaliste d’être élu Président dès 2017. On ne voit pas bien en effet quel serait son intérêt, à son âge, de s’exposer ainsi pour finalement renoncer ou devenir l’acteur d’une bataille perdue d’avance.

Pour parvenir à ses fins, Emmanuel Macron a peut-être imaginé pouvoir susciter dans une opinion avide de renouvellement, un de ces élans qui font bouger les lignes au point de les briser. On en est loin. N’est pas Ségolène Royal qui veut ! L’ancien ministre de l’Économie a su imposer sa marque dans le paysage politique. Il a conquis une part de marché non négligeable. Mais il ne l’a pas bousculé suffisamment pour que son offre désormais qualifiée de «progressiste» vienne mettre en rancart l’ancien système.

La meilleure preuve de cette résistance à la nouveauté est la promotion, à droite, de la candidature d’Alain Juppé et à gauche, vaille que vaille, de celle de François Hollande. Or le pari d’Emmanuel Macron était que le maire de Bordeaux ne résisterait pas aux coups de boutoir de Nicolas Sarkozy – ce qui lui aurait ouvert un espace au centre – et que le Président sortant finirait par jeter l’éponge, ce qui lui aurait dégagé un espace au sein du socialisme réformiste. Sauf que tout se passe pour l’instant comme si cette double stratégie d’empêchement, pour des raisons très différentes, venait se heurter au mur de la réalité politique.

Pour le dire autrement, Emmanuel Macron est en train de devenir une force qui, sur ses propres critères, ne sert pas à grand-chose si l’objectif reste de renverser la table et non de prendre date pour la suite. On attendait une razzia. Voilà qu’on découvre une offensive de trotte-menu, ultra prudente sur le plan programmatique, à peine rehaussée de quelques percées conceptuelles formulées de longue date et provocations ponctuelles à l’égard d’Alain Juppé, lors du meeting de Strasbourg, et de François Hollande, dans son interview à Challenges.

Emmanuel Macron gagne du temps. Il amuse la galerie et les médias par la même occasion. C’est de bonne guerre dès lors qu’on considère, comme disait Retz, qu’«en politique, comme en amour, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens». N’empêche qu’au vu de l’équation prévisible de la prochaine présidentielle, il n’est pas sûr qu’en gardant ses cartes aussi longtemps cachées, il ne fasse pas d’abord la démonstration que sa main est moins forte qu’il ne le prétendait.

Emmanuel Macron vient de confier qu’il n’annoncerait sa décision d’être ou non candidat qu’en décembre ou janvier. N’est-ce pas la preuve que pour faire le pas décisif, il est contraint d’attendre pour voir qui sera le champion du PS ? Hier, il bluffait. Aujourd’hui, il joue en contre. Dans un cas comme dans l’autre, il reste plus Brutus que Jupiter. Le mouvement qu’il voulait susciter, il l’attend désormais des autres. Sur le papier, il peut encore rêver mais plus le temps passe et plus l’offre qui s’installe à gauche le met en situation de n’être dans son camp, en compagnie sans doute de François Hollande et Jean-Luc Mélenchon, que l’un des trois prétendants, tous promis au triste sort de rester à quai au soir du premier tour de la présidentielle.

De ces trois prétendants, le leader des Insoumis est celui que cette perspective inquiète le moins. Et pour cause ! Il n’est pas candidat pour gagner ou perdre le moins mal possible mais pour remettre la gauche à l’endroit. S’il a un seul brin de lucidité – ce qui est ici l’hypothèse – Jean-Luc Mélenchon ne peut pas imaginer un seul instant pouvoir être le prochain Président. Mais plus encore qu’en 2012, il nourrit l’espoir, crédible au demeurant, d’être l’artisan d’une recomposition, qu’il a toujours conditionnée à la liquidation du PS.

Il considère en effet que ce dernier est devenu l’obstacle majeur au renouveau d’une gauche digne de ce nom : 2017 est l’occasion de le faire éclater en le privant de son statut de force de gouvernement, pourvoyeur unique de candidats crédibles à la présidentielle. En changeant le rapport de force à gauche, Jean-Luc Mélenchon entend opérer une remise à plat, aux effets différés. Il est le seul candidat, dans son camp qui ait une stratégie clairement établie qui aille au-delà du 1er tour de la prochaine présidentielle. Les autres naviguent à vue avec l’unique espoir de sauver leur peau. Lui a les moyens de voir plus loin. À la seule condition de pouvoir entrer dans la partie.

C’est là tout le paradoxe de cette aventure qui, pour le moment, se déroule au détail près, telle que l’avait imaginé son promoteur. Jean-Luc Mélenchon a eu l’intelligence tactique de sortir, quand il en était encore temps, du magma politicien de la petite gauche. Plutôt que de négocier avec des débris de micro-appareils, il a su adosser sa candidature à un mouvement d’opinion qui n’a sans doute rien de vraiment novateur mais qui a au moins le mérite de renvoyer à des traditions longtemps laissées en jachère. Ce faisant, il a imposé, au vrai sens du terme, une offre à la fois différente et cohérente qui se satisfait volontiers de la concurrence tant de François Hollande que d’Emmanuel Macron, ces deux visages d’une fausse gauche enfin démasquée.

Mais en prenant ce risque calculé, il a aussi pris celui de l’isolement lorsqu’il lui faudra franchir l’étape indispensable de la réunion des 500 parrainages d’élus sans lesquels une candidature à la présidentielle demeure un projet virtuel. Jean-Luc Mélenchon assure en avoir réuni pour l’instant plus de la moitié ce qui fait sourire les responsables de Fabien. Il accuse au passage le PS de lui mettre des bâtons dans les roues. Ce qui, au fond, n’est guère étonnant étant donné l’objectif homicide qu’il affiche à son égard.

Reste que la principale résistance à sa candidature est surtout le fait de son ex-partenaire communiste. Tant que le PC n’aura pas obtenu satisfaction sur des dispositif d’alliance à géométrie variable pour les législatives de juin 2017, il est douteux qu’il laisse ses élus parrainer un candidat à la présidentielle aussi intransigeant vis-à-vis de tous ceux qui lui permettent de survivre dans les urnes.

Si mouvement il doit y avoir, durant les prochains moins, dans l’offre de la gauche pour la prochaine présidentielle, c’est donc du côté où on l’attendait le moins qu’il faut sans doute l’attendre. Résumons-nous.

François Hollande veut être candidat coûte que coûte. Il en a encore les moyens, même s’il n’est plus loin du seuil de rupture. Ses amis les soutiennent comme la corde le pendu. Son intérêt personnel serait de se retirer. Il ne le fera pas.

Emmanuel Macron veut être candidat pour gagner. Il en a de moins en moins les moyens. Son intérêt personnel serait de négocier son retrait en bon ordre avec contrepartie à la clé. Mais il ne peut le faire sans décevoir ceux qui le portent, sans hérisser ceux qui le combattent et sans faire rire ceux qui l’observent. La logique veut donc qu’il aille jusqu’au bout même si cela doit le conduire droit dans un mur.

Jean-Luc Mélenchon veut être candidat. Il a la stratégie de son ambition. Il joue une partie qui n’est pas celle du scrutin où il compte de présenter. C’est là précisément sa force. Mais comme les écolos qui eux comptent pour du beurre, il peut être empêché.

Cette incertitude est, a priori, la seule qui demeure. Qu’est-ce que ça change ? Si la question est de savoir quelles chances a encore la gauche d’échapper au désastre, au fond, pas grand-chose. Et c’est bien là le problème. Grand désastre ou petit désastre, quelle importance d’ailleurs ? Comme on dit aux échecs, au mieux, la gauche est pat.

La première version de cet article a été publiée le 17 octobre 2016 sur Challenges.fr