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Arthrose élyséenne

Arthrose élyséenne

La communication de Macron semble se dérégler. Pourquoi ?

Macron des origines a-t-il été aussi rare que vous le dites ? J’en doute. Il parlait peu aux journalistes mais il s’adressait aux Français par l’image et cela à haute dose. Or l’image s’use aussi vite que la parole quand on la galvaude à ce point. Vous parlez par ailleurs de dérèglement. Mais est-ce le dérèglement d’une communication ou celle d’une politique ? Je crois pour ma part que les deux avancent, comme d’habitude, de concert. Un an après son élection, Macron est dans une phase où il ne suffit plus de se comparer avec ses prédécesseurs. C’est l’efficacité de ce que l’on fait qui construit désormais le jugement de l’opinion. En termes de communication, on passe ainsi d’une politique de l’offre à une politique d’accompagnement et de réaction. Rester Jupiter en devenant gestionnaire, demeurer un héros tout en pratiquant l’art de la réforme ou plutôt de la normalisation n’est pas une mince affaire. Macron découvre, ce faisant, que l’exercice du pouvoir est facteur d’arthrose. Le nouveau monde est comme l’ancien, hélas : chaque jour qui passe le rend un peu moins souple.

Du Mont Valérien à la Fête de la musique, le « en même temps » présidentiel ne trouve-t-il pas ses limites ?

Un Président peut se payer un gamin insolent. Les uns s’indignent, les autres pas et au fond, peu importe pourvu que la com’ qui va avec soit clairement assumée. Un Président peut transformer, un soir, l’Elysée en annexe du Queen. Les uns applaudissent, les autres non et là encore, peu importe. Mais faire les deux à quelques jours de distance, c’est assez dingue car alors le message adressé aux Français change complétement de nature. Ce que Macron leur dit alors, c’est qu’il est inaccessible à l’idée de contradiction. Je fais ce que je veux, je dis ce que je veux. Appelez ça comme vous voulez : caprice des dieux ou gouvernement du bon plaisir.

Macron se regarde-t-il faire ?

La toile est facilement inflammable, on le sait tous. Mais ces micro-polémiques sont devenues aussi des brèves de comptoir et c’est plus embêtant. Elles prennent parce que Macron impressionne moins. Elles prennent aussi car, mises bout à bout, elles font système et décrivent un Président lointain, sans affect, j’allais dire étranger. Elles prennent enfin car elles reposent, comme on vient de le dire, sur la contradiction. Le même qui se vantait de payer sa taxe d’habitation à l’Elysée, n’imagine pas pouvoir louer une piscine à ses frais, à Brégançon. L’étonnant, c’est qu’il s’étonne de n’être pas compris.

L’image du « président des riches » est-elle désormais installée ?

Oui et les sondages le montrent à l’envie. Derrière l’expression « Président des riches », il y a, je pense, quelque chose, de désormais construit, dans l’opinion et que paradoxalement, Macron a volontairement installé même s’il n’avait sans doute pas mesuré où cela pouvait le conduit à terme. Il est d’abord et avant tout, le Président des puissants. Puissance lui-même – et Dieu sait s’il en est fier – il est en train de se laisser enfermer dans l’entre-soi d’un élitisme qui, aux yeux des Français, n’est pas une promesse mais une forme d’arrogance un peu provocatrice. Ce Président aime provoquer. C’est là un jeu qui peut être dangereux quand on oublie à ce point le sens véritable de la formule de de Gaulle sur « l’homme de caractère » et la « noblesse de son action » : « Sans lui, morne tâche d’esclave, grâce à lui jeu divin du héros ».

Quels sont ses modèles de com’ ?

Macron, c’est Blair 2.0. En ce sens, il est moderne. Il met les nouveaux instruments de communication (Twitter, Facebook…) au service d’une image qui se veut parfaitement contrôlée. Je le trouve moins enfant de Pilhan que d’Alastair Campbell lorsque celui-ci imaginait pouvoir « faire la météo » médiatique par des initiatives incessantes destinées à dicter le commentaire dominant.

Sa com’ doit-elle évoluer ?

Le système mis au point par Macron a un avantage : il est cohérent. Il a aussi un défaut : il est cohérent donc difficilement réformable. Tout entier centré sur un Président omniscient et omniprésent, il est comme une statue dressée en majesté au centre de la place. Cette solitude assumée peut être gage d’efficacité. Si elle ne l’est plus, alors peut venir le temps des vraies ruptures. Pour le dire de manière plus triviale, la voiture Macron a une superbe carrosserie mais elle est privée d’amortisseurs. Un simple nid de poule peut la faire verser dans le fossé. On n’en est pas encore là, me semble-t-il mais Macron a montré qu’avec lui, l’Histoire pouvait accélérer.

Cet entretien a été initialement publié le 3 juillet 2018 dans Le Figaro