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Carnets de route #12

Carnets de route #12

Macron n’a pas changé. C’est sa chance et son problème

Entre «la grande marche» qui fut l’acte fondateur du macronisme de conquête et «le grand débat national» où se joue la survie du macronisme de pouvoir, il y a quelque chose comme un air de famille et c’est précisément ce qui rend ce dernier exercice aussi nécessaire et périlleux à la fois. Il s’inscrit en effet dans un récit dont il brise potentiellement la cohérence. Ce récit, raconté à foison par les bardes du régime, c’est celui d’un homme seul, vite rejoint par une troupe de marcheurs, allant tous au-devant des Français, recueillant leurs doléances, comprenant leurs attentes et devenant du même coup leurs porte-paroles dans une campagne présidentielle victorieuse qui leur a donné toute légitimité pour «transformer» le pays en bousculant les dernières ruines du vieux monde.

Qu’il faille recommencer l’exercice sous une forme comparable, même si cette fois-ci, ses animateurs ont changé, alors que le quinquennat n’est pas vieux de deux ans, donne la mesure du problème. Que s’est-il donc passé pour que le même homme, Emmanuel Macron en l’occurrence, hier réputé si prompt à saisir les aspirations de ses concitoyens, soit aujourd’hui contraint de les leur demander à nouveau afin de calmer leur colère ? Trois hypothèses donc aucune n’est à l’honneur du Président se présentent à l’esprit. Soit «la longue marche» de l’automne 2016 fut une pure supercherie destinée à masquer ce qui n’était qu’un hold-up; soit les marcheurs avaient l’oreille un peu dur ou ont oublié d’écouter ceux dont ils estimaient déjà qu’ils n’étaient «rien»; soit – et c’est le plus probable – la faute, une fois l’élection passée, fut de penser que la victoire, en politique, est un blanc-seing qui n’engage pas à grand-chose si ce n’est à avancer, non comme on l’avait promis, mais comme on l’avait toujours voulu, dans son for intérieur.

Ce sont bien sûr là des aveux qu’Emmanuel Macron ne peut faire sans abandonner sa couronne. Mais l’évidence est également que pour la garder sur sa tête, il lui faut retrouver le fil d’un récit qui, en même temps, sauve son bilan à la tête de l’État et renoue avec l’esprit de sa campagne victorieuse. Pour ne pas verser dans le fossé, en décembre, le Président a été contraint de lâcher bien plus que du lest. Il lui a fallu mettre en scène à la télévision devant 23 millions de téléspectateur la double humiliation d’un renoncement à une la taxe sur le carburant longtemps présentée comme le marqueur vert du quinquennat et d’un chèque sans provision de 10 milliards d’euros ruineux pour la réputation de la France sur la scène européenne. Pour retrouver dans l’opinion un crédit minimum, il lui a ensuite fallu accentuer, à l’heure de vœux, sur le thème de l’ordre, le raidissement d’une ligne gouvernementale désormais orientée à droite toute, loin de l’équilibre affiché des origines lorsque «le progressisme» était sa marque de fabrique. Pour que ces zig-zags, auxquels même son prédécesseur avait échappé à ce point, ne viennent pas ruiner l’essentiel, c’est-à-dire, son image, le voilà lancé désormais dans «un débat» avec les maires dont la véritable nature est d’abord d’être un spectacle.

Le président écoute mais il se bat encore. Il concède parfois – sur le 80km/heure voulue par son Premier ministre ou sur l’organisation territoriale décidée sous Hollande – mais il tient à peu près bon sur la suppression de l’ISF. Bref, quand il recule, c’est sur ce qui n’était pas de sa responsabilité directe. Ses arguments, pour sauver ce qui peut l’être encore, relèvent souvent du jeu de bonneteau. Si la règle est de ne pas toucher ce qui a été voté depuis 2017 et n’a pas encore été évalué, pourquoi se cabrer sur l’ISF et sa suppression alors que les hausses de taxes sur le carburant, fruits d’une loi de finances, ont été passées à la trappe ? Et si c’est l’exercice jupitérien de la fonction présidentielle qui est aujourd’hui contestée, pourquoi flécher le débat sur des mesures constitutionnelles toutes dirigées contre les élus nationaux, à commencer par le Sénat ?

À travers ces quelques exemples, on mesure donc la fonction principale, aux yeux du Président, d’un «grand débat» qui enjambe le début du quinquennat, qui inscrit la crise des gilets jaunes dans une somme de dérèglements venue de loin, diagnostiquée une première fois en 1995 lorsque le candidat Chirac parlait de «fracture sociale» et qui, faute d’avoir été suffisamment soignée s’expriment aujourd’hui avec une force décuplée. Ce faisant, Emmanuel Macron peut essayer de faire croire contre toute évidence que les politiques menées depuis bientôt deux ans n’ont pas accentué les dites-fractures puis, une fois réalisé ce tour de passe-passe, il en vient vite à l’essentiel : non, je n’ai pas changé et c’est même, cette identité préservée qui me met en situation d’affronter, d’ici la fin de mon mandat, les défis qui l’avait justifié quand tout a commencé.

La démonstration ainsi recherchée, porte donc avant tout sur la forme. Elle vise non pas à l’inventaire qui pourrait conduire au changement autrement qu’à la marge mais à la confirmation qui implique la persévérance. D’où ces shows répétés, commentés comme une performance et célébrés comme une manière de renaissance par tous ceux qui, en macronie, s’étaient mis à désespérer au point de d’imaginer que «le chef» n’en soit soudain plus un. Il y a du Lampedusa dans cette affaire («tout changer pour que rien ne bouge») à condition de voir que ce qui, en l’espèce, n’est susceptible d’aucun compromis, ce n’est pas la ligne politique d’Emmanuel Macron mais le pouvoir qu’il a reçu lors de son élection.

Si Jupiter a du plomb dans l’aile, au moins le Président a-t-il encore la tête sur les épaules. Pas de décapitation, donc, et le soulagement que cela inspire à l’Élysée et dans les cercles du pouvoir, donne la mesure du désarroi de ces dernières semaines et, par la même occasion, de l’humiliation vécue par un Président contraint de se claquemurer dans son château après qu’il lui a fallu s’excuser publiquement de son comportement à la tête de l’État. Pour lire le style adopté par Emmanuel Macron lors de ses shows devant les maires, il ne faut pas négliger la dimension psychologique qui, hors de toute stratégie de communication, le conduit, après une phase d’écoute, à reprendre la parole jusqu’à plus soif comme s’il lui fallait compenser au plus vite une phase de sevrage subi.

Pour le Président tel est le risque qui est, une fois encore, de céder à son tempérament au point de menacer l’équilibre de sa stratégie véritable en ayant l’air, devant un public choisi qui n’est pas celui des Français ordinaires, de ne penser qu’à lui, de s’écouter parler, d’être tel qu’il a toujours été : celui qui sait tout, qui a toujours tout compris, qui a réponse à tout, façon énarque de haut vol quand, devant le moindre problème, il estime qu’avec un brin d’intelligence et de subtilité, la solution s’impose à une évidence que seuls les démagogues, les fainéants ou les ignorants peuvent oser contester. Tout cela est dit désormais de manière souriante et la main sur le cœur mais ce qui transparait, autant qu’auparavant, c’est un état d’esprit dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas habité par le doute.

En cela, il est vrai, Emmanuel Macron renoue avec un récit qui est d’abord celui son destin personnel à un moment où il se semblait illisible ou rompu. Que le danger de cette opération soit de répondre, via un grand débat de pure forme, au statut ébranlé d’un Président et non aux vraies attentes des Français, n’est pas à négliger. Mais il y a des moments, en politique, où il faut savoir se contenter de peu, en improvisant au-dessus du vide des numéros de voltiges. «On s’engage et on voit», disait Bonaparte. D’autre ont eu, dans des situations moins glorieuses, des mots plus triviaux qui peuvent exprimer un même état d’esprit : «Encore un moment, Monsieur le bourreau».

Après Fort

Qui pour prendre les manettes de la communication élyséenne ? Le sortant, Sylvain Fort, avait une culture originale, entre Wagner et Bernanos, ce qui en soit était déjà tout un programme. Si l’homme, c’est le style, alors il n’est pas indifférent que pour sa succession, Emmanuel Macron ait songé à moins baroque avec Franck Louvrier, ex de la maison Sarkozy, ou Laurent Glépin, ancien des équipes Chirac. Pour gouverner à droite, ceux-là peuvent se prévaloir d’un certain savoir-faire. Avec Clément Léonarduzzi, de chez Publicis, on passe à autre chose puisque l’impétrant conseille notamment Bernard Arnault, avec un talent reconnu. À l’heure où le Président ne veut pas entendre parler d’un retour de l’ISF, recruter le communicant des très riches aurait une cohérence. Serait-il habile de l’afficher à ce point ? C’est une toute autre affaire…

Gilets jaunes et sans-culottes

D’un Drouet l’autre, Jean-Luc Mélenchon avoue une même «fascination». Le premier, Jean-Baptiste, était un maitre de poste qui eut son heure de gloire en stoppant la fuite du Roi à Varenne avant d’être élu à la Convention. Le second, Éric, est un chauffeur routier, rendu célèbre en devenant l’un des porte-paroles les plus controversés des gilets jaunes. Au-delà de l’homonymie, quel rapport entre les deux hommes ? «Soyons brigand, s’il faut l’être pour le salut du peuple», disait le révolutionnaire. C’est peut-être là une piste pour le parallélisme que suggère Mélenchon mais si tel est le cas, il aurait dû lire jusqu’au bout la biographie de son héros. Celle-ci n’est pas exemplaire : Jean-Baptiste a fini sous-préfet de Napoléon, à Sainte-Menehould.

Plus sérieusement, le leader des Insoumis qui à la sens de l’Histoire et un goût particulier pour celle de la Révolution française a flairé avec ses deux Drouet une piste qui, sur le plan politique, peut prêter à controverse mais qui n’est pas si sotte quand on veut chercher la véritable nature du mouvement gilets jaunes. Ne sont-ils pas les lointains héritiers des sans-culottes ? Le recrutement de ces derniers était populaire sans être prolétaire. Leurs formes d’action étaient souvent violentes. Leur idéologie était républicaine, archaïque et, en même temps, annonciatrice de combats à venir pour le meilleur comme pour le pire. Elle se nourrissait d’un sens exacerbé du complot et d’une xénophobie latente. Leurs ennemis principaux étaient les aristocrates et plus encore ceux qui, dans les rangs de la Révolution, refusaient que la démocratie directe vienne bousculer la représentation parlementaire. Dans leurs derniers combats, sous le Directoire, ils réclamaient «du pain et la constitution de 93». Les gilets jaunes, sous Macron, exigent aujourd’hui «du pouvoir d’achat et le RIC». Est-ce très différent ?

Pour revenir à la comparaison des Drouet faite par Mélenchon, les spécialistes diront sans doute que Jean-Baptiste avait grimpé trop vite dans la hiérarchie révolutionnaire pour être un sans-culotte ordinaire. Mais là encore, c’est peut-être ce qui séduit un Insoumis qui se prend trop pour Robespierre pour avoir oublié que celui-ci, après s’être appuyé sur les sections parisiennes, finit par envoyer à l’échafaud leurs principales figures avant qu’en retour, les porteurs de piques l’abandonnent au soir de Thermidor. Mélenchon a une mémoire historique qui le trompe rarement. «Les exagérés», comme on disait sous la Révolution, il s’en sert et s’en méfie au point de les liquider, si nécessaire. En cela, Drouet (Jean-Baptiste), si on oublie la fin, est un joli modèle et Drouet (Éric), si on imagine la suite, un sismographe en effet fascinant.