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Carnets de route #8

Carnets de route #8

Macron, l’opposition et la symphonie déréglée du nouveau monde

Alors qu’Emmanuel plonge dans les sondages, aucune force n’est en mesure de proposer aux Français une alternative crédible et, du coup, le temps serait venu des jacqueries, comme on devrait le voir sur les routes le 17 novembre prochain lors du mouvement de protestation contre le prix du carburant. Pareil constat parait aujourd’hui d’évidence. La presse en fait ses gros titres. Il mérite pourtant d’être discuté car, comme toujours, il cache une situation plus contrastée et donc plus complexe qu’on ne le prétend.

Il n’y a plus d’opposition ? C’est faux. Il y en a même plusieurs et c’est bien là une partie du problème. Ne parlons pas ici de l’Assemblée dont la représentation n’est que le reflet d’un rapport de force datant d’un an et demi. Au Sénat, c’est un peu la même chose dans une configuration politique inversée. Les oppositions parlementaires peuvent freiner, contester, amender à la marge. Elles ne se sont réunies qu’une seule fois, l’été dernier, pour bloquer un projet de révision constitutionnel, ce qui est quand même inédit sous le Cinquième République, mais sans être capable, lors de l’affaire Benalla, de déposer une motion de censure unique.

Plus généralement, les partis d’opposition avancent en ordre dispersé, sans aucun dispositif d’alliances reconnu à gauche comme à droite, ce qui nuit bien entendu à leur efficacité. On notera cependant que sur le plan électoral, cette atomisation n’est pas forcément un handicap lors d’un scrutin à la proportionnelle intégrale. Aux européennes de juin prochain dont Emmanuel Macron a fait, avec un brin de témérité, le rendez-vous capital de son quinquennat, chacun avancera sur son créneau propre : l’immigration et la sécurité pour les uns, le retour à l’Europe des nations pour les autres, l’écologie ou le desserrement des contraintes budgétaire pour les derniers. Face à cela, on sait d’expérience ce que pèse un rassemblement de gens raisonnables que l’on dit désormais progressistes : 15% au mieux, modèle Rocard 1994 ! Si un tel pronostic devait se vérifier, alors on pourra dire en effet qu’il n’y a pas en France d’opposition unifiée mais on devra aussi constater qu’il n’y a plus non plus de vraie majorité.

L’opposition n’est pas incarnée ? On devrait plutôt dire qu’elle manque de personnalités d’envergure capables de figurer dignement dans une future présidentielle ou de diriger un gouvernement, en cas de dissolution. Aux deux extrêmes de l’échiquier politique, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon tiennent leurs partis respectifs mais la patronne du Front est sortie très abimée de la dernière présidentielle en dépit de la spectaculaire progression de ses performances dans les urnes tandis que le leader des Insoumis s’enferme, mois après mois, dans le rôle inquiétant d’un tribun sans nerfs, ni self control. Dans les partis que l’on disait hier de gouvernement, c’est presque pire. Laurent Wauquiez ne tient la boutique des Républicains qu’en la rétrécissant comme si le mot rassemblement ne figurait pas dans son vocabulaire. Au PS, ou ce qui l’en reste, les seules voix audibles sont celles des grands anciens qui tel François Hollande ou Ségolène Royal prospèrent dans l’édition sans avoir encore les moyens de revenir sur le devant de la scène autrement qu’en supplétif.

En ce sens, en effet, l’opposition n’est plus vraiment incarnée. Mais après tout, l’était-elle beaucoup plus, un an et demi après une présidentielle perdue, en 2003 avec Hollande et ses synthèses boiteuses, en 2008 avec Aubry et ses alliances contre nature ou en 2013 avec le couple infernal Fillon-Copé ? Comparaison n’est pas raison, sans doute. Reste que l’incarnation et le leadership qui l’accompagne forment, en politique, un processus qui demande du temps. C’était vrai hier. Pourquoi cela ne le serait-il pas aujourd’hui ?

L’opposition n’est pas crédible ? Là aussi, ça n’est pas faux. Mais encore faut-il s’entendre sur le sens et la portée exacte de cette affirmation. Si l’on veut dire par là que pour l’opinion, les différents partis d’opposition n’offrent pas un projet qui soit capable de l’entrainer, on peut aisément souscrire à cette affirmation. Si on veut dire en revanche que ces projets n’existent pas, alors on se trompe. Il y a une ligne Wauquiez qui, pour faire court, recycle celle de Pasqua, dans les années quatre-vingt-dix. Il y a une ligne Mélenchon qui reste celle qu’il a construite depuis qu’il est sorti du PS, il y a de cela dix ans. La situation est moins claire du côté de Marine Le Pen depuis que Philippot est parti. Il n’y a donc en fait que le PS qui soit aujourd’hui un canard sans tête ni idées.

Toute la question est maintenant de savoir si cette situation est durable. Ces projets concurrents ont pour caractéristiques d’être trop cohérents et donc trop durs pour être de gouvernement. Ce sont en cela de vrais projets d’opposition frontale. Ils correspondent donc à la période et c’est aller un peu vite en besogne d’en conclure, si loin de la prochaine échéance présidentielle, qu’ils ne sont susceptibles d’aucune adaptation. D’ailleurs, à quoi bon être prêt quand ce n’est pas le moment de l’être ? Là encore, reconnaissons que les partis d’opposition ne l’étaient guère, un an et demi après l’alternance, sous les précédents quinquennats sans que cela nuise forcément à leurs performances à venir.

Il n’y a pas d’alternative à Macron ? C’est la vraie question si l’on y réfléchit bien. Toutes les autres, on vient de le voir, sont d’une portée relative. Celle-là ne l’est pas et ce n’est vraiment pas un hasard si le Président la soulève à l’envie. Moi ou le chaos ! L’argument peut sembler éculé. Et si, pour une fois, il était vrai ? Sauf qu’en l’occurrence, il repose sur une analyse de la période qui est sans doute fondée mais qui, paradoxalement, trahit une totale incompréhension de ce qui s’est passé en 2017 sur la scène politique française.

Pour les macronistes, l’avènement d’un nouveau monde sur les ruines de l’ancien, c’est la naissance d’un ordre qui se substitue aux désordres antérieurs. Le vieux monde est mort d’usure. Si un nouveau a pu s’installer à sa place, affirment les mêmes, c’est qu’il était doté d’une force et d’une cohérence que beaucoup avaient sous-estimées et qui se sont manifestées avec éclat lors de la présidentielle et des législatives de 2017. Au-delà des aléas conjoncturels, il conserve donc par nature sa force de propulsion initiale. Croire, en tous cas, qu’il ne représenterait qu’une parenthèse, serait, parait-il, une erreur que commettent tous ceux qui se disent d’opposition alors qu’ils ne sont que débris épars d’un système politique révolu, susceptible d’aucune alternative sérieuse.

Comme tous les raisonnements viciés, celui-ci repose sur une part de vrai. En politique, il y a toujours des alternances possibles mais il est rare qu’un système qui mute puisse retrouver un jour son état antérieur. Quelle est toutefois la nature réelle de la mutation dont Emmanuel Macron a été le héros dans un cadre institutionnel inchangé ? Tout se passe en fait comme si le nouveau monde, contrairement à ce qui est souvent dit au sommet de l’État, n’était pas un ordre nouveau mais l’expression désormais achevée d’un monde dérégulé, privé des instruments qui faisaient autrefois sa force et donc soumis aux mêmes tensions destructrices.

Ce qu’a réussi Emmanuel Macron en 2017, pourquoi d’autres ne le feraient pas demain à leur tour ? Pourquoi considérer que l’alternative n’existe pas pour l’unique raison qu’on ne la voit pas encore venir ? Emmanuel Macron a montré qu’il était possible de construire, en à peine une année, une campagne victorieuse, emportant tout sur son passage. Il a prouvé qu’avec une notoriété minimale, un passé politique inconsistant et une expérience électorale inexistante, on pouvait tirer le gros lot. Au nom de quoi devrait-on conclure que ce qui s’est produit à la dernière présidentielle ne se reproduira jamais plus ? Le problème du neuf, c’est qu’il est nécessairement appelé à vieillir. Quand il fait système, il appelle du plus neuf encore. Sous quelle forme ? On n’en sait jamais rien et on s’illusionne quand on croit que ne rien voir venir, c’est être sûr que l’histoire est finie.

Le droit à la revanche

L’opposition n’a pas accepté le verdict des urnes et elle cherche indûment sa revanche. Pont aux ânes du discours politique que Benjamin Griveaux, après tant d’autres à sa place, ressert à la moindre occasion. Mais n’est-ce pas, après tout, la loi de la démocratie que de vouloir retrouver le pouvoir après qu’on a été battu ? Sur ce thème et pour prendre un peu de hauteur, ce texte d’Elias Canetti, dans «Masse et Puissance» (Gallimard, 1960) : «Personne n’a jamais cru réellement que l’opinion du plan grand nombre soit aussi, lors d’un vote, la plus sage du fait qu’elle l’emporte. C’est une volonté qui s’oppose à une autre volonté comme dans la guerre; chacune de ces volontés est nécessairement convaincue de son meilleur droit et de sa propre raison : conviction facile à trouver et qui se trouve d’elle-même. Le sens d’un parti est justement de maintenir éveillée cette volonté et cette conviction. L’adversaire battu aux voix ne se soumet nullement parce qu’il ne croirait plus soudain à son bon droit. Il s’avoue tout simplement battu».

L’Église et sa morale

Les affaires de pédophilie qui frappent aujourd’hui l’église catholique durent depuis trop longtemps et ont un caractère trop massif pour n’être que l’expression de dérives individuelles. Elles interrogent l’institution, ses règles et sa morale. Or a-t-on déjà vu dans l’Histoire, une institution, fût-elle religieuse, survivre à pareil choc sans que toute sa construction soit revue, de fond en comble ? Beau sujet d’étude à venir pour la recherche en sciences politiques.