Blog

Carnets de route #9

Carnets de route #9

Et si c’était encore elle ?

Ségolène Royal revient sur le devant de la scène politique d’une manière qui semble très classique : un livre de mémoires justifiant une forte présence médiatique de l’auteur et attisant du même coup la curiosité sur ses nouvelles ambitions. «Ce que je peux enfin vous dire» est un produit d’appel. C’est ainsi qu’il convient de le lire. On ne savait pas que Ségolène Royal ait eu la langue dans sa poche ni qu’elle ait été bâillonnée ces dernières années. Les révélations qu’elle promet ne sont pour l’essentiel que des confirmations agrémentées, il est vrai, de notations vachardes et de ces scènes croquignolesques qui ravissent le lecteur et l’électeur à la fois, à en croire les sondages. Pour le reste, l’ancienne candidate à la présidence de la République n’a pas changé. Même ton, même style, même énergie, même culot, même rapport souvent distendu avec la réalité. L’autocritique n’est pas son fort. La pose victimaire est son péché mignon. Son originalité tient moins à ces quelques travers largement répandus dans la classe politique qu’à l’intensité avec laquelle elle les exprime.

Pour quoi faire désormais ? Son habit d’ambassadrice des pôles était taillé un peu court. Elle l’a accepté faute de mieux en 2017 lorsqu’elle a compris qu’Emmanuel Macron ne lui proposerait pas davantage. Son nom a pu circuler en haut lieu lors des remaniements de ces dernières semaines. Parfois pour l’Environnement, parfois aussi pour la Culture. À chaque fois, le Président l’a écarté d’un revers de la main : «si je la nomme ministre, elle me cassera les pieds» (version soft). Ségolène Royal s’est-elle jamais fait la moindre illusion sur ses chances de revenir aux avant-postes durant l’actuel quinquennat ? Dans l’art de forcer les portes, elle est sans doute championne mais il aurait fallu qu’elle soit aussi aveugle – ou diablement innocente – pour ne pas deviner, dès la campagne présidentielle, qu’Emmanuel Macron dont elle fut pourtant un soutien précoce ne lui accorderait que des fonctions marginales pour solde de tous comptes et pour avoir surtout la paix.

C’est dès l’été dernier, en tous cas, que Ségolène Royal a amorcé le grand virage stratégique qui la conduit désormais à afficher sa disponibilité intacte, loin des rivages macronistes. En politique, c’est bien connu, on revient toujours sur la scène originelle, là où tout a commencé, avec ceux qui furent les premiers apôtres. Quand pendant les vacances, Ségolène Royal a donc demandé à son fidèle Mennucci de «se tenir prêt» pour de nouvelles aventures, il était clair que ce n’était pas pour aller pêcher à la ligne au bord du Rubicon. 2018, bien sûr, n’est pas 2005 mais l’essence du ségolénisme, à l’heure de la reconquête, reste une capacité à bousculer les lignes lorsque celles-ci sont devenues incertaines. Le PS, aujourd’hui plus encore qu’hier, est dans les choux. Il n’a pas la queue d’une idée neuve. La gauche de gouvernement manque cruellement de leaders qui soient de taille à monter au front lors les prochaines batailles électorales. François Hollande, pour ne parler que de lui, est à peine convalescent. Il se tient en réserve. «Et si c’était elle ?», disait-on autrefois. «Et si c’était moi ?», dit-elle à présent avec la conviction que la nature à horreur du vide et qu’il ne serait bien sot de laisser à d’autres le soin de le remplir.

Le rendez-vous des européennes, en ce sens, est d’abord une occasion, la première qui se soit présentée sur la route de cette ambition retrouvée. Cette élection a repris son statut d’autrefois – celui de présidentielle du pauvre – depuis qu’Emmanuel Macron l’a rétabli dans sa forme première : un scrutin proportionnel autour de listes nationales. Du coup, on a mal interprété les propos automnaux de Ségolène Royal jurant qu’elle se sentait d’autant moins la vocation de conduire la liste du PS qu’elle n’avait plus la carte de ce parti. Ce qu’il fallait comprendre – et qui, depuis, a été à peu près éclairci –, c’est qu’elle se sentait disponible pour faire don de sa personne à la triple condition d’être libre de choisir l’étiquette de sa liste, le nom des autres candidats et le programme qui s’en suit, au nom de l’écologie plus qu’à celui du socialisme ou même de la gauche.

Ce projet radical dit l’époque. Tout, désormais, est devenu possible ! Son originalité est de ne pas être perdu d’avance. Il aurait pu susciter ricanements ou bien haussements d’épaules. Or il n’en est rien. Il séduit jusqu’à Martine Aubry, c’est peu dire ! Les autres vieilles pointes se taisent, faute d’alternative crédible. Les jeunes pousses de la direction socialiste, elles, ont eu vite fait de voir que pour cette élection dans laquelle elles peuvent laisser leur peau, mieux valait peut-être faire un pas de côté en laissant à une candidate téméraire le soin de prendre son risque et d’assumer au besoin son échec, étant entendu qu’il sera bien temps de revendiquer sa part dans un hypothétique succès.

Rien ne permet encore de dire comment les dés, à présent, vont pouvoir rouler. On saura en janvier si l’affaire se noue. Dans cette hypothèse, on verra ensuite en mai comment elle se conclut. À l’heure des préliminaires, il y a pourtant quelques questions qui méritent d’être déjà posées parce qu’à travers elles, apparaissent toutes les ambiguïtés d’un projet un peu fou, celles qui font sa force évidente mais aussi sa faiblesse potentielle. Pour le dire en un mot : quelle est la portée exacte de ce revival ségoléniste ?

Refaire l’Europe ou, pour le moins la réorienter ? Ce serait somme toute la moindre des choses, vue la nature du scrutin dans un contexte où se joue l’avenir de l’Union, face à la poussée populiste ? Bien malin pourtant qui peut dire aujourd’hui la ligne qu’entend défendre Ségolène Royal et en quoi plaider pour davantage d’écologie, de social ou de sécurité peut faire progresser l’Europe dès lors qu’elle n’a pas réglé la question-clé de son organisation. Vouloir rassembler hors des clivages partisans traditionnels, en puisant notamment dans les forces de la société dite civile, est une belle ambition mais à condition de déboucher sur autre chose que des synthèses boiteuses. Or dans le champs politique où semble vouloir s’inscrire Ségolène Royal, rien ne permet de dire qu’un rassemblement soit possible sans que quelques compromis programmatiques viennent affaiblir sa cohérence et donc sa solidité. S’ajoute à cela le fait que l’intéressée ne donne pas l’impression de vouloir s’investir entièrement dans la vie du futur Parlement européen, quitte à laisser penser qu’à l’ancienne, son bonheur principal est de conduire une liste avant de passer à de futurs combats, autrement plus stimulants.

Comment croire en effet que Ségolène Royal puisse se lancer dans pareille aventure afin simplement de troquer un poste à l’ambassade des pôles contre un strapontin à Strasbourg ? Comment imaginer qu’elle puisse incarner un autre visage de la gauche dans un scrutin de cette importance sans penser à la suite, sur le terrain national ? La gauche, dans ses composantes traditionnelles, est en capilotade parce qu’elle n’a plus l’organisation, la ligne et le programme qui lui permettent de retrouver sa crédibilité perdue. Son électorat n’a pas disparu. Il s’est éparpillé. Si elle sait trouver, à l’occasion des européennes, la formule d’une refondation, pourquoi diable ne persévérait-elle pas dans cette voie sous la même autorité à l’occasion des municipales de 2020 et surtout de la présidentielle de 2022 ? Mais si tel est le futur probable de cette expérience, quand bien même ne serait-elle en fin de compte qu’une demi-réussite, ne faut-il pas alors l’exposer d’emblée dans sa seule vérité : non pas un tour de piste, encore moins un sacrifice mais une échappée belle en forme de revanche ?

C’est là que l’on retrouve le livre et ce que Ségolène Royal estime pouvoir enfin dire. En revenant sur ses pas, elle réécrit l’histoire et, au-delà, elle signale qu’elle n’a renoncé à rien. Le mot fin n’appartient pas à son vocabulaire et il serait assez farce que pour ce retour à la vie aussi acrobatique qu’inattendu, elle vienne griller une nouvelle fois la politesse à un autre obstiné, adepte des petits pas, des ajustements à la marge et des stratégies étrangères à tout esprit romanesque : François Hollande.

Guerre à venir

En France, les guerres civiles sont des révolutions. Aux Etats Unis, ce sont des guerres de sécession. Ce qui différencie Macron et Trump, c’est de n’être pas sur le même baril de poudre.

De Bercy à Brienne

La loi de finance rectificative pour 2018 prévoit que les armées vont perdre quelques centaines de millions par rapport à ce qui avait été initialement voté par le Parlement. Pour financer leurs opérations intérieures et extérieures imprévues, elles ne pourront pas compter, cette année, sur la solidarité des autres ministères. À elles de se débrouiller. Voilà qui éclaire un peu mieux la mission qui a été confiée à Florence Parly. Administratrice civile à la Direction du budget à sa sortie de l’ENA puis secrétaire d’État au Budget sous Jospin, elle est aujourd’hui simple ministre du budget aux armées. Bercy à Brienne, en quelque sorte.