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Ce que cache la partielle du Doubs

Ce que cache la partielle du Doubs

Les élections partielles sont soit ignorées, soit sur-interprétées. Celle qui va avoir lieu, les dimanches 1er et 8 février, dans la 4e circonscription du Doubs, relève, à l’évidence, de la seconde catégorie. Elle intervient moins d’un mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Elle s’inscrit dans un contexte politique marqué par la très forte remontée dans les sondages de la côte de popularité du couple exécutif. Il ne fait donc aucun doute que les responsables politiques et les observateurs de la presse vont essayer de mesurer les effets de ce rebond sondagier sur le comportement des électeurs, à travers le choix d’un nouveau député, l’ancien – Pierre Moscovici – ayant été nommé commissaire européen après un passage de deux ans au ministère de l’économie et des finances

Cet exercice n’a rien d’illégitime. Il comporte toutefois un double risque. Le premier, on ne peut plus classique, est celui de la généralisation abusive : le Doubs, ou plutôt la 4e circonscription du Doubs avec ses 60.000 inscrits, n’est – faut-il le rappeler ? – qu’un tout petit morceau de la France électorale. Le second, plus conjoncturel, est méthodologique. Pour déterminer une corrélation, encore faut-il disposer de points de comparaison. Or si l’on sait quelle a été l’évolution de la côte de Hollande et Valls, avant et après les événements du début janvier, on ignore totalement comment, sur cette même période, ont pu évoluer les intentions de vote des électeurs. La seule chose que l’on pourra comparer, dimanche soir, sera le résultat du 1er tour de la partielle et celui du scrutin de référence, en juin 2012. Mais il sera rigoureusement impossible de dire avec certitude ce qui a changé, en quelques semaines, entre un scrutin annoncé et un scrutin effectif.

Ces précisions peuvent sembler d’évidence. Encore faudrait-il qu’elles le restent, ces prochains jours, à l’heure des commentaires. Or on devine déjà combien ceux-ci seront dictés par des évolutions à la fois marginales et surtout spéculatives. Participation, score du candidat socialiste, performance de la candidate frontiste, qualification ou non du candidat UMP : tout cela va avoir une portée on ne peut plus symbolique. Mais s’agissant notamment du match du second tour, bien malin qui pourra dire ce qui était écrit à l’avance et ce qui relève du retournement de tendance, sur une courte période. Dans un contexte de faible participation, classique pour ce genre d’élections partielles, la comparaison des mobilisations respectives entre les différents électorats est déjà, en temps ordinaire, un exercice à haut risque. Dans la 4e circonscription du Doubs, au moins pour le premier tour, il relèvera de la gageure si le but recherché est de mesurer ce qui a pu changer, dans le contexte national ô combien spécifique de janvier 2015.

Le plus probable, dans cette affaire, est que les tendances constatées lors des précédentes partielles, toutes perdues par la gauche, à une exception prés à Saint-Pierre-et-Miquelon, seront globalement confirmées dans le Doubs. Mais imaginons un instant que, le 1er février, le champion local du PS se qualifie de justesse face à son concurrent de droite pour aller affronter ensuite la candidate lepéniste. Que faudra-t-il retenir? Sa chute spectaculaire en deux ans et demi  ou son rétablissement inespéré en cours de campagne? En juin 2012, au 1er tour, Pierre Moscovici devançait l’UMP de 17 points et 9000 voix. Si en 2015, son ancien suppléant sauve la mise de justesse, malgré la présence, une fois encore, de candidats écolos et mélenchonistes, il sera quand même audacieux d’en conclure que le PS est de retour ou même que sa capacité de résistance est désormais intacte!

Tout cela pour dire que, sauf retournement complet de tendance, au regard des précédentes élections partielles, celle du Doubs sera difficilement lisible par quiconque entend comparer l’image des principaux acteurs de la scène nationale et les nouvelles performances de leurs partis respectifs, au plan local. Sur le papier, la probabilité d’une corrélation forte entre ces deux facteurs est d’ailleurs loin d’être évidente. On oublie trop souvent qu’au cours de ces dernières années, par exemple, la côte de popularité de Marine Le Pen n’a guère évoluée alors que le FN n’a cessé de progresser dans tous les scrutins de la période. Ceux qui entendent absolument tirer des enseignements de la partielle du Doubs devront, en fait, attendre le 8 février. En 2012, Pierre Moscovici avait été réélu député dans le cadre d’une triangulaire, sans franchir la barre des 50% alors que ses concurrents de droite et d’extrême droite avaient conservé, d’un tour à l’autre, l’essentiel de leurs électeurs. En cas de duel FN-PS ou de duel FN-UMP, quel sera, cette fois-ci, le comportement des électeurs des candidats éliminés? Sera-t-il différent de ce qu’il était auparavant dans une circonscription sociologiquement très typée, longtemps disputée entre la gauche et la droite et où le gaucho-lepénisme s’est souvent manifesté avec une vigueur inégalée?

Toutes ces questions en amènent une autre qui dit, du même coup, le statut exact de ce rendez-vous électoral. La législative partielle du Doubs clôt une période. C’est sans doute la dernière d’une série qui court depuis 2012 et dont on retiendra, pour l’essentiel, qu’elle a accompagné l’extraordinaire affaiblissement de la gauche, et plus particulièrement du PS, durant la première moitié du quinquennat hollandais. En même temps, cette élection spécifique ouvre une nouvelle séquence qui va peser lourd sur la suite, avant le rendez-vous présidentiel de 2017. En mars puis en décembre prochains, auront lieu, coup sur coup, deux scrutins qui vont conduire au renouvellement complet des assemblées départementales et régionales. La gauche contrôle aujourd’hui les deux tiers des premières et la quasi-totalité des secondes. L’enjeu, après le désastre des municipales de l’année dernière, est bien sûr celui du destin de ce réseau d’élus hors norme qui constitue la dernière armature du PS. Il est aussi celui du délicat réglage démocratique de la nouvelle tripolarisation de la vie politique française. C’est en cela que le Doubs est une manière de générale – au sens théâtral du terme.

Commençons par les départementales de mars et par la nouvelle loi électorale qui les régit, le tout dans un contexte prévisible de faible participation. Pour pouvoir se maintenir au second tour, les binômes – un homme, une femme – qui se présenteront au suffrage des électeurs doivent franchir la barre des 12,5% des inscrits. Comme pour les législatives et à la différence des municipales où la barre de qualification est fixée à 10% des exprimés. Autant dire qu’en mars, les candidats qui n’auront pas su recueillir plus de 30% des voix auront toutes les chances d’être éliminés du tour décisif. Pour la gauche, c’est un défi de taille. Surtout si elle demeure désunie. Sur le terrain, les appareils locaux des Verts et du PC résistent obstinément à ces appels à l’unité lancés par la rue de Solférino qui leur apparaissent surtout comme des cris de détresse, privés de tout contenu politique. Les pointeurs socialistes qui suivent ces opérations de près estiment aujourd’hui que dans 300 à 400 cantons (sur un total d’environ 2000), la gauche, toutes tendances confondues, risque donc d’être absente du second tour, en mars.

Dans une grosse majorité des cas, elle laissera ainsi le champs libre à des duels entre la droite et un FN dont on voit mal pourquoi il ne prolongerait, dans les départements, l’élan qui l’a déjà porté au plus haut lors des municipales et des européennes de l’année dernière. Retirer un candidat ou appeler à voter pour la droite, est une décision douloureuse mais ponctuelle, lors d’une partielle. Agir de la sorte dans des élections générales, quand plusieurs centaines de sièges sont en jeu, est une toute autre affaire. Le front républicain, dés lors qu’il acquiert cette ampleur, n’est plus un simple barrage. Cela devient un vrai basculement, annonciateur d’une totale recomposition du paysage politique. Le choc, en mars prochain, ne sera donc pas celui qu’on croit. Ou plutôt, il risque d’être d’autant plus violent qu’il peut être double. Depuis quelques semaines, les commentateurs spéculent essentiellement sur le nombre des présidences de départements que le PS et le PC, dans une moindre mesure, seront en mesure de conserver. Les socialistes les plus optimistes estiment qu’ils peuvent en garder une trentaine. Ce qui signifie, en clair, qu’ils en perdraient une sur deux… D’autres craignent que le coup soit plus rude encore et, qu’avec une quinzaine de présidences seulement, leur parti soit ramené à un étiage que même la SFIO moribonde n’avait pas atteint en son temps. Tous, en revanche, imaginent déjà le séisme politique que provoquerait cette Bérézina si elle devait être le fruit non seulement d’un échec dans les urnes mais aussi d’un appel massif à voter pour ceux-là même qui, à droite, ambitionnent de lui ravir ses précieuses présidences.

Pour que le coup puisse être paré, il faudrait – et c’est ce qui fait écho avec la partielle du Doubs – que la participation, en mars, soit en hausse notable et que le regain de popularité du couple exécutif ait un effet sensible sur la mobilisation des électeurs de gauche. On n’en est pas encore là. Comme souvent dans ce genre d’affaire, on constate, au passage, combien il est illusoire de vouloir déduire une stratégie électorale d’une modification des modes de scrutin. Quand Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, a modifié la loi pour les cantonales, il a redécoupé et donc rééquilibré la carte au profit des zones les plus urbaines. Ce n’était que justice. Il a créé le binôme pour assurer la parité dans des assemblées jusque là dominées par de vieux mâles blancs. Justice encore. Il avait envisagé de ramener la seuil de qualification au second tour à 10% des inscrits avant de céder, devant le Sénat, à la pression de la droite qui l’accusait de vouloir servir son camp, en organisant un maximum de triangulaires entre PS, UMP et FN. Au final, le geste de Valls risque de bien produire l’effet attendu – une bipolarisation maintenue – mais dans une configuration que personne n’attendait, entre le parti lepéniste et la droite républicaine, au seul profit de cette dernière !

Ce problème de seuil ne se retrouvera pas lors des régionales de décembre. Pour autant, la question de l’application concrète du front républicain, dans un contexte de reflux généralisé d’une gauche éclatée, risque, une nouvelle fois, de se poser avec une force inégalée. Pour comprendre, il faut à nouveau regarder la loi. En France métropolitaine, le nombre de régions va passer de 21 à 13, étant entendu que pour le moment, les socialistes les président toutes, sauf une – l’Alsace en l’occurrence. Le scrutin, à la différence des cantonales, reste de listes – une par département. Pour se maintenir au second tour, il faut avoir franchi la barre des 10% des exprimés. La qualification est donc beaucoup plus aisée. Par ailleurs, les listes en présence au premier tour peuvent fusionner dès lors qu’elles ont recueilli plus de 5% des voix. Enfin, la liste arrivée en tête lors du tour décisif, même si elle ne franchit pas la barre de la majorité absolue, bénéficie d’un bonus qui lui assure le contrôle de la nouvelle assemblée.

L’enjeu, pour les partis républicains, dès lors que le FN pointe à très haut niveau, est donc dramatiquement simple, avec pour seule règle celle du cas par cas. Soit ils maintiennent leurs listes à l’identique en espérant que les électeurs seront assez sages pour voter pour la plus puissante d’entre elles. Mais comment en être assuré? Soit l’un ou l’autre décide de retirer sa liste en appelant à voter pour celle qui est arrivée en tête à l’issue du 1er tour. Mais comment supporter pareille euthanasie dés lors qu’elle entraîne, de facto, la disparition, dans les nouvelles assemblées, de courants de pensée, certes minoritaires mais néanmoins portés par un électorat spécifique? Imagine-t-on un instant, par exemple, qu’un parti tel que le PS puisse passer, dans telle ou telle région, d’une situation de contrôle absolu à celle de disparition complète, en terme de représentation? La dernière solution est donc celle de la fusion sur la base du rapport de force constaté à l’issue du 1er tour. Ce qui signifie concrètement une alliance qui, même sur le mode défensif, affichera au grand jour cette complicité entre le PS et l’UMP que le FN ne cesse de pointer du doigt. Pour qu’enfin la dite alliance soit viable, au lendemain de l’élection, on voit mal comment elle pourrait ne pas s’accompagner, au niveau régional, d’un contrat de gouvernement, fut-il a minima, qui, s’agissant de la gauche, ne pourra que faire voler en éclats les derniers liens du PS avec les écologistes et les communistes de toutes obédiences.

On le voit donc aisément : ce qui va se jouer en mars et en décembre n’est pas anecdotique. Le front républicain, hier ponctuel, peut devenir, demain, sinon structurel, du moins suffisamment massif pour bouleverser en profondeur les règles de fonctionnement de la démocratie française. Le PS, parce qu’il est désormais en position de parti dominé, dans le rapport gauche-droite, est le moins bien placé pour aborder cet obstacle sans risquer de se briser le cou. On ajoutera enfin que ces épisodes électoraux de première importance, même s’ils sont locaux, vont se dérouler juste au moment où est en train de s’emballer la bataille de la prochaine présidentielle. Celle-ci, comme chacun sait, fonctionne sur le mode binaire – deux candidats et deux seuls au second tour, sans effets de seuil. Elle va se dérouler pourtant, en 2017, dans un contexte inévitablement tripolaire avec un FN qui, en la personne de Marine Le Pen, semble la plus apte à se qualifier, quoi qu’il arrive, pour la finale. Le Doubs, le petit Doubs, qui va dominer l’actualité des prochains week-end et faire les choux gras des commentateurs de tous poils se présente, en ce sens, comme un scrutin aléatoire et donc difficilement lisible. Le tremblement de terre qu’il annonce, en tous cas, n’est pas celui qu’on croit. Le vrai, l’énorme, le profond est à venir. On l’entend qui gronde. Il ne laissera personne intact.