Blog

Cette primaire qui (pour l’instant) protège Hollande

Cette primaire qui (pour l’instant) protège Hollande

On dit souvent que François Hollande annoncera, début décembre, sa décision d’être ou non candidat à la prochaine élection présidentielle. En fait, c’est faux dans l’une des deux hypothèses. Soit il renonce et alors, en effet, ce choix sera bien celui qu’on prétend. Soit, il s’engage et alors, mieux vaudrait dire qu’il a simplement annoncé, ce jour-là, sa participation à la primaire dite de la Belle Alliance qui est, de facto, celle du PS et de ses tous petits satellites.

Qu’est-ce que ça change ? Tout, au moins dans la phase actuelle. François Hollande n’a pas encore retourné ses cartes. Il reste dans le calendrier qu’il s’était lui-même fixé mais ce qui était hier un choix de méthode est devenu une obligation de circonstances. Bien que Président sortant, François Hollande a perdu depuis longtemps son statut de «candidat naturel». Le voilà désormais l’objet d’une campagne venue du cœur de ses soutiens traditionnels et qui vise à le convaincre de jeter l’éponge avant qu’il ne soit trop tard.

Les uns, tels Ségolène Royal ou Jean-Yves Le Drian, lui expliquent que c’est pour son bien. Les autres, tel Manuel Valls, prétendent que c’est pour celui de ses idées. Pour éviter l’humiliation que lui promettent les sondages ou pour permettre à la gauche de gouvernement de survivre à l’épreuve qui l’attend, François Hollande est ainsi invité à passer la main en reconnaissant ce qui devrait lui apparaitre comme une vérité d’évidence, c’est-à-dire qu’il n’est plus l’homme de la situation.

Qu’elle soit ou non bienveillante, cette stratégie qu’on lui oppose est d’abord d’empêchement. Elle est classique dans ses ressorts et les méthodes qu’elle emploie. Elle est pourtant sans précédent, ne serait-ce que dans l’histoire de la Cinquième République. Jamais jusqu’à présent, un président sortant ne s’était vu contester de la sorte la possibilité non pas de faire un nouveau mandat mais d’être au moins candidat à sa propre succession.

Dans ce contexte, la primaire bouleverse la donne de la possible entrée en campagne de François Hollande. Lorsqu’il en a accepté le principe, juste avant l’été, il a reconnu de facto qu’il n’avait plus les moyens d’imposer sa candidature sans prendre le risque de faire voler en éclat l’unité fragile de sa majorité et, partant, celle de son parti d’origine avec les conséquences que l’on imagine aisément pour la suite des opérations.

Ce jour-là, François Hollande a donc fait une concession qui était l’expression de l’extraordinaire affaiblissement de son autorité. D’une certaine façon, il s’est déprésidentialisé avant même que la publication du livre de Davet et Lhomme n’achève de le ramener à une condition ordinaire. Ce processus est arrivé aujourd’hui à son terme mais, paradoxalement, la primaire, est devenue en peu de temps le contraire de ce qu’elle était à l’origine pour un Président déchu de sa réputation.

L’obstacle sur le chemin de sa candidature effective s’est en effet transformé en bouclier, en cela qu’il décale le cadre et le moment de l’empêchement légitime. Certes, la primaire n’a pas permis d’éviter la dispersion des ambitions rivales de Jean-Luc Mélenchon et surtout d’Emmanuel Macron. Mais elle a rendu singulièrement complexe la stratégie désormais orchestrée par Manuel Valls.

Quel est en effet l’objet de cette procédure sinon de laisser aux sympathisants de la gauche le choix de leur prochain champion ? A partir de là, c’est à eux seuls que revient la responsabilité de sortir du jeu François Hollande si celui-ci devait exprimer le désir de vouloir briguer un second mandat. La primaire, par définition, retire aux comités restreints ou occultes, la possibilité de sélectionner en vase clos. Elle n’interdit pas aux principaux acteurs de la partie de confier, en public ou en privé, leurs espoirs, leurs doutes ou même leurs refus. Elle ne les oblige à aucun soutien automatique. Mais elle laisse à d’autres qu’eux, le soin de trancher, par le vote, entre les différentes candidatures mises en compétition.

Dès lors, au nom de quoi pourrait-on empêcher François Hollande non pas d’être candidat à la présidence de la République mais de solliciter, avant cela, le soutien des sympathisants de son camp, étant entendu que ceux-ci seront libres de le lui refuser, le moment venu, avec les conséquences que l’on sait ? La primaire de la Belle Alliance est prévue pour la fin janvier. Concrètement, elle empêche les empêcheurs du début décembre. Ou plutôt, elle ne leur laisse qu’une seule solution s’ils veulent barrer à tous prix la route de François Hollande : se présenter contre lui.

C’est pourtant là une option que Manuel Valls rejette obstinément pour des raisons qu’il dit de loyauté mais qui sont aussi de cohérence et d’intérêt personnel. Le Premier ministre affirme, depuis quelques semaines, que son unique motivation est de préserver l’existence dans le paysage politique français d’une gauche réformiste digne de ce nom. Or pour avoir une seule chance de gagner la primaire face à des adversaires qui campent tous sur l’aile frondeuse du PS, celle-ci a pour obligation de rester unie derrière un même champion sans savoir d’ailleurs lequel de ses prétendants sera le plus performant dans la campagne proprement dite de la présidentielle.

Affronter François Hollande serait donc suicidaire, du simple point de vue que prétend défendre Manuel Valls. Elle l’obligerait par ailleurs à une rupture institutionnelle avec un Président dont il dépend entièrement avec, pour conséquence concrète, son départ immédiat de Matignon. Ce qui fait quand même beaucoup pour un homme qui, face aux anciennes dissidences d’Arnaud Montebourg ou d’Emmanuel Macron, s’est toujours présenté comme un facteur d’ordre doublé d’un défenseur intransigeant de la logique hiérarchique induite par les institutions de la Cinquième République.

Pour François Hollande, la primaire présente l’avantage de permettre une entrée sans effraction dans une campagne à très hauts risques. Elle rend presque évident ce qui l’est pourtant si peu. Pour Manuel Valls, c’est l’inverse. Elle l’oblige à traiter dans un registre d’une extrême violence ce qui devrait l’être sur celui de l’exfiltration en douceur. En ce sens, l’un a encore un peu de temps avant de devoir choisir alors que l’autre est désormais pressé par l’urgence.

«Ne compte pas sur moi pour attendre d’être mis au pied du mur quand tu te décideras à la dernière minute», aurait confié Manuel Valls à François Hollande, lors de leur dernier tête-à-tête. Ce qui prouve au moins que les deux hommes savent lire dans leurs jeux respectifs mais qu’ils ne pratiquent pas le même sport puisque la balle est à la fois dans les pieds du sortant et dans le canon du challenger.

La première version de cet article a été publiée le 19 novembre 2016 sur Challenges.fr