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Comment Sarkozy s’est redécouvert une fibre républicaine

Comment Sarkozy s’est redécouvert une fibre républicaine

On souhaite d’avance bien du plaisir à ceux qui devront, dans les années à venir, commenter les soirées électorales. Comment parler de la droite et de ses performances, lorsque l’UMP aura été rebaptisée et que les «républicains» – avec ou sans majuscule – seront installés dans leur nouveaux meubles ? Faudra-il distinguer ceux qui revendiquent, pour eux seuls, ce qualificatif et ceux qui, à gauche, au centre ou même à l’extrême droite, prétendent s’inscrire dans cette même tradition ? Devra-t-on accepter le clivage que Nicolas Sarkozy instaure sans complexe ou bien le contester, mais alors à quel titre ? De quel droit dénier à une formation politique la possibilité choisir librement son nom et, en même temps, comment ne pas voir que celui-là pose problème dès lors qu’il privatise ce qui devrait être le bien de tous, un peu comme si, demain, il venait à l’idée de Marine Le Pen de renommer son parti «les Français» ?

On n’en est pas encore là. Mais, d’ores et déjà, on imagine volontiers le spectacle, quand le dimanche à 20 heures, sur les plateaux de télé, journalistes et sondeurs devront expliquer que «les républicains» estampillés ont fait tel ou tel score alors que leurs concurrents, qui le sont également, ont plus ou moins bien résisté. A ce compte-là, pourquoi d’ailleurs ne pas commencer par additionner leurs suffrages respectifs pour annoncer, du même coup, que la République, dans toutes ses composantes, a une nouvelle fois triomphé ? Reconnaissons, au passage, qu’il arrive à certains de franchir allègrement cette ligne de démarcation quand ils tentent d’expliquer que la poussée lepéniste n’est pas aussi forte qu’on le prétend parfois…

Tout cela est absurde et donc dangereux. En même temps, tout cela est désormais inévitable. Classer n’est jamais une opération neutre. Reclasser ne l’est pas davantage. La confusion des genres qu’est en train d’organiser Nicolas Sarkozy a des allures de hold-up. On pourrait s’arrêter là et conclure que ça n’est guère correct après avoir estimé, avec un brin d’optimisme, que la taxinomie politique, la vraie, inévitablement, un jour ou l’autre, reprendra ses droits et qu’on se mettra alors à parler, comme c’est bien naturel, du «parti des républicains» ou bien encore «des républicains de droite». Dans cette affaire, il faut pourtant aller plus loin. Ce que tente l’ancien président de la République redevenu chef de parti va bien au delà d’une de ces opérations d’escamotage dont il est coutumier. Pour Nicolas Sarkozy, brouiller les cartes est toujours une manière de les redistribuer. Plutôt que de chercher celles qu’il a dans la manche, mieux vaut essayer de comprendre la nouvelle partie qu’il entend ainsi entamer.

Dès lors qu’il voulait mettre fin à l’ère des acronymes, l’actuel patron de l’UMP aurait pu essayer d’imposer aux siens le nom de «sarkozystes». C’eût été plus simple et plus expéditif. Il n’est d’ailleurs pas certains que l’intéressé n’ait pas en tête une pareille ambition, lorsqu’il en aura les moyens. Après tout, on a longtemps parlé des gaullistes ou des chiraquiens sans que personne ne s’en offusque, en oubliant au passage que l’UNR était devenue d’UD-Ve puis l’UDR et enfin le RPR. Cette valse des étiquettes est une facilité qui permet de faire oublier celles qui sont défraîchies sans que cela ne trompe grand monde à partir du moment où les hommes et les idées qui l’incarnent demeurent identiques.

A l’évidence, Nicolas Sarkozy change le nom de son parti par précaution, à l’heure où la justice est à ses trousses. Il le fait également parce qu’il est plus facile de changer l’emballage que la marchandise et qu’il connaît trop les ressort du système médiatique pour ne pas utiliser cette bonne vieille technique de joueur de bonneteau, façon Barbès-Rochechouart. Son tropisme américain, enfin, ne peut que se satisfaire d’un nouveau mode de classification qui rappelle qu’Outre-Atlantique, les dits-républicains n’ont pas toujours été de droite mais qu’ils assument désormais une tradition politique faite de libéralisme économique et de conservatisme culturel dans laquelle leurs concitoyens se reconnaissent aisément. Petites habiletés et grandes transgressions sont d’un commerce trop courant chez Nicolas Sarkozy pour qu’on s’étonne de le voir renouer avec ses vieilles habitudes. Faut-il pour autant aller chercher aussi loin en terre américaine, les clés d’un projet au demeurant si français ?

A plusieurs reprises, ces dernières semaines, Nicolas Sarkozy a lourdement expliqué qu’à ses yeux, la République n’était pas tout à fait la même chose que la Démocratie. Dans ce registre-là, il y a plus de vingt ans, Régis Debray avait proposé aux lecteurs du Nouvel Observateur, un test, façon jeu d’été, dans lequel il tentait de leur démontrer que sur le grand spectre des humeurs politiques, «les républicains» n’avaient ni les mêmes valeurs, ni les mêmes réflexes, ni la même culture que leurs camarades «démocrates». Mais il s’agissait alors de distinguer et non de séparer. Nicolas Sarkozy, dans ce débat qu’il rebat aujourd’hui à sa main, n’a rien d’un entomologistes des différents courants de la vie nationale. Le mot «républicain», lorsqu’il l’emploie ne vise pas la nuance – comme si c’était son genre ! – mais le clivage et la rupture qui sont ses armes préférées.

Lorsqu’on l’écoute déployer son nouvel argumentaire, on s’aperçoit toutefois que, pour arriver à ses fins, l’actuel patron de l’UMP se garde bien d’y aller à la hache. C’est par glissements successifs qu’il finit pas dénaturer le sens du mot «républicain» pour en faire le critère non plus de ce qui rassemble la communauté nationale mais de ce qui la referme sur elle même, face à ses supposés agresseurs. Nicolas Sarkozy explique ainsi que la République, ce n’est pas simplement la Démocratie. Ou plutôt que c’est la Démocratie en mieux. Il argumente ensuite de manière assez ordinaire en installant cette dernière dans le champ vierge de la liberté – de penser, de croire et d’agir – auquel le projet républicain viendrait ajouter des règles, des droits et des devoirs et, au total, un ensemble de valeurs partagées sans lesquelles il ne peut y avoir de communauté nationale digne de ce nom.

Tout cela, en soit, ne devrait poser aucun problème, à ce détail près qu’à l’emboîtement naturel de la Démocratie et de la République, Nicolas Sarkozy substitue une opposition explicite. Là où il y a tension, il dit une contradiction. Au fond, il reprend par ce biais son éternel combat contre l’idéologie soixante-huitarde, faite de relativisme culturel et de permissivité morale. Mais face au fameux «il est interdit d’interdire», il ne rappelle pas simplement le règne de la loi – celle qui protège parce qu’elle peut interdire. Il y ajoute, au passage, des mots tels que tradition ou identité qui lui permettent de subvertir le projet républicain dans sa forme classique.

Avec Nicolas Sarkozy, la République fait le lien entre deux âges d’un combat qui, pour lui, reste le même, pour la défense de l’identité française. L’ambition qu’elle signale n’est pas l’intégration mais l’assimilation. L’exigence qu’elle pointe n’est pas celle de l’accueil mais de l’abandon ou même du rejet que tout ce qui lui est étranger. En ce sens, le projet républicain, redéfini par Nicolas Sarkozy, cesse d’être une ambition ou un espoir pour devenir le cadre immuable d’une France éternelle qu’il convient de figer dans son essence pour éviter qu’elle ne se délite un peu plus. On conviendra que sur ce terrain-là, à condition bien sûr qu’ils acceptent de s’y engager corps et âme, les républicains de l’ex-UMP ne seront plus très loin du lepénisme réel et que telle est sans doute l’ambition de leur nouveau capitaine.

Pour mieux boucler ce projet révisionniste, Nicolas Sarkozy n’est pas du genre à ne travailler qu’à la marge. S’il s’engage, c’est jusqu’au cœur du projet républicain. S’il porte le fer, c’est jusque dans son cœur nucléaire : la laïcité. On peut toujours s’amuser de voir l’ancien orateur du discours de Latran, celui qui expliquait en 2007 la supériorité du prêtre ou du pasteur sur l’instituteur, venir aujourd’hui se placer sous l’étendard sacré de la loi de 1905. On peut bien ricaner en voyant, avec lui, toute une génération qui défila en masse pour la sauvegarde de l’enseignement catholique, en 1984, entonner soudain des prêches de vieux francs-maçons. Dans ce grand retournement, il faut pourtant constater qu’il y a moins de girouettes que de dynamiteurs et qu’au bout du compte, c’est la laïcité elle même dont on cherche à changer le visage.

Celle que défend Nicolas Sarkozy, en tous cas, est parfaitement d’équerre avec l’idée qu’il se fait de la République. Elle aussi est devenue, sous sa plume, un élément constitutif de l’identité française qu’il s’agit de préserver à tous prix contre une religion, l’islam en l’occurrence, qui contreviendrait, dans nombre de ses pratiques si ce n’est dans son essence, aux lois autour desquelles s’organise le patrimoine national. Au bout de ce raisonnement, il n’y pas la République d’un côté et les religions de l’autre, toutes cantonnées dans l’espace des consciences, mais un fossé entre les religions supposées compatibles avec la République et celle qui ne l’est pas. De la séparation des Églises et de l’État, on passe ainsi, subrepticement, à une forme de sécession qui rappelle moins l’esprit de la loi de 1905 que la logique de la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, loin, très loin des traditions républicaines ressassées à l’envie jusqu’à ce qu’on les dilue dans un récit national d’un tout autre tonneau.

C’est pourtant un reformatage de cette espèce qu’entreprend, jours après jours, Nicolas Sarkozy et que ne veulent pas voir ses adversaires quand ils commentent sa conversion républicaine comme un simple coup de com’, tout juste bon à effacer les turpitudes de ce qui sera bientôt son ancien parti. L’ancien président de le République aspire à le redevenir et il est faux de dire que sa reconquête – sa Reconquista? – n’est que l’ambition paresseuse d’un homme désormais privé de toute imagination créatrice. «Les républicains», au fond, ce n’est pas simplement le nouveau nom de son parti. C’est bien plus qu’une captation d’héritage. C’est, au vrai sens du terme, un essai de subversion des valeurs et des normes les plus établies, au sein de la démocratie française. Comme disait l’autre, «c’est du sérieux».