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Guerre et paix : Hollande est-il schizophrène ?

Guerre et paix : Hollande est-il schizophrène ?

C’était juste avant les attentats du vendredi 13 novembre. Interrogé, une fois encore sur le style de sa présidence et, au delà, sur la vérité de son caractère, François Hollande a eu ces mots où l’on sentait poindre une forme d’étonnement perplexe : «les Français attendent que leur Président soit un peu mystérieux». Ces mots en rappelaient d’autres d’une facture moins triviale : «un roi sans divertissement est un homme plein de misère». Ils ne tombaient pas par hasard. Ils disaient l’expérience d’un homme qui se voulait «normal» et qui, une fois élu, avait soudain découvert dans l’action – et parfois même l’inaction – que l’art de gouverner, quelles que soient les institutions qui l’encadrent, ne se prête guère au double registre un peu plat d’une rationalité affichée et d’une pédagogie minimale.

Mystère, donc, et avec lui, cette complexité qui souvent le nourrit. Ombre et lumière. Jeux d’ambiguïtés où se révèle, paraît-il, la marque des grands fauves de la politique lorsqu’ils s’engagent sur le sentier de la guerre. La démonstration est arrivée, hélas, bien plus tôt qu’on le craignait. Et pourtant, le mystère Hollande, depuis les attentats de Paris, est exactement l’inverse de celui attendu. On disait le Président souvent flou. On l’a vu clair. On le croyait rond. On le découvre carré. On l’imaginait dans la recherche d’un équilibre constant et voilà qu’on l’observe dans cet exercice qui lui ressemble si peu : celui de renversement de la table.

Ce n’est pas la première fois que, dans le feu d’un événement dramatique, Hollande fait preuve d’une telle disposition, quitte à jouer à contre-emploi, ou plutôt, si on ose dire, à contre-cliché. Mais lors des attentats de janvier dernier, l’autorité qu’on lui déniait souvent, s’était manifestée dans une synthèse de sang-froid et d’empathie qui ne semblait pas contradictoire avec ce qu’on avait cru deviner de sa psychologie. C’est d’ailleurs pour cela que, pour beaucoup, le miracle avait été que le Président se montre – enfin ! – tel qu’on attendait qu’il fut.

Cette fois, c’est très différent. Hollande n’est plus dans l’émotion mais dans la résistance. Il ne défile plus en tête des manifestations, entouré d’une pléiade de chefs d’États venus des quatre coin du monde, sans avoir fait le moindre tri parmi eux. Quand il s’engage aujourd’hui sur le terrain international, c’est avec les plus influents de ses pairs, Obama et Poutine, et non en compagnie de ses habituels collègues européens. Dans cette partie – on ne l’a pas suffisamment remarqué –, Merkel ne compte guère et l’Europe n’est qu’une variable d’ajustement, bousculée au passage dans ses règles et même ses pactes. On voit surtout que, pour Hollande, l’essentiel se déroule désormais, face à son opinion publique, non plus dans la complicité mais dans l’exercice de ses prérogatives, sur le mode le plus politique qui soit et le plus conforme à l’imagerie républicaine, dans un Congrès réuni à Versailles.

Changement de cadre, changement de posture. Sur le plan de la pure communication, tout cela est surligné à l’extrême dans une cohérence dont l’Élysée semblait avoir pourtant perdu la maîtrise, ces derniers temps. Premier mystère. Le Président a été bousculé par l’événement, le 13 novembre. Celui-ci a révélé, dans l’horreur, une forme d’impuissance. Mais c’est à travers lui que s’impose, malgré tout, la prééminence du chef – de l’État, en l’occurrence – dans une mise en scène improvisée et tirée au cordeau.

L’autre mystère, d’une nature, celui-là, beaucoup plus hollandaise, est dans la capacité retrouvée du Président à jouer, en même temps, la surprise et la simplicité, au point de transformer un grand virage sur l’aile, assez acrobatique, en un rétablissement sur des bases que l’on peut contester mais auxquelles on ne peut nier, là aussi, une forme de cohérence. À chaud, Hollande avait dit : «la guerre». Puis il avait ajouté : «dans l’unité nationale». Rien dans ses propositions de Versailles ne déroge à cette double ligne et c’est pourtant l’étonnement qui a saisi la presse et les parlementaires de tous bords lorsqu’elles ont été avancées.

Les mêmes qui ne remettaient en cause ni le constat, ni l’exigence qui en découlait, semblent aujourd’hui ébahis d’avoir été ainsi pris au mot. Or, qu’est-ce que la guerre, sinon un état d’exception ? Et qu’est-ce que l’unité nationale sinon la capacité à trouver un élan partagé mais aussi une synthèse réaliste et crédible entre des positions autrefois éloignées ou même contradictoires ? Il est quand même surprenant que les amis de Nicolas Sarkozy, après avoir réclamé un débat qui ne soit pas de façade, après avoir posé leurs conditions à un rassemblement digne de ce nom, après avoir exigé enfin une inflexion de la ligne gouvernementale, tant sur le plan intérieur que diplomatique, n’aient pas imaginé, un instant, que le Président soit au rendez-vous qu’ils avaient eux-mêmes fixé.

Celui-ci n’est pas sans risque. La guerre, surtout face un ennemi qui a peut-être un nom – Daesh – mais qui n’a pas de visage ou, tout au moins, pas celui d’une armée classique et encore moins d’un État reconnu, est un engrenage périlleux. On en connaît le début. Par définition, on n’en sait jamais la fin. Il en est d’autres, avant Hollande, qui ne se voulaient pas munichois, qui ont clamé que «la seule négociation, c’est la guerre» et qui n’ont eu, au final, que la honte du déshonneur. L’État de droit et l’état de guerre n’ont jamais fait bon ménage. En même temps, le Président a trop de culture historique pour ne pas savoir que c’est sur ce fil étroit qu’ont toujours avancé les démocraties, lorsqu’elles voulaient se défendre, sans renoncer à défendre leurs principes. Une fois encore, tout va se jouer dans une distinction, revue et corrigé, d’ordres souvent antagonistes : le militaire, le réglementaire et le judiciaire.

Faire simple et juste à la fois, dans ce genre de situation, est toujours compliqué. C’est là qu’on en revient aux ressorts intimes d’un homme qui, à Versailles, a définitivement enfilé un habit dont on ne pensait pas qu’il fut taillé pour lui. Hollande, un chef, ou, mieux encore, un chef de guerre ? On aurait fait rire des salles entières si on l’avait prétendu, avant 2012. L’intéressé n’aurait d’ailleurs pas été le dernier à s’en étonner, même si sa prétendue insouciance ne fut longtemps qu’un masque dont il a longtemps usé et abusé.La verticalité n’est pas d’essence hollandaise. Ou, pour le dire de manière moins pompeuse, le coup de menton permanent, le recours systématique aux arguments d’autorité et l’appel récurrent à la violence symbolique n’ont jamais été, à ses yeux, que des postures grotesques et surtout sans effet dans cet exercice de mobilisation, propre à la politique dans son cadre démocratique.

Le projet initial de Hollande n’était pourtant pas qu’un jeu. Pour l’essentiel, il visait à pacifier la société française et à redonner, du même coup, au projet républicain, cette harmonie dont il jugeait qu’elle avait été abîmée par le mandat sarkozyste. Du coup, se pose une question qui n’est pas nouvelle, même si elle est aujourd’hui relancée, dans un contexte de guerre. Quelle est donc la vraie nature du Président et des principes que le font avancer ? «Rien par le choc, tout par ondulation» : cette formule de du Pont de Nemours, du temps où il travaillait à l’ombre de Turgot, semblait avoir écrite pour le sixième Président de la Cinquième République. Elle lui ressemblait à merveille et voilà qu’elle ne lui correspond plus.

On peut toujours estimer que c’est le propre des timorés ou des indécis que de basculer d’un bloc lorsque l’effroi les saisit ou qu’ils découvrent que toutes les portes se referment devant eux. Le cave se rebiffe et, dans ce raidissement, jouit soudain, au sens propre du terme d’une autorité qu’il n’a jamais eu ! Si tel était le cas, avec Hollande, mieux vaudrait arrêter tout de suite la littérature qui lui a été consacré pour se demander si ses talents d’acteurs valent ceux de Gabin dans le film du même nom… Admettons simplement que dans le rôle du Président, Hollande a quand même sa place et que ceux qui avaient pu en douter ont été obligés de revoir leurs classiques, souvent à leurs dépens. De ce point de vue, la gestion de l’après 13 novembre a appris aux contempteurs du hollandisme qu’en politique aussi, il ne fallait pas mépriser…

Pour autant, cette béance mystérieuse entre une réputation et une action, entre le savoir-faire supposé d’un homme au sommet de l’État et sa capacité à ne jamais être là où on l’attend, ne peut être évacuée d’un revers de la main. Pour comprendre, il faut admettre que Hollande a un rapport très particulier avec la notion de rupture. Comme beaucoup de ses prédécesseurs, à commencer par Chirac, il porte un regard inquiet sur l’état de la société française, à peine compensé par la confiance optimiste qu’il accorde aux individus qui la composent.

Pour Hollande, le discours churchillien est détestable lorsqu’il est une brutalité qu’on impose ou qu’on plaque. Il est une posture inutile lorsque ceux qui le tiennent prétendent déchirer plutôt que de recoudre. C’est ce qui fonde sa détestation viscérale d’un sarkozysme dans lequel il ne voit qu’une violence sans dessein. Dans l’art de la mobilisation, il fait le pari, par principe, que l’équilibre et la recherche de l’harmonie sont des instruments plus efficients que la mise sous tension ou le choc à répétition. Question de caractère, sans doute, mais aussi de méthode qui rejoint celle de son pragmatisme foncier.

Les ondulations de Hollande et les changements de registres qui lui sont désormais coutumiers expliquent une bonne part du doute qu’il suscite et, partant, de l’impopularité qui le frappe. À force de se vouloir trop souple, le Président s’est rendu anxiogène, y compris d’ailleurs dans sa vie privée. Mais c’est une autre histoire… La vraie, la grande, il la connaît sans doute trop bien pour ne pas s’en méfier. Sur la scène intérieure, il n’avance qu’en démineur. Il ne tranche que sous contrainte. Il teste avant d’esquisser et de se résigner à des évolutions qui lui sont imposées. Autant que possible, il laisse à d’autres que lui – Valls, Macron… – le soin de les conduire ou d’en dire la logique de manière explicite. Il serait faux, en tous cas, de ne voir là qu’une simple adhésion à cette répartition des rôles, voulue par les institutions.

À partir des mêmes présupposés et des mêmes intentions, Hollande se montre, en revanche, sous un tout autre visage dés lors qu’il aborde d’autres rivages dont il sait les dangers et dont il mesure surtout combien ils présentent des risques différents. En cela, il n’est pas un Président schizophrène. Il estime simplement que jouer la même partie dans des conditions opposées est une faute de méthode. On remarquera, au passage, que les siennes font moins la distinction entre la scène intérieure et la scène extérieure qu’entre celle où la négociation est possible – France et Europe confondues – et celle où elle ne l’est plus. Le conflit, en ce sens, ou même la guerre, n’est pas, pour lui, une intention mais une contrainte qu’il faut savoir admettre. Là se déploie, selon lui, l’art de gouverner qui est d’abord de pas se tromper dans l’analyse et la réponse à des situations contrastées.

Sur ce plan, Hollande est aussi simple et binaire qu’il peut être complexe ou louvoyant quand l’occasion le lui permet. Dans un cas comme dans l’autre, en tous cas, il ne mégote pas. On peut admettre qu’il puisse, comme Président, trouver du plaisir ou, plus modestement, de la satisfaction, dans un registre conflictuel où ses décisions sont des ordres et non des impulsions soumises aux règles grises ou incertaines de la vie politique. Mais ce n’est pas l’essentiel et on le voit bien d’ailleurs dans la situation actuelle où la logique de guerre s’est imposée à lui en envahissant un théâtre d’action qui ne doit rien aux frontières.

Hollande, pour le dire autrement, fait toujours de la politique et s’il change parfois de registre, ce n’est pas qu’il distingue le gouvernement des Français et la défense de la France. Pour lui, c’est la même chose, avec des impératifs qui, heureusement, sont souvent distincts. Il ne voit aucune contradiction entre le raccommodage permanent qui lui ressemble, au point de résumer son image, et ces élans guerriers qu’il assume sans complexes. Tout cela, pour lui, ne fait qu’un, tel l’envers et l’avers d’une même médaille. Dans chaque cas, il ne raisonne qu’en terme de mobilisation avec l’espoir que le rassemblement dans l’harmonie soit la règle et le rassemblement dans la résistance, l’exception.

Le mystère Hollande est tout entier contenu dans l’oxymore d’un pacificateur guerrier, d’un prudent audacieux et d’une simplicité complexe qui explique sans doute qu’il sache être aussi peu lisible par petit temps et aussi évident quand se lève la tempête. Cet homme a une curieuse façon d’aborder l’Histoire dont on devine qu’il n’aime guère la fureur et qu’il saisit pourtant dès qu’elle passe à portée de sa main. Il est à l’aise dans les petits combats qu’il déguste trop souvent en esthète comme pour mieux se révéler dans les grands qu’il aborde avec une froide férocité. C’est qui explique qu’il déçoive autant, avant de surprendre à ce point. Est-ce voulu ? Sans doute. Est-ce toujours maîtrisé ? Sans doute pas. Est-ce efficace dans la recherche d’une paix retrouvée, sans atteinte majeure aux exigences du droit ? On verra. Dans le cheptel des Président de la Cinquième République, on conviendra, pour conclure, que Hollande, sans être ni monstre sacré, ni un conservateur borné, ni un modernisateur léger, ni un aventurier sans principe, s’impose comme le plus grand adepte des pratiques à risques.