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Hollande et Duflot sont dans un bateau…

Hollande et Duflot sont dans un bateau…

Les Verts sont des libertaires d’un genre particulier. Ils adorent les règles et les normes et quand ils en produisent pour eux-mêmes, ils ne les respectent pas. Le plus bel exemple de ce tempérament fut celui de Noël Mamère, imperturbable député-maire de Bègles, dans un parti interdisant aux siens le cumul des mandats. Le plus en prise avec l’actualité, sur fond de remaniement gouvernemental, reste celui de Dominique Voynet. En 1997, avec ses camarades du Conseil national, elle avait voté un texte interdisant aux parlementaires écolos de devenir ministre. Quelques jours plus tard, la toute nouvelle députée de Dôle avait accepté – la mort dans l’âme, cela va de soi… – le portefeuille de l’Environnement que lui avait offert Lionel Jospin et qu’elle devait d’ailleurs transmettre trois ans plus tard à son ami Yves Cochet, alors député du Val d’Oise.

Parce qu’elle connaît ses ouailles, la direction des Vert vient de prendre, à l’unanimité, la décision de renvoyer à un vote de son parlement interne toute proposition de participation à un prochain gouvernement. On aurait pu imaginer qu’elle fixe, par avance, les critères de ce choix, qu’elle rappelle la ligne qui devrait le guider ou qu’elle fixe même des conditions. En fait, la seule chose qui sache encore la rassembler est précisément ce qui, demain, la divisera. Devenir ministre est une décision individuelle qu’on ne renvoie pas sans arrières pensées à une autorisation collective. On peut être déjà certain que, lorsque l’un ou l’autre des barons verts acceptera bientôt un poste gouvernemental, son parti expliquera qu’il s’est placé en dehors de ses rangs et que ce choix n’engage que lui même.

Le problème des Verts est qu’ils sont trop divisés pour bouger alors que la situation politique n’a jamais été aussi instable. Dans ce genre de situation, l’immobilisme est la meilleure façon de se faire dicter ce qui ne devrait, en théorie, n’appartenir à personne d’autre que soi. Quand Cécile Duflot fait un pas vers Jean-Luc Mélenchon, à l’occasion d’un meeting de soutien à Syriza, elle doit expliquer illico qu’elle a été manipulée. Quand Jean-Vincent Placé note que son parti est à 2% dans les sondages pour les prochaines départementales, il n’ose dire, autrement que par allusion, que la stratégie d’alliance prioritaire avec le Front de gauche est largement suicidaire. Quand François de Rugy et Barbara Pompili frappent à la porte du gouvernement Valls tout en annonçant qu’ils auraient voté contre la loi Macron, ils se justifient en expliquant que le rapport de force au sein de leur groupe les empêchaient de prendre une décision différente.

Les Verts sont divisés en trois blocs qui sont de tailles inégales. La gauche du parti domine l’appareil. Lorsqu’il faut taper les socialistes, le marais la soutient. Mais lorsqu’elle attente, au passage, à la culture de gouvernement, elle se heurte à un bloc où l’on retrouve ministrables d’hier et ambitieux de toujours. En fonction des dossiers, il y a toujours une majorité qui se dégage non par pour avancer mais pour freiner le mouvement. Ce n’est jamais la même mais elle est toujours là. Sur son fil, Emmanuelle Cosse se retrouve ainsi dans la position acrobatique qui fut celle de tous ses prédécesseurs au poste de secrétaire national et qui a fait qu’un jour, ils se sont rompus le cou.

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la tempête qui se lève n’est pas trop forte pour que le petit navire des Verts continue à tirer ainsi des bords sans qu’une vague ne finisse par le tirer vers le fond. Tous les partis politiques de l’arc républicain sont en crise. Les synthèses plus ou moins boiteuses qui leur ont longtemps servi de boussoles ont perdu fiabilité et pertinence. L’individualisation des comportement épuise les dernières tentatives de ceux qui entendent jouer collectif. Cette règle du chacun pour soi est à ce point consubstantielle à la culture écolo, qu’on peut légitimement penser que leur parti est à l’avant-garde de ce dérèglement mortifère et qu’il sera donc le premier à en subir les conséquences.

Quand? Le remaniement que concocte François Hollande, dans la foulée des élections départementales est à la fois anecdotique et révélateur d’une stratégie. Croire qu’une distribution de portefeuille puisse être la réponse à une déroute électorale est un non-sens. Sauf l’accompagner d’une inflexion de ligne. Ce qui fut le cas, l’année dernière, lorsque Manuel Valls a succédé à Jean-Marc Ayrault, au lendemain des municipales. Telle n’est vraiment pas l’intention du chef de l’État. Si celui-ci observe avec autant de passion, depuis de longs mois, le moindre épisode de la vie écolo, ce n’est pas seulement en raison de son goût d’entomologiste pour les petites manœuvres politiques. François Hollande prépare les conditions de sa candidature en 2017. Or le rassemblement qu’il espère constituer autour de lui ne peut être victorieux que s’il dépasse – et de loin – celui des seuls socialistes. Ce qui d’ailleurs serait déjà un exploit…

Pour cela, il n’y a que deux solutions. La première est celle de la constitution, aux marges de la majorité actuelle, d’un groupe démocrate et écolo, indépendant des Verts estampillés comme tel, sur le modèle de ce que fut, après 1988, sous la houlette de François Mitterrand, France unie ou Génération écologie. Si Jean-Luc Bennahmias, Corine Lepage ou Robert Hue ont aujourd’hui leur rond de serviette à l’Élysée, ce n’est pas en raison de la seule qualité de leur conversation. Dans ce rassemblement un brin hétéroclite, des élus verts, devenus ministres ou secrétaires d’État, ne dépareraient pas. Sur le plan strictement électoral, tout cela ne peut être, bien sûr, que d’un impact limité. Mais l’objectif n’est pas celui-là. Il est de pure image. Il vise à mettre en scène les dernières capacités de rassemblement d’un président sortant, échappant de ce fait à l’unique investiture socialiste et capable, du même coup, de contester aux Verts le talisman de l’écologie réaliste, surtout si la prochaine Conférence environnementale de Paris devait être le succès espéré.

Face à cette manœuvre, Cécile Duflot et ses soutiens sont totalement désarmés. La seule réponse possible serait d’avancer plus avant sur le chemin d’un rassemblement rival, englobant tout ce qu’on appelle couramment la gauche de la gauche. Ce qui, dans l’état actuel des rapports de forces, ne pourrait qu’attiser davantage les tensions au sein des Verts, notamment dans un réseau d’élus qui, de scrutins en scrutins, fond comme neige au soleil, et qui, à force, d’avancer à la godille au gré d’alliances contradictoires, risque d’être rayé un jour d’un paysage parlementaire où il n’a trouvé sa place qu’avec l’appui du PS. 2017, de ce point de vue, est un rendez-vous aussi périlleux pour François Hollande que pour Cécile Duflot. Tous les deux y risquent une raclée à ce point humiliante qu’elle mettrait un terme définitif à leur carrière.

Pour éviter ce crash, le président de la République – on l’a vu – a dans sa manche cette petite carte dont le remaniement post-départemental serait l’expression risquée. S’il hésite, alors que Manuel Valls met en avant le maintien de la cohérence gouvernementale, c’est que le choix de cette stratégie qui commande toute la suite du quinquennat et détermine l’axe de la prochaine campagne présidentielle n’est qu’un pis-aller. L’autre carte que possède encore l’Élysée est sans doute plus simple dans son principe. Elle permet de maintenir les forces en présence de demeurer, vaille que vaille, sur la ligne instable qui est aujourd’hui la leur. C’est celle de l’arbitrage via une primaire plus large encore que celle de 2011. Elle supposerait que François Hollande accepte de descendre de son piédestal pour remettre son titre en jeu dans une compétition interne et retrouver ainsi cette légitimité qui lui fait tant défaut quand il prétend remonter au front. Elle supposerait surtout que du côté des Verts, on accepte le principe d’une compétition dont on voit bien qu’elle ne peut qu’organiser dans l’honneur l’absence d’un candidat écolo lors de la prochaine présidentielle.

Vus les tempéraments des acteurs de cette partie, vues les tensions extrêmes au sein de leurs partis respectifs, vue enfin l’absence de visibilité pour les deux ans à venir, on peut évaluer, dès à présent, la probabilité des options ainsi définies. La plus forte est qu’à court terme, les hésitations soient telles, de part et d’autre, qu’il ne se passe rien et que l’affaissement des écolos et des socialistes se poursuive dans la désunion et l’aigreur, même si le gouvernement Valls ne devait pas survivre au congrès de Poitiers, en juin prochain. Pour le reste, il faut bien reconnaître que l’hypothèse d’un remaniement qui rebatte les cartes à la marge est aujourd’hui bien plus crédible que celle d’une primaire salvatrice.