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La guerre des « go-gauches » n’aura pas lieu

La guerre des « go-gauches » n’aura pas lieu

Dimanche soir, la gauche – ou plutôt les gauches – n’avait qu’un mot à la bouche : rassemblement. Depuis, on retiendra que dans la grande baston de ses différentes tribus, Jean-Luc Mélenchon a été le plus contenu. C’est tout dire… A ce jeu-là, c’est toujours la loi du pire qui l’emporte. Ce ne sont que des mots mais, précisément, parce qu’ils ne portent guère à conséquence, la tentation de chacun est d’en rajouter une couche pour signaler aux Français ébahis que l’on existe encore. De Montebourg à Duflot, de Aubry à Taubira en passant par tous les frondeurs de la création, c’est la même course à l’échalote. Je tape donc je suis. Cela s’appelle aussi prendre date, comme pour mieux se préparer à passer sous la table.

Et après? Dans ce genre de périodes, il n’est jamais aisé de distinguer ce qu’il y a de sérieux en dessous de la mousse. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui et deviner ce qui pourrait arriver demain, le plus simple est sans doute de refermer l’angle et de se concentrer sur ce que veulent – et surtout, peuvent encore – les deux personnages qui, à la tête de l’État, vont devoir jouer leurs maigres cartes pour trouver une issue autre que celle du suicide collectif. François Hollande et Manuel Valls ont désormais une dizaine de jours pour imaginer un armistice capable de mettre un terme provisoire à cette nouvelle guerre de  «go-gauches», comme disait autrefois Jean-Pierre Chevènement. Le Président et son Premier ministre jouent gros mais leurs marges sont étroites. Leurs intérêts ne sont pas forcément concordants. Leurs caractères et leur façon de faire de la politique sont souvent antagonistes. Ils avancent l’un et l’autre en terrain miné, au milieu des cris et des rumeurs en tout genre, dans un climat malsain où les lois de la déstabilisation recouvrent, chaque jours davantage, celle de la responsabilité. Pour comprendre, autant donc faire simple.

François Hollande et Manuel Valls sont d’accord sur au moins quatre points. Ils estiment d’abord l’un comme l’autre que, dans la défaite des départementales, la gauche de gouvernement a évité le pire. Ils ne contestent pas les chiffres mais ils les relativisent. Le glissement de terrain, amorcé il y a un an lors des municipales, n’est toujours pas contenu mais le grand basculement annoncé a été évité. C’est une maigre consolation, sans doute. Reste que dans pareille situation, l’urgence, selon eux, n’est pas de rajouter de la crise à la crise en renversant la table mais de stabiliser ce qui peut encore l’être.

L’autre point d’accord entre le Président et son Premier ministre est que la ligne suivie par le gouvernement reste, globalement, la seule possible et que ce serait folie, en tous cas, de la briser au moment même où l’on peut espérer qu’elle porte, fut-ce a minima, les effets espérés. Si rien ne bouge sur le front de la croissance et de l’emploi, d’ici la fin de l’année, il sera peut-être temps d’imaginer autre chose. Mais pour le moment, la stabilité du système passe, selon eux, par la stabilité concomitante des politiques engagées depuis janvier 2014.

Troisième point d’accord : le choc des départementales est trop fort pour que l’exécutif donne le sentiment de n’avoir rien vu et rien entendu. Pour ne pas apparaître autiste et rigide à la fois, il convient donc d’envoyer des signes à l’opinion qui doute et à la gauche qui panique. Avant même le second tour des départementales, Manuel Valls, à l’Assemblée, avait anticipé sur ce qui était d’ailleurs très prévisible. Comme François Hollande, il met désormais l’accent sur le nécessité de donner un coup de pouce à l’investissement productif, qu’il soit public ou privé, tout en restant d’une prudence de chat sur tout ce qui concerne la réforme du marché du travail. Au fond, l’un et l’autre s’accordent à penser que pour éviter que le bateau ne verse, il convient de d’envoyer quelques signes qui rassurent à moindre coût, dans une mise en scène acrobatique qui allie autorité et flexibilité, détermination et écoute.

Enfin, le couple exécutif fait l’analyse que la rébellion qu’il constate dans les rangs de la gauche a sans doute monté d’un cran. Désastreuse en terme d’image, elle n’a pourtant pas changé de nature. La fronde, en cela, porte bien son nom. Comme la vraie, celle du XVIIème siècle, elle est dangereuse parce qu’elle est multiple et un brin irresponsable. Mais elle est impuissante parce qu’elle incapable d’unité. Ce n’est pas un front mais un rassemblement de personnalités disparates. Quoi de commun entre Marine Aubry et Benoît Hamon dès lors que la première ne veut même pas prendre le second au téléphone ? Quelle cohérence entre Arnaud Montebourg et la maire de Lille qui se détestent depuis longtemps ? Pourquoi Taubira prendrait-elle aujourd’hui la porte qu’elle n’a pas voulu ouvrir, à la fin de l’été dernier, dans le sillage d’Arnaud Montebourg, Benoit Hamon et Aurélie Filippetti? Quel rassemblement possible entre Cécile Duflot qui rêve d’un Syriza à la française et des sociaux-démocrates à l’ancienne qui voudrait que l’Europe renouent avec le keynésianisme d’antan ? Au milieu de ces multiples contradictions qu’il constate sans peine, le Président, avec son Premier ministre, estime donc pouvoir trouver un chemin salvateur qui, à défaut des rassembler toute la gauche, lui offre, dans l’épreuve, un ultime répit.

Aujourd’hui, on en est là. La vraie difficulté pour François Hollande et Manuel Valls est en fait de nature institutionnelle. L’un est Président et l’autre Premier ministre. Ce dernier n’a aucunement l’intention de partir comme l’en ont longtemps soupçonné ceux qui pensaient qu’un jour ou l’autre, il prendrait la tangente dans la posture ô combien valorisante du réformateur entravé. La ligne Valls, c’est celle de la construction d’une image d’homme d’État, capable de gouverner dans la durée et apte, à ce titre, à prétendre à un destin national après le rendez-vous de 2017. Rien, absolument rien, ne laisse croire aujourd’hui que le Président ait la moindre intention de contrecarrer cette stratégie d’attente. A l’heure des confidences, François Hollande explique volontiers que son Premier ministre «le protège et le protégera encore». Ce qui est une façon de rappeler que Matignon est un fusible et que celui-là n’est pas destiné à être grillé avant la fin du quinquennat. A l’inverse, Manuel Valls peut parfois imaginer que si François Hollande devait renoncer à se représenter, il ferait un candidat de substitution parfaitement honorable. Mais parce que son ambition est plus froide qu’on le dit parfois, il sait aussi que dans ce genre d’opération, c’est l’événement qui commande et qu’il ne sert à rien de forcer la nature.

Pour le dire autrement, le Président espère le rester, après 2017, et le Premier ministre entend le demeurer jusqu’à cette échéance. D’accord sur l’analyse de la période, en phase sur la stratégie globale qu’elle impose, solidaires dans la défense de leurs intérêts croisés, François Hollande et Manuel Valls se trouvent ainsi confrontés à une seule difficulté dans la résolution de la crise politique post-départementale. Faut-il s’en étonner ? L’un et l’autre, dans les responsabilités qui sont aujourd’hui les leurs, sont confrontés à des échéances qui ne sont pas les mêmes. La temporalité de leur action leur dicte des rythmes divergents. Ils sont dans le même film mais dans des rôles quoi sans être contradictoires ne sont pas identiques.

Manuel Valls, aujourd’hui, n’a qu’une seule obsession : stabiliser sa majorité parlementaire. C’est la clé de son maintien à Matignon dès lors que le Président n’entend pas lui retirer sa confiance. Or, depuis l’épisode de la loi Macron, le Premier ministre n’est plus sûr de rien. Il est passé en force en sortant de sa poche le 49.3. Il peut demain recommencer. Mais pour rester l’homme d’ordre et d’autorité qu’il prétend, il a besoin de retrouver des assises politiques plus larges et surtout plus solides. Depuis un an, Manuel Valls n’a cessé de rétrécir la gauche tout en écornant, dans l’épreuve, son image de réformateur moderne. Les députés frondeurs n’ont pas été réduits. Loin de là. Les ministres indisciplinés ont été virés. Sans états d’âme. Mais ces mesures disciplinaires aux effets mitigés, désormais, freinent et le brident le Premier ministre. D’où son désir de reformater au plus vite son dispositif gouvernemental et parlementaire.

Manuel Valls, sur ce terrain là, est pressé. L’urgence pour lui est terriblement prosaïque. Une trentaine des frondeurs patentés, à l’Assemblée, c’est trop. Une vingtaine seulement, cela redevient gérable. La solution, pour lui, c’est donc un remaniement rapide et à la marge qui réintègre dans son dispositif une fraction des écolos et un bout de socialistes râleurs – fussent-ils aubrystes. Cela suppose, dans un cas, d’accélérer cette scission qui menace chez les Verts et de l’autre, de trouver, au sein du PS, dans la préparation du congrès de juin, les bases d’une de ces synthèses qui font le charme de la vie socialiste, lorsque soudain les couteaux qu’on avait aiguisé sont laissés au vestiaire.

François Hollande, de son côté, a une obsession d’une autre essence : c’est celle de sa réélection. Il vise plus loin que son Premier ministre, même s’il comprend les urgences de celui-ci. Pour se qualifier au second tour de la présidentielle, il sait qu’il devra être le candidat du rassemblement le plus large possible. Pour lui, la partie ne fait donc que commencer. Derrière les enjeux post-départementaux, il y en a d’autres qui, au fond le préoccupent davantage parce qu’ils ne concernent que lui. François Hollande entend donc planter des jalons là où son Premier ministre ne veut que planter des banderilles. Il aimerait fluidifier les relations au sein d’une gauche qui se crispe. Bref, il voit bien au delà d’un bricolage ministériel et parlementaire, lequel suppose le fractionnement des frondeurs et l’éclatement des écolos.

La manifestation la plus claire de cet état d’esprit est dans le comportement du président à l’égard de Cécile Duflot. Manuel Valls veut l’isoler. François Hollande aimerait signer avec elle une de ces paix des braves qui évite un pugilat destructeur, lors du premier tour de la présidentielle. Quand il s’est allé manifester à Tunis, dimanche dernier, le Président a été ravi d’emmener avec lui la leader écolo et le plus dur des députés frondeurs, Pouria Amirshahi. Leur seule présence dans l’avion de François Hollande n’était-elle pas la démonstration concrète que seul le président reste capable de rassembler autour de lui ce qui est trop souvent dispersé ? Le mardi précédent, le déjeuner organisé à l’Élysée avec Martine Aubry et Jean Marc Ayrault participait d’une même logique. Pour réunir sans coup férir tout ce petit monde sous son aile protectrice, François Hollande sait bien qu’il suffirait de leur offrir la tête de Manuel Valls. Telle n’est pas l’intention mais, à l’évidence, il ne déteste pas montrer que l’homme du rassemblement durable, celui qui est encore capable de parler à tout le monde, siège à l’Élysée et non à Matignon. Ce faisant le Président «hollandise» toute la gauche, à petites touches, en l’amenant à reconnaître que l’unité autour de lui reste la seule voie du salut, pour 2017. Par la même occasion, il fait jouer à son Premier ministre un rôle de «bad boy» qui à la fois le protège et le pose en grand protecteur des minorités opprimées par Matignon.

Ces jeux subtils de positionnement sont d’usage strictement interne. Ils sont totalement illisibles par une opinion qui ne retient que les noms d’oiseaux que les uns et les autres s’échangent par presse interposée. On retrouve là une manière d’avancer en douce et à couvert dont le Président s’est fait une spécialité. Que les Français n’y comprennent rien est un handicap qu’il surmonte, bon gré mal gré, en se disant qu’il n’a guère d’autre choix et qu’il faut l’accepter pourvu qu’au moment décisif, en 2017, ils en comprennent le sens. Sur ce fil, François Hollande entraîne Manuel Valls, quitte à sacrifier la réputation de ce dernier en le faisant passer pour ce qu’il n’est pas, c’est à dire un équilibriste de haut vol. Mais comme le Premier ministre n’a pas d’autre choix que de suivre, pourquoi donc se gêner ?

Cette hollandisation générale est la vraie réponse du Président aux soubresauts de la gauche au lendemain de sa défaite aux départementales. Elle ne porte en aucun cas sur le fond de la politique suivie par le gouvernement. C’est un art du flottement dont l’unique objectif est de mettre tous les acteurs de cette partie en position d’accepter le maintien provisoire d’un système dont le Président est le centre. S’il faut infléchir la ligne à la marge, cela sera fait. S’il faut, comme c’est probable, se contenter d’effets d’affichage, ça le sera également. A Manuel Valls, François Hollande expliquera alors qu’en accord avec lui, il a tenu bon puis il dira aux contempteurs du Premier ministre qu’avec eux, le pire a été évité.

Est-ce faisable  ? Est-ce tenable ? A priori, oui, en dépit des apparences et dés lors que l’on comprend que François Hollande, sur le chemin de 2017, sait pertinemment qu’il devra franchir d’autres haies, lors des régionales de décembre notamment, et qu’à cette même date, il devra afficher coûte que coûte, sur le double front de la croissance et de l’emploi, des résultats plus probants qu’aujourd’hui. Pour le moment, le Président estime qu’il y a sans doute une manière peu coûteuse de sortir, sans casse excessive, de la pétaudière dans laquelle s’est placée sa majorité, au lendemain des départementales. Il ne se «cramponne» pas, comme il le jurait à la fin de l’année dernière mais il se faufile. Il ne s’endort pas mais il se prépare. Il ne change pas mais il se ménage. François Hollande, une fois encore, est un homme d’économie. Avec lui – et donc avec Valls – puis autour de lui – et donc avec les mutins de l’après 29 mars – la facture, c’est encore pour les autres.