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La part de vérité de Nicolas Sarkozy

La part de vérité de Nicolas Sarkozy

À un agriculteur qui se plaignait récemment devant lui que le Grenelle de l’Environnement, du temps où il était président de la République, ait multiplié «les normes» inutiles, Nicolas Sarkozy a répondu qu’il n’avait sans doute «pas  été assez attentif sur tout», «pas assez hyperprésident, à ce moment-là». Même quand il bat sa coulpe, l’ancien chef de l’État cherche toujours à rejeter sur d’autres les erreurs – ou supposées telles – de son quinquennat. Il dit qu’il assume tout, en bloc. Mais c’est pour expliquer illico que la faute initiale n’était pas la sienne et que son seul tort a été d’écouter de mauvais conseillers. Bref, de n’avoir pas osé n’en faire qu’à sa tête. Le sarkozysme, le vrai, est par essence infaillible. Lorsqu’il ne l’est pas, c’est qu’il est infidèle à sa nature profonde. CQFD.

Voilà qui, a priori, bride toute tentative d’inventaire sur ce que fut son action réelle entre 2007 et 2012. Au lendemain de sa défaite face à François Hollande, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse que de bloquer la réflexion de ceux qui, au sein de l’ex-UMP, estimaient que, sans une juste compréhension des causes de cet échec, il était vain de vouloir retrouver le chemin du succès. D’autres, avant lui, avaient eu pareille réaction. Tout cela est humain. Être battu, c’est être éliminé, au sens propre du terme. Ce traumatisme, surtout pour ceux qui furent des élus, n’a jamais incité à la lucidité. Les grands brûlés de la politique sont les moins bien placés pour comprendre ce qui leur est arrivé. La seule chose qu’ils savent concéder est une forme d’inattention face au mensonge ou à la trahison. De ce point de vue, Nicolas Sarkozy, dans le registre de la vantardise, ne diffère guère de Lionel Jospin, en son temps, dans celui de l’orgueil.

La comparaison avec l’homme du 21 avril, a ceci d’intéressant qu’elle met en lumière une autre difficulté : celle du retour après l’échec. Conçu comme une forme de réparation ou même de vengeance, il relève plus de la psychanalyse que de la politique. Avec le résultat que l’on sait. On pourra toujours dire que si Lionel Jospin a échoué à revenir au premier plan de la scène politique, lors de la présidentielle de 2007, c’est que le ressort de la volonté, chez lui, avait été brisé de longue date et qu’il avait surtout perdu le contrôle de son parti. On pourra bien signaler que précisément, Nicolas Sarkozy n’a pas commis semblable erreur et qu’en tout état de cause, lui ne passera pas son tour lors de la primaire qui lui est imposée. N’empêche qu’il y a quelque chose d’étrange dans la manière dont l’un et l’autre, pourtant si différents dans leur caractère, ont imaginé – ou imagine encore – pouvoir laver l’affront qui leur a été infligé.

Après 2002, Lionel Jospin n’a eu de cesse d’expliquer qu’il avait été victime de la dispersion infantile des forces de gauche sans laquelle il aurait été qualifié pour le second tour de la présidentielle, face à Jacques Chirac. C’est à peu de choses prêt le raisonnement que tient aujourd’hui Nicolas Sarkozy. Son Chevènement – son obsession – s’appelle Bayrou. Son bourreau s’appelle Le Pen – Marine et non plus Jean-Marie. Mais au fond le mécanisme qu’il juge responsable de sa défaite est assez comparable. Le bilan était bon. Le candidat était affûté et, au final, il s’en est fallu de très peu pour que le résultat ne soit pas ce qu’il aurait dû être. Éternelle thèse de l’accident de parcours dont on mesure aisément ce sur quoi elle débouche : une réparation inéluctable – normale ! – dès lors que l’unité, hier rompue, aura été rétablie et que les yeux des électeurs auront été dessillés face à trop de mensonges, chiraquiens dans un cas et hollandais dans l’autre.

Pour reconquérir l’opinion, Lionel Jospin estimait également qu’il suffirait qu’il fasse le lien entre ce qu’il avait fait lorsqu’il était à Matignon et ce qu’il se promettait de poursuivre, une fois installé à l’Élysée. Sa cohérence – grand mot jospiniste ! – il voulait l’établir en prenant de la hauteur, loin des contingences du combat politicien. Ce fut l’objet d’un livre publié en 2005 et intitulé, en toute modestie, «Le monde comme que je le vois». Parce qu’il est redevenu chef de parti, Nicolas Sarkozy ne peut autant s’extraire de l’actualité la plus chaude. Mais pour tourner la page et surtout en écrire une nouvelle, c’est à l’évidence ce chemin qu’il entend à son tour explorer dans la définition d’un sarkozysme présidentiel à la fois fidèle à ce qu’il fut et conforme aux exigences de l’heure.

Dans cette stratégie du retour gagnant, le point aveugle est finalement identique. Tirer trop court ou trop loin, c’est commettre une même erreur de réglage. D’un côté, on explique à l’électeur infidèle qu’il n’a pas d’autre choix que de reconnaitre sur son erreur de jugement, de l’autre, on veut lui faire comprendre que son champion se fait désormais un honneur d’être encore moins malléable qu’auparavant. La seule concession qu’on admet est précisément de ne plus en faire. Le changement, c’est de reprendre, en mieux, le fil là où il a été provisoirement rompu. Derrière tout cela, il y a une dénégation absolue. Pour oublier la défaite, il suffit d’en effacer le souvenir en la transformant en une péripétie dans un film aux allures de saga où le héros, au milieu des obstacles, rebondit de branches en branches. Il peut bien perdre une bataille mais son destin reste de gagner la guerre.

Est-il crédible ? Est-ce tenable ? À l’évidence, non. S’il s’accroche à cette ligne de conduite, Nicolas Sarkozy est promis au même destin que Lionel Jospin qu’il pourra d’ailleurs rejoindre, dès qu’il le voudra, au cimetière des éléphants du Conseil constitutionnel. Toute la question est maintenant de savoir s’il a la lucidité suffisante pour mesurer le risque qu’il est en train de prendre. Le patron des Républicains a choisi de revenir plus vite qu’il ne l’imaginait sur le devant de la scène. Ce prétendu sacrifice, au nom de l’unité des siens, était en fait une réponse à une urgence à la fois politique et judiciaire. Il en paye aujourd’hui le prix fort dans les sondages. Ce n’est guère étonnant. Le poste qui est le sien, à la tête d’une formation politique minée par les ambitions rivales, est l’un des moins valorisant qui soit. C’est surtout le moins adapté à l’exercice des primaires en ce sens qu’il oblige au rassemblement militant et non à la différenciation devant l’opinion.

Ce choix, désormais sans retour, en impose, avec d’autant plus d’urgence, un autre qui n’est pas moins essentiel. Au point où il en est, Nicolas Sarkozy ne peut plus faire l’impasse sur l’inventaire de son quinquennat. S’il ne le fait pas, d’autres, immanquablement, le feront à sa place. Les électeurs, surtout, ne reviendront pas sur ce sentiment de déception qui explique, quoiqu’en pense l’intéressé, son échec du 6 mai 2012. Pour réenchanter le roman sarkozyste, il ne faut pas le récrire tout entier – ce serait d’ailleurs impossible – mais inviter à une relecture crédible de son dernier chapitre, avant la défaite.

À l’évidence, c’est une question qui taraude l’ancien président en cette rentrée de 2015. Par toutes petites bribes, il s’y essaye sans parvenir à surmonter – on l’a vu sur l’affaire très ponctuelle du Grenelle de l’Environnement – ce désir d’auto-célébration qui constitue le fond de son tempérament. L’énergie sarkozyste est une fuite en avant. L’histoire qu’elle raconte est celle d’une force et non d’une cohérence. D’où sa propension à mettre en scène un perpétuel changement afin d’en faire la marque de son caractère immuable. Parce qu’il est ainsi construit, Nicolas Sarkozy est l’homme le moins apte à un exercice d’inventaire qui est pourtant celui de son salut.

Le verrou qui empêche son vrai retour, le seul qui compte pour des Français blasés ou blessés, est d’une nature pourtant bien banale. Il relève de la simple pédagogie. Le faire sauter est un préalable absolu qui requiert un mélange d’humilité et de finesse dans un rapport de complicité renouvelé avec ceux là même qui ont accordé leur confiance avant de la lever. S’expliquer, c’est moins se confesser que retrouver le cours d’un dialogue interrompu. Faute d’avoir osé le faire, à chaud, lorsque l’opinion – à droite notamment – était prête à entendre et surtout à comprendre, Nicolas Sarkozy a nourri un désenchantement qui perdure et explique ce désir d’autre chose qui fait la force de ses concurrents.

Pour rattraper cette occasion perdue, il va lui falloir désormais en dire bien davantage, sur un mode plus spectaculaire qu’il ne l’avait prévu. Ce qui ne peut se faire par la voie d’une simple, interview et encore moins encore par de rares confidences égrainées comme un chapelet. Sur le chemin risqué de l’inventaire, les proches de l’ancien président expliquent pourtant, avec une cécité qui laisse pantois – à moins qu’elle ne soit que de pure tactique ou de simple ignorance – que leur champion ne déviera pas de sa ligne et que son action, dans les mois à venir, sera l’illustration concrète d’un sarkozysme épuré par l’expérience et étranger à ce désir d’introspection propre aux retraités de la politique. Si tel devait être vraiment le cas, le réveil risque d’être brutal. A moins, sait-on jamais, que Nicolas Sarkozy, pour ne pas être le Jospin de la droite, choisisse, en effet, d’être l’hyper-candidat qu’il prétend en livrant, comme par surprise, cet opus en forme de dévoilement dont le titre possible – Ma part de vérité – serait déjà tout un programme.