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Le grand débat, c’est l’esprit de la démocratie directe au service d’une renaissance monarchique

Le grand débat, c’est l’esprit de la démocratie directe au service d’une renaissance monarchique

Emmanuel Macron regagne des points dans les sondages. Le grand débat est-il, pour lui, une voie de sortie de crise ?

C’est l’évidence, même s’il ne faut pas exagérer le regain de popularité que vous évoquez. Macron était tombé au plus bas. Il reste globalement très impopulaire. Le grand débat lui a redonné l’oxygène qui lui faisait défaut à la fin de l’année. Il lui permet de mettre en scène un dialogue retrouvé sinon avec les Français du moins avec leurs élus, maires notamment. C’est peu et beaucoup à la fois. Peu parce que l’échange ne remplacera jamais l’action. Beaucoup parce que le Président pouvait craindre que le court-circuit soit complet avec l’opinion. Le grand débat qu’il a initié et qu’il anime sans relâche, c’est, au moins en apparence, un happening maitrisé et pacifique qui fait contraste avec les démonstrations de rue hebdomadaires des gilets jaunes. Ces derniers s’épuisent en tournant en rond. Ils étaient forts lorsqu’ils s’appuyaient sur la revendication concrète de l’annulation de la taxe sur les carburants qui, elle-même, renvoyait à la colère d’une France oubliée et à l’arrogance d’un pouvoir autiste. Depuis qu’ils ont gagné en humiliant au passage un Président contraint de tout céder – et à quel prix ! -, les gilets jaunes n’ont plus de revendication unifiante et mobilisatrice. Le RIC n’est qu’une procédure. La démission du chef de l’État reste une plaisanterie. Le grand débat, dans ce contexte, c’est l’esprit de la démocratie directe mis au service d’une renaissance monarchique. Les sujets exposent leurs doléances et le roi les écoute. Il s’explique sans avoir encore à décider. Comme dans les réunions qu’il anime, il s’est remis à sa place naturelle : au centre du jeu.

Le roi a gagné ?

Il est sorti de la nasse. Il est de nouveau l’incarnation de l’ordre dans une manière d’entre-deux, sans autre obligation qu’une présence attentive ou complice. En ce sens, il a surtout gagné du temps tout en corrigeant son image, loin des provocations outrancières de son début de mandat. Mais le succès du grand débat l’oblige ou plutôt le contraint. Son intérêt serait qu’il soit sans fin. Il va pourtant falloir qu’il trie et qu’il tranche. Depuis le début, Macron est dans cette contradiction : garder le cap, maintenir le ligne des réformes, rester un Président actif alors que le ressort principal de la crise qu’on vient de traverser est un désir profond sinon de changement du moins de correction.

Mission impossible ?

À haut risque, en tous cas. Le grand débat a ceci de paradoxal qu’il marque le triomphe du «en même temps» macronien alors qu’il n’a de sens que dans la définition d’un nouvel élan présidentiel. Moins d’impôts, plus de dépenses. Plus d’engagement des citoyens, moins d’élus pour les représenter. Moins de privilèges, plus de protections. Plus de libertés, moins d’inégalités. Macron est la figure même de ces aspirations contradictoires. Il retrouve des couleurs en repartant en campagne, comme lors de la longue marche de 2016, et, en même temps, le processus qu’il a lancé et qu’il va bien devoir conclure le conduit nécessairement à redevenir bientôt jupitérien. Sans doute est-ce ce qu’il souhaite dans son for intérieur parce que tel est à la fois son plaisir et sa conception de la présidence. Mais n’est-ce pas ce que les Français lui reprochait le plus lorsqu’ils ont laissé éclater leur colère au grand jour ?

Pour vous, quel est l’enjeu des semaines à venir ?

Le moment de vérité arrive. Le grand débat annonce-t-il pour Macron une seconde chance pour nouveau départ dans un quinquennat requinqué ? Ou le mouvement des gilets jaunes a-t-il brisé le ressort d’un mandat qui ne peut se poursuivre que dans l’acceptation plus ou moins résignée d’une manière d’impuissance, faute d’arbitrage légitime entre des aspirations disparates ? On peut le dire autrement : la crise aigüe que nous venons de traverser conduit-elle un rééquilibrage de la ligne gouvernementale – ce qui n’est jamais simple – ou traduit-elle – ce qui serait plus grave – un rejet d’une forme de présidence, façon Cinquième, que Macron a voulu pousser jusqu’à son paroxysme ? Mon sentiment est que la seconde hypothèse est la bonne. Si tel est le cas, le rendez-vous capital qui attend Macron n’est pas celui des conclusions officielles du grand débat ou même du verdict des européennes. Il porte essentiellement sur la méthode qu’il va pouvoir choisir pour relancer concrètement, d’ici la fin de l’année, quelques chantiers majeurs tels les retraites et la réforme de L’État.

Cet entretien a été initialement publié le 3 mars 2019 dans Le Figaro, dans une version raccourcie.