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L’Élysée revisite la cohabitation

L’Élysée revisite la cohabitation

«Ad augusta, per angusta», disaient, avec le jeune Hugo, les conjurés d’Hernani. «Au septième ciel, par des voies étroites», selon la libre traduction d’Antoine Blondin. Sans doute fallait-il des romanciers-poètes, tous deux issus des rangs monarchistes, pour deviner ainsi le chemin par lequel, sous la République, cinquième du nom, les présidents allaient trouver, uns à uns, celui du salut. La réélection, pour eux, est toujours une manière d’assomption.

François Hollande n’innove pas. Ce n’est pas un expérimentateur. Il accommode à sa façon. En ce sens, il est moderne. Top chef à l’Élysée ! Avant lui – ou, plus précisément, avant le quinquennat – il fallait cohabiter pour espérer rempiler. François Mitterrand et Jacques Chirac, en leur temps, ont élevé cette règle au rang d’une loi. C’est sur la défaite de leur camp, aux législatives de 1986 et de 1997, qu’ils ont construit leur triomphe ultérieur, au sens romain du terme.

Pour cela, il leur a fallu du flair, de la chance et surtout ce culot monstre qui rend la liberté à ceux qui semblent l’avoir perdu en se dépouillant de tout, sauf de l’essentiel, c’est à dire de ce rôle à nul autre pareil qu’offre l’onction initiale du suffrage universel direct. Ce moule-là s’est brisé avec le septennat. Depuis, on cherche en vain celui qui, dans un autre contexte, avec de nouvelles règles, pourra s’y substituer dans l’arsenal des présidents en mal d’un mandat renouvelé.

Les portes ouvertes – celles qu’on enfonce sans même s’en apercevoir – ont au moins le mérite de rappeler des évidences oubliées. François Hollande est, et restera jusqu’au bout, l’anti-Sarkozy absolu. Ce dernier a cru, et croit d’ailleurs encore, qu’un président de quinquennat est d’abord le chef de son camp. L’élan mobilisateur, il le cherche à domicile, dans un Arcole quotidien. Sa ligne est droite, très droite parce qu’il juge que le pays l’est aussi et qu’il n’y a pas de victoire possible dans le refus de la pente. C’est ce qui le rend, comme dirait Régis Debray, plus démocrate que républicain.

Nicolas Sarkozy veut rejouer à l’identique, en 2017, le match de 2012. Son combat, à ce titre, est bien une revanche comme si la défaite n’avait été pour lui qu’un accident de parcours et que le seul objet de la prochaine présidentielle était de rendre ce qui lui a été dérobé. Comment ne pas voir qu’à l’inverse, François Hollande explore, par touches successives, des voies qu’on dira – chacun peut choisir l’adjectif qui lui convient – plus tortueuses ou plus imaginatives.

A-t-il d’ailleurs le choix ? «Rien par le choc, tout par ondulation», comme disait Dupont de Nemours du temps où il travaillait à l’ombre de Turgot. Cette formule semblait avoir été forgée pour François Hollande. Il convient aujourd’hui de la corriger. Avec lui, c’est le choc qui crée l’ondulation. Dans l’histoire de son quinquennat, entre attentats et régionales, l’événement, une fois encore, dicte la ligne et la posture mais avec une puissance telle qu’à l’habituelle adaptation hollandaise s’est substitué un de ces décalages ô combien créateur.

François Hollande aurait pu être poussé à l’écart. Sa résistance, qui est aussi un art de renverser la table, l’a replacé au centre, sur les décombres de la gauche. On retrouve là l’essence des cohabitations d’autrefois, sous couvert d’union nationale (face au terrorisme) ou d’union républicaine (face au Front national). C’est le même homme qui hier rechignait à montrer la moindre de ses cartes qui, désormais, les retourne avec une gravité jubilatoire.

Ce dévoilement est contraint. Cette contrainte est transgressive. Cette transgression est assumée sans complexe. Il n’y pas pas de solution de continuité entre le discours de Versailles, le 17 novembre, et cette nuit du 6 au 7 décembre, durant laquelle, à l’Élysée, a été concocté le sacrifice des soldats perdus du parti socialiste. Que ce soit sabre au clair ou à bas bruit, François Hollande avance là où l’événement le conduit : au centre de la place de la République. Mais, cette fois-ci, il y puise, non plus de la résignation, mais une force de propulsion qui efface, pour un temps, les contradictions d’autrefois.

Est-ce durable ? Ce genre de question, sur fond de scepticisme, vient toujours après que la transmutation a eu lieu, ce qui, à l’évidence, est aujourd’hui le cas. C’est bien sûr mal connaître les lois de la politique, surtout quand elles sont à ce point déréglées, que d’imaginer qu’au temps perdu succède nécessairement le temps retrouvé. Mais, c’est aussi mal comprendre les lois de la physique républicaine que de ne pas voir combien, pour un président sortant, le centre du jeu, même lorsqu’il est encore vide, est l’espace naturel de sa possible réélection.

François Hollande est là où il fallait qu’il soit pour espérer revivre. Ni plus, ni moins. Sa gauche est en lambeaux. Sa droite est gravement fissurée tandis que le FN installe, au forceps, un bipartisme dont il serait l’un des deux. Son parti a tout perdu, fors l’honneur. Son gouvernement, à quelques exceptions près, est un bateau sans quille. La logique voudrait donc que cet étrange équipage s’abîme, dès la prochaine tempête et Dieu sait s’il y en aura encore, d’ici le grand rendez-vous de 2017. Mais, en même temps, aussi surprenant que cela puisse paraître, après tant d’errance et de volte-faces, le président préside en montrant, après tant d’autres avant lui, que sa devise n’est peut-être pas la pire. Fluctuat nec mergitur.

Cet article a été initialement publié dans les pages Débats du Figaro, le 10 décembre 2015.