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« L’entrée sent le palais, et le logement la cabane »

« L’entrée sent le palais, et le logement la cabane »

Emmanuel Macron est-il un président qui, à la différence de ses deux prédécesseurs, a pris conscience des deux corps du roi ?

Je sais bien que pour certains, Emmanuel Macron est «un président philosophe» et qu’«aucun de ses mots n’est le fruit du hasard» mais il n’est peut-être pas nécessaire de réveiller les mânes de Kantorowicz pour comprendre que, pour lui, présider, c’est incarner. Ses prédécesseurs – même les deux derniers – en avait également conscience, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils aient réussi dans cette opération de transmutation. L’originalité de Macron est ailleurs. Elle tient peut-être à sa culture et à sa formation. Elle est surtout le fruit, à mon sens, de son parcours atypique. Mettons de côté le général de Gaulle qui estimait être la France depuis le 10 juin 1940. Tous les autres présidents de la Cinquième, de Pompidou à Hollande, avaient derrière eux, en entrant à l’Élysée, un cursus politique et électoral qui les avaient familiarisés avec l’exercice très particulier de la représentation. Pour le dire autrement, leur accession à la magistrature suprême était pour eux un point d’aboutissement. Or pour Macron, c’est une rupture. Sans aucune expérience du suffrage universel, jeune, peu familiarisé avec l’exercice de l’État, doté par ailleurs d’une silhouette fluette et d’une voix haute perchée, il n’avait pas, pour le dire vulgairement, la tête de l’emploi. Du coup, je pense qu’il avait réfléchi, plus que d’autres avant lui, à ce que signifiait le changement de statut auquel il prétendait. Intellectuellement et concrètement, il s’était donc préparé. D’un manque, il a fait un plus. Vous avez évoqué Kantorowicz et les deux corps du roi. S’agissant de Macron, je citerai plutôt Hobbes pour qui «les sujets sont la multitude» tandis que «le roi est le peuple». Même en République, c’est le paradoxe de la représentation au plus haut niveau. Elle explique que Macron soit d’abord et avant tout un président de mise en scène.

Comment définissez-vous celle-ci ?

Dans son beau livre intitulé «Le miroir et la scène», Myriam Revault d’Allonnes rappelle que toute mise en scène est d’abord «une mise en sens». Tout cela nous ramène à ce qu’on appelle plus trivialement la communication qui, lorsqu’elle est réussie n’est pas un simple artifice. «La forme, c’est le fond qui remonte à la surface» disait Hugo. Souvenons-nous par exemple de la cérémonie du 7 mai dernier au pied de la pyramide du Louvre. Qui a encore en mémoire ce qu’a dit Macron ce soir-là ? Qui a oublié, en revanche, l’image d’un homme seul et sans complexe plaçant ses pas, à peine élu, dans ceux de l’Histoire. Cette levée de rideau était une mise en scène chargée d’inaugurer un quinquennat – un règne – dont le nouveau président entendait être le scénariste et l’acteur principal, pour ne pas dire unique. Depuis, c’est cette scène des origines que Macron reprend et développe dès qu’il en a l’occasion. Parfois, c’est réussi, parfois ça l’est moins. Entre l’acteur et le comédien, la différence peut être faible. L’autre soir sur France 2, avec Laurent Delahousse, la fiction était trop évidente pour qu’on ne se rappelle pas cette maxime de Baltazar Gracian : «l’entrée sent le palais, et le logement la cabane». Tout cela s’est d’ailleurs terminé au pied d’un sapin, ce qui est un comble pour un président qui prétend régulièrement ne pas être le père Noël !

Macron se regarde-t-il faire ?

Représenter, sans être un peu Narcisse, ça n’existe pas puisque la représentation est un jeu de miroir. Eric Zemmour a écrit il y a longtemps une biographie de Chirac intitulée « L’Homme qui ne s’aimait pas ». Je ne suis pas sûr que c’ait été tout à fait vrai. Admettons, pour faire court, que Macron n’est pas chiraquien. La vraie question n’est d’ailleurs pas celle-là. Toute mise en scène exige de l’action, sauf à être un exercice de style un peu vain. C’est que qu’ont pu reprocher les Français à Macron, l’été dernier. Rien que de la com’ ! Si leur regard et donc leur jugement a aujourd’hui changé, c’est que sur la scène du pouvoir, l’acteur principal ne s’est pas contenté de jouer un rôle aussi prestigieux soit-il. Il l’a également maitrisé. Bref, il a agi et cela d’autant plus aisément qu’à la différence de son prédécesseur, il s’en était donné les moyens spécifiquement politiques. Macron n’a pas d’alliés dans son gouvernement. Il n’a que des obligés. Sa majorité parlementaire est aussi massive qu’évanescente. Elle ne connait pas la fronde ou, en tous cas, pas encore. A partir de là, le président a pu, mieux que d’autres avant lui, dérouler un agenda de réformes maitrisé, sinon apprécié, en même temps qu’une communication cohérente, centrée sur son unique personne.

Derrière l’image, quel est le message ?

Au début du quinquennat, Macron se disait jupitérien mais c’est la foudre qui a failli lui tomber sur la tête. On est donc passé à autre chose. Désormais, un mot revient sans cesse dans sa bouche : c’est celui de héros. En le saluant à la moindre occasion, le président se célèbre lui-même. Il place son règne sous le signe de ce que Machiavel appelait «la virtù», c’est-à-dire la capacité à saisir «la fortune», à la renverser, à la prendre dans un sens quasiment sexuel. Le héros, c’est donc celui qui gagne, au-delà de toute morale. «Faire le bien quand c’est possible, faire le mal quand c’est nécessaire». Être lion et renard, en même temps, en fonction des circonstances. C’est ainsi que Macron a pu qualifier Johnny Halliday de «héros français» puisque ses victoires étaient celles de la musique. Les siennes sont des Valmy quotidiens qui, dit-il, n’en finissent pas de «stupéfier les Européens». Le macronisme, en ce sens, est – qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore – l’intrusion de l’héroïsme dans l’univers de la normalisation libérale. Comme Julien Sorel, son héros préféré, Macron ne veut pas être un de ces séminaristes qui se contentent de «manger de la choucroute tous les soirs». Sous son lit, il y a le Mémorial de Sainte-Hélène. Simplement, il faut espérer pour lui que l’histoire se termine un peu mieux que pour Julien Sorel.

D’où lui vient ce goût du contrôle ?

Pour Macron, la présidence est une autorité. Il est en cela totalement différent de son prédécesseur pour qui, même à l’Elysée, la valeur suprême était celle de la liberté et d’abord de la sienne au risque de céder, au final, à une forme d’impuissance. On l’a dit, «la virtù» pour Macron, c’est le gain, la victoire, la réussite. Or ce sont là des choses qui s’organisent. Pour libérer les forces de la réussite, pour que chacun puisse s’enrichir sans entrave, comme auraient dit les héritiers réunis de Guizot et de mai 68, il faut qu’à la main invisible du marché vienne s’ajouter la main de fer de la réforme. Macron avait fait campagne sous le signe de la séduction. Il préside sous celui de l’autorité. Le sourire est le même. Le poigne s’est resserrée. Il y a dans sa manière de gérer les hommes et les services quelque chose de potentiellement autoritaire ou, pour le moins, d’un peu pète-sec qui, cette fois-ci rappelle dans le style celui de Chirac : je décide, ils exécutent. Le général de Villiers en a fait le constat dès les premières semaines du quinquennat.

Macron a-t-il déjà tissé un lien solide avec les Français ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il évité la rupture. On sait maintenant le coût d’une entame loupée. Sarkozy et Hollande peuvent en témoigner. La force de Macron est double : son pouvoir est stable et, pour l’instant, sans alternative crédible à la fois en interne et en externe. Il règne sans partage. Pour prendre la métaphore de la mise en scène, tout se passe comme si l’opinion était devant un spectacle dont elle devine l’intention et qui, du coup, attire son attention. C’est déjà beaucoup. On est loin de cette indifférence un peu méprisante qui avait marqué le précédant quinquennat. De là à parler d’une adhésion solide et durable… En politique, comme au théâtre, il arrive qu’on apprécie les premiers actes et puis qu’on s’en aille à l’entre-acte, soit que les acteurs se fatiguent, soit que la pièce ne tienne pas ses promesses. C’est ce que le commentaire de la critique oublie trop souvent : ce quinquennat n’est vieux que de six mois.

Cet entretien a été initialement publié le 26 décembre 2017 sur L’Opinion