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Les nouvelles lois de la primaire

Les nouvelles lois de la primaire

La primaire dite de «la droite et du centre» a été un succès en ce sens qu’elle a mobilisé plus de 4 millions d’électeurs et qu’elle a permis de désigner un candidat incontesté et incontestable. La primaire dite de «la Belle Alliance» s’annonce comme une épreuve dont rien ne dit que sur ces deux critères – le nombre des électeurs et la réputation du vainqueur – elle produise demain un effet du même ordre.

La primaire, en ce sens, n’est pas la martingale absolue que prétendent parfois ceux qui l’ont conçue. C’est une procédure de désignation qui en vaut d’autres, qui a ses lois spécifiques qu’on découvre au fur et à mesure qu’elles se généralisent mais à laquelle il ne faut pas prêter des vertus autres que celles qui la justifient. La primaire sert à choisir un candidat. Elle ne désigne pas forcément un champion rassembleur et encore moins un Président en puissance.

La primaire, jusqu’à présent, n’a pourtant pas desservi les intérêts immédiats des formations politiques qui s’y sont ralliées. En 2011, celle de la gauche a mis sur orbite un candidat – François Hollande – qui permis au PS de reconquérir dans son sillage l’essentiel du pouvoir gouvernemental et parlementaire. En 2015, celle de la droite vient de donner aux Républicains les moyens de réaliser, avec François Fillon, pareille performance. Rien n’autorise à dire que François Hollande n’aurait pas été élu Président s’il avait été désigné par une procédure différente. Celle de la primaire, en tous cas, n’a pas été pour lui un handicap. Elle vient d’installer à son tour François Fillon dans le rôle du favori. On peut ainsi se demander si la primaire n’est pas essentiellement l’instrument de promotion efficiente des candidats à la présidentielle dont le parti est dans l’opposition.

La primaire n’est pas devenue une règle et encore moins une contrainte. Elle reste une convention qui n’engage que ceux qui s’y rallient. Rien n’oblige un candidat à la présidentielle à se soumettre à cette compétition. Les deux principaux partis de gouvernement du paysage politique français l’ont adoptée à cinq ans de distance pour des raisons identiques. Ils n’avaient plus les moyens d’arbitrer autrement les ambitions rivales qui s’affrontaient en leur sein. Faute de candidat naturel et en raison aussi du manque de fiabilité du vote militant, ils ont choisi d’externaliser le mode de sélection de leur champion. De cet aveu de faiblesse, ils ont voulu faire une démonstration de force, avec pour le moment une évidente réussite. Par définition, la primaire n’est donc pas une procédure adaptée aux partis qui, soient parce qu’ils sont forts, soient parce qu’ils ne sont pas démocratiques, soient enfin parce qu’ils s’identifient entièrement à leur leader, visent à la promotion et non à la sélection.

La primaire ne concerne, du même coup, que les électeurs qui veulent bien y participer. C’est une compétition d’autant plus spécifique qu’on ignore, lorsqu’elle débute, le nombre des électeurs inscrits puisque c’est le vote qui détermine le corps électoral. Pour le dire autrement, la question de l’abstention, centrale dans toute autre élection, n’a ici aucun sens. La primaire s’adresse en priorité aux sympathisants du parti qui l’organise mais d’autres que ceux-là peuvent également s’y inviter. Jusqu’à présent, ces électeurs coucous n’ont pas su détourner le sens de la compétition pour la simple raison que leur vote a été noyé dans une mobilisation de grande ampleur. Plus il y a de votants, moins il y a donc de truqueurs. On verra, lors que la primaire de la Belle Alliance, si cette loi se confirme.

La primaire, qu’elle soit de gauche ou de droite, a mobilisé, jusqu’à présent un type particulier d’électeurs. Ce sont ceux qui, d’habitude, se rendent volontiers aux urnes, c’est-à-dire les inclus, plus riches, plus vieux et plus cultivés que les autres citoyens et donc, à ce titre, plus attachés aux règles de la démocratie élective. Ouvert en théorie, le vote de la primaire est censitaire en pratique. Cela ne signifie pas qu’il soit illégitime sauf à considérer comme telle toute compétition électorale qui ne soit pas fondée sur le vote obligatoire. On aurait pu penser que ce biais sociologique serait d’autant plus faible que la participation serait forte. La primaire de la droite a montré qu’il n’en était rien. Bien au contraire. Même avec 4 millions d’électeurs, elle a laissé sur le bord du chemin des catégories de la population – les jeunes et les classes populaires, notamment – qui étaient déjà restés à l’écart de la primaire de la gauche lorsqu’elle mobilisait, en 2011, presque moitié moins de participants.

La primaire est l’instrument qui permet de vérifier l’orientation idéologique de l’électorat auquel elle s’adresse en priorité. En 2011, cet électorat dit de gauche était en fait au centre gauche. D’où le choix de François Hollande, considéré comme le plus modéré des candidats crédibles. En 2016, cet électorat dit de droite s’est montré résolument conservateur. D’où le choix de François Fillon considéré comme le plus frais des candidats traditionnalistes. L’enjeu de la primaire de la Belle Alliance est maintenant de savoir si elle confirmera, à gauche, une tendance dont rien n’indique qu’elle ait fondamentalement changé en cinq ans ou si le désir de changement, après un quinquennat décevant, favorisera les candidats qui en furent les acteurs secondaires. Pour l’instant, en tous cas, aucun élément probant ne permet d’affirmer que la primaire soit, par nature, un facteur de radicalité qui entraine le candidat qu’elle désigne loin du centre de gravité de son électorat naturel.

La primaire, enfin – et c’est peut-être là l’essentiel dans le débat actuel – est un moment de publicité dont l’intensité sert et contraint celui qui en sort vainqueur. D’un côté, elle donne une visibilité extrême à son projet et à sa personnalité. De l’autre, elle pointe avec une précision inusitée les failles qui les traversent. Ce qui pouvait être masqué ou progressivement corrigé lorsque les candidats à la présidentielle étaient désignés par d’autres procédures, l’est désormais beaucoup plus difficilement. Dans la campagne de la primaire, chaque candidat expose son projet au grand jour et au fur et à mesure que la compétition avance, il le compare avec celui de ses concurrents. Cela n’implique pas qu’il le durcisse nécessairement mais cela l’oblige, à coup sûr, à en préciser la cohérence jusque dans les moindres détails tandis qu’en retour chacun est invité à en faire la critique.

La primaire, en ce sens, est l’exercice par lequel chaque camp devient sélectionneur et procureur à la fois. Le vainqueur de la compétition se retrouve ainsi dans la position paradoxale où les vertus qu’on lui prête une fois désigné sont celles que ses propres amis lui avaient contestées avant qu’il ne le soit. Le moment privilégié de cette transmutation aux effets assassins est le débat de l’entre-deux tours de la primaire qui est aussi celui que l’opinion scrute avec le plus d’attention. En 2011, Martine Aubry avait fait de François Hollande le candidat du «flou» et cette flèche n’a cessé d’empoisonner sa campagne avant de pourrir son quinquennat. En 2016, Alain Juppé a fait de François Fillon le champion d’un projet intenable, sauf à vouloir devenir un Robin des bois à l’envers qui prend aux pauvres pour donner aux riches. S’il est élu en mai prochain, François Fillon trainera cette accusation comme l’avait fait son prédécesseur dans un registre différent. Trop mou pour être honnête pour l’un, trop dur pour être juste, pour l’autre et au final, peu fiables pour l’un et l’autre dès qu’ils essayeront de rectifier le tir.

La primaire, et on en terminera par là, a donc un défaut principal qui est précisément celui dont on devrait la féliciter. C’est un rendez-vous démocratique qui n’est sans doute pas parfait mais qui présente l’avantage de rapprocher le profil du candidat ainsi désigné et les aspirations des électeurs de son camp. C’est une compétition qui semble désormais suffisamment régulée pour que ses éventuels vices de forme n’entachent pas sa régularité. C’est un processus de sélection qui ne garantit rien mais qui, au moins, restreint quelque peu le champ des ambitions rivales quand elles deviennent trop évidemment suicidaires. Rien toutefois ne l’empêchera jamais d’être ce que la politique, surtout quand elle entre en campagne, supporte avec le plus de difficulté, c’est-à-dire un exercice de clarification qui peut souvent blesser, qui parfois désoriente mais dont il faudra bien qu’un jour, on nous explique au nom de quoi il vaudrait mieux l’éviter.

La première version de cet article a été publiée le 18 décembre 2016 sur Challenges.fr