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Les ombres d’un président (extraits)

Les ombres d’un président (extraits)

Voici pour les lecteurs de «Lire la suite», quelques passages d’introduction de mon livre sur François Hollande, publié chez Plon et disponible en librairie depuis jeudi 12 mars.

« Au mois d’août 1983, dans un avion qui le ramenait de Latche, François Mitterrand, alors au comble de l’impopularité, s’était tourné vers un petit homme discret qui vivait encore dans l’ombre de Jacques Séguéla. Il lui avait posé la seule question qui l’obsédait : «Vous pensez que je peux m’en tirer ?» Jacques Pilhan, puisque c’est de lui qu’il s’agit, avait répondu avec cet art du bref qui allait devenir sa vraie spécialité : «Oui.» On connaît la suite. La renaissance de Dieu, la chevauchée fantastique du président-candidat, sa réélection triomphale…

Imaginons un instant qu’en août 2014 François Hollande ait posé la même question à l’un de ses conseillers et que celui-ci – si tant est que cela existe – n’ait pas eu le tempérament d’un courtisan. Comment croire que sa réponse ait pu être autre qu’un «non», aussi sec qu’un couperet ? Moins de deux ans et demi après son élection à la présidence de la République, François Mitterrand pouvait encore espérer. François Hollande, à la même étape de son règne, avait perdu une grande part de cette capacité.

Le temps a passé. Plus vite avec lui que pour son lointain prédécesseur qui avait eu la chance de vivre au rythme du septennat. Plus de la moitié du mandat hollandais a été gaspillée en pure perte. En politique, on peut toujours rêver. On peut toujours compter sur la chance ou, plus simplement, sur l’événement, voire le drame, qui rebat les cartes, brouille les repères anciens et offre un ultime viatique aux moribonds du suffrage universel. Rebondir, n’est-ce pas la spécialité du septième monarque de la Ve République ? N’est-ce pas celle qu’il expérimente à nouveau sous nos yeux alors que l’effet de souffle des attentats de janvier 2015 le projette vers le haut et lui offre surtout ce qui lui a si longtemps manqué : une manière de respect dès lors qu’il a su être, dans l’épreuve, à la hauteur de sa tâche ? (…)

La politique répond à des règles d’airain. L’une d’entre elles veut que lorsque le président n’est plus cru, c’est qu’il est cuit. Nicolas Sarkozy, en son temps, faisait peut-être des records d’audience à la télé et, en 2009, dans une crise d’une violence inouïe – économique et financière, celle-là –, beaucoup ont cru qu’il allait pouvoir donner à son quinquennat le sens qu’il avait perdu. Mais parce qu’il était jugé fondamentalement insincère par la grande masse de ses concitoyens, Nicolas Sarkozy n’avait pourtant aucune chance de remporter l’élection présidentielle de 2012 en actionnant, comme cinq ans auparavant, les ressorts de cette machine à rêves qui lui avait si bien réussi. C’est d’ailleurs pour cela que son seul objectif, dans la fuite en avant de sa dernière campagne, fut d’essayer de faire croire, le plus longtemps possible, qu’avec lui, par principe, tout demeurait possible et que même la défaite, pourvu qu’elle soit courte, laissait entrevoir de nouvelles aventures.

L’équation à laquelle François Hollande se trouve aujourd’hui confronté est d’une forme différente tant il est vrai que le doute avec lui portait moins sur sa sincérité que sur sa capacité à tenir son rang. Sa nature profonde est pourtant la même. On y trouve des variables qui tiennent, pour l’essentiel, à la manière dont l’opinion avait cru comprendre la vérité d’un homme avant de réaliser que la promesse initiale n’était peut-être pas celle à laquelle elle aurait aimé adhérer. Il n’y a rien de plus dangereux que cette prise de conscience. C’est elle qui nourrit la déception. Puis la colère. Et enfin cette manière d’indifférence butée qui signe, et pour longtemps, la fin des dernières espérances. (…)

Derrière tout cela, il y a une autre loi que François Hollande expérimente à son tour. Chaque homme a au moins deux visages qui sont comme l’avers et le revers d’une même médaille. L’art de la politique est de savoir présenter le bon, au moment opportun. Nicolas Sarkozy restera, quoi qu’il arrive, un objet de passion. Toujours, il clivera. Moins d’ailleurs par ce qu’il fait que par ce qu’il dit. C’est un être de querelles qui, comme tous ceux de son acabit, est d’abord un vantard qui cherche moins le résultat que la réputation. «Love» sur une main, «Hate» sur l’autre, comme Robert Mitchum, ce pasteur dégénéré, dans La Nuit du chasseur.

François Hollande est d’une autre facture. C’est un homme de basse tension. Avec lui, on navigue entre sympathie et mépris. Il n’entraîne pas. Il accompagne le mouvement plus qu’il ne le crée. « Les forts veulent la force, la créer d’eux-mêmes. Les politiques vont la chercher là où elle est », a écrit Jules Michelet. À ce compte, François Hollande est un grand politique doublé d’un explorateur timoré. Il sait tirer des bords, et s’il avance, c’est, de préférence, en remontant le vent. Les marins de cette trempe passent, à tort ou à raison, pour des barreurs de petit temps. François Hollande aime caboter. C’est là une réputation risquée, surtout quand se lève la tempête. Et Dieu sait si, en ce moment, les vents mauvais sont forts ! (…)

Ce livre porte une thèse dont voici l’essentiel : François Hollande, en 2012, fut moins le candidat du changement que l’artisan discret d’une tentative de restauration républicaine ; cette tentative de restauration, adossée à un anti-sarkozysme plus moral que politique, fut un projet a minima, mobilisateur le temps d’une campagne, mais qui supposait bien davantage qu’une alternance au sommet de l’État ; cette alternance, pour être fidèle à sa promesse, exigeait que le nouvel élu sache lui donner un contenu autre que la répétition des formules anciennes ; or ces formules anciennes étaient précisément le seul bien commun qu’il partageait encore avec ses camarades, et c’est d’ailleurs ce qui en faisait le prix.

François Hollande, en ce sens et au-delà de l’embellie qui l’éclaire, continue de payer la facture d’une paresse intellectuelle qui n’est pas seulement la sienne et d’une manière d’agir en politique dont il est en revanche l’unique responsable. La formule de son succès est aussi celle de son possible échec. Banal, dira-t-on. D’autres avant lui, au même poste, ont vécu semblables déconvenues dont on laissera à des juges ultérieurs le soin d’estimer, à sa juste mesure, à la fois la puissance et l’ampleur. Mais à la lumière des assauts que certains mènent contre l’unité du pays, on reconnaîtra quand même que c’est la première fois depuis fort longtemps que, derrière «l’événement», selon la distinction de Joseph de Maistre, surgit un de ces changements qui marquent «une époque» et justifient du même coup cette noire prophétie : «Malheur aux générations qui assistent aux époques du monde.»