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Les recettes de Macron

Les recettes de Macron

Emmanuel Macron a-t-il réussi à imposer l’image qu’il souhaitait avoir auprès des Français ?

Globalement oui. Sa première intention, en arrivant au pouvoir, a été de se glisser dans la peau d’un vrai Président. Ce qui n’était pas évident vu son âge et son inexpérience sur ce qui touche au domaine régalien. Tout a commencé au pied de la Pyramide du Louvre. Un homme seul s’avance dans la nuit. C’est un sacre qui intervient le soir même d’une élection qui est elle-même un baptême, sans attendre la passation de pouvoir à l’Élysée. Ce sacre dit, par l’image, l’exceptionnel et la verticalité. Bref, une double rupture : avec ce qu’était auparavant le candidat et avec ce qu’était son prédécesseur. A peine élu, Macron est déjà jupitérien. Cette expression, il n’a d’ailleurs plus besoin de la répéter. Elle fonctionne toute seule. Les commentateurs la reprennent en boucle. À ce stade, la parole élyséenne, du coup, peut se faire rare. La seconde intention de Macron découle de la première. Présider, c’est choisir, donc trancher. Tout cela s’est installé plus tardivement, d’où la dépression sondagière de l’été. On passe ainsi d’un candidat séducteur et équilibré à un Président conquérant, un brin cambré. Cet «en avant» sonne la fin du «en même temps» qui n’est guère compatible avec l’action. De Paul Ricoeur, on passe à Gustave Le Bon. «On ne remue pas les foules autrement que par des sentiments élémentaires», disait ce dernier. «L’homme de caractère» dispose d’un prestige qui donne à son action un caractère «héroïque». C’est le moment où, dans le lexique macronien, cette expression se substitue à celle de «jupitérien». Pour boucler le tout, il faut enfin installer définitivement l’idée que «le nouveau monde» n’est pas la suite de l’ancien mais son contraire. On cible donc «les fainéants» et au premier chef Hollande. Celui-ci devient ainsi pour Macron ce qu’était la IVème République pour le fondateur de la Cinquième, c’est-à-dire l’incarnation de l’impuissance du fait du jeu stérile des partis frondeurs et du manque de caractère des gouvernants.

Pour vous, la réussite de Macron, en termes d’image est donc totale ?

Je dirais ça autrement. Les fondamentaux du macronisme présidentiel sont solides car cohérents et assumés. Peu importe qu’ils contredisent souvent ceux du macronisme de campagne. Le chef de l’État maitrise son image et son agenda. Cela dit, on voit bien depuis quelques semaines, qu’une nouvelle phase est en train de s’ouvrir, plus compliquée à gérer. C’est celle où le pouvoir n’est plus jugé dans la comparaison avec ce qui était avant lui mais dans l’efficacité concrète de son action. Or sur les prélèvements obligatoires par exemple, le ressenti des Français contredit le discours toujours aussi technocratique de Bercy. Et puis surtout, on est en train de passer d’une phase où le pouvoir faisait la météo médiatique en déroulant ses projets de réforme à une phase où il lui faut réagir dans la précipitation à l’inattendu : un mouvement de grève dans les prisons, des bagarres à Calais, la crue de la Seine, la neige qui tombe…

Revenons sur quelques épisodes du début du quinquennat et sur la manière dont ils ont été gérés en termes de communication. La mort de Johnny Halliday par exemple ?

Pour Macron, Johnny n’est pas une idole ou même un génie du rock mais «un héros français». A la communion avec la foule, il ajoute l’identification avec lui-même. «Je suis Johnny» ou, pour utiliser une référence plus romanesque, «Monsieur Halliday, c’est moi».

Notre-Dame des Landes ?

C’est Macron qui décide mais c’est son Premier ministre qui annonce la décision. En l’occurrence, c’est un renoncement. Le pouvoir bat en retraite. Il cède aux minorités, il satisfait Hulot, pièce essentielle de l’équipe gouvernementale, mais ce qu’il tente de célébrer, c’est son prétendu courage ! L’important, selon lui, c’est de trancher là où d’autres avant lui avaient tergiversé. L’opinion attendait un choix. Le choix du pouvoir est celui de la capitulation, ce qui permet d’escamoter le problème comme le souhaitait au fond une opinion indifférente aux problèmes de desserte aérienne du Grand Ouest. Pour faire bonne mesure, on intime l’ordre aux zadistes de bien vouloir dégager les lieux lorsqu’ils auront fini de sabler le champagne. Mais a-t-on jamais vu des vainqueurs camper sur le champ de bataille une fois le combat terminé ?

La Corse ?

Là encore, c’est la netteté du choix plus que son contenu réel qui est mis en valeur, quitte à oublier les ouvertures faites durant la campagne. Le discours de Bastia et, avant lui, la cérémonie d’Ajaccio en hommage au préfet Erignac ont été précédés d’une mise en scène dont le ressort principal était le mystère. Quel était le programme exact de la visite de Macron, quel allait être le sens de son propos ? Pour être entendu, il faut être attendu, disait Jacques Pilhan. Il semble bien que tout cela ait été précédé, dans les cercles du pouvoir, d’intenses débats mais qui ne sont jamais apparus dans la presse. Sous Hollande, c’était l’inverse. Rappelez-vous par exemple l’épisode du redécoupage régional en juin 2014. Tout ce qui se passait dans le bureau présidentiel était raconté en temps direct, à ciel ouvert. Comme il l’a confié à Bertrand Delahousse, à la fin de l’année dernière, Macron a deux bureaux. L’un de prestige où il reçoit et signe les lois. L’autre, privé, où se règle la cuisine du pouvoir. Or ces cuisines, avec lui, ne se montrent pas car, comme disait Baltazar Garcian, «l’entrée sent la Palais et le logement, la cabane».

La réception des patrons de multinationales à Versailles ?

Un très beau loupé dû à une mauvaise anticipation de l’agenda médiatique. Cette cérémonie de prestige était censée célébrer l’attractivité retrouvée de la France. Dès la fête terminée, l’annonce d’un vaste plan de licenciement à Carrefour en modifie le sens. Pendant que le Président banquète avec les riches et les puissants, ce sont les salariés qui trinquent. La communication est parfois un boomerang.

Au total, n’est-ce pourtant pas l’absence de couac majeur qui parait dominer depuis le début du quinquennat ?

Ce pouvoir est compact. Imaginez un instant ce qu’il aurait été si, au lendemain des législatives de juin, Macron avait dû constituer cette majorité de coalition espéré par Bayrou et Valls ? Sa communication est le produit de cette situation. Le Président règne parce qu’il en a les moyens. Dans ce système hypercentralisé, tout vient d’en haut. C’est sa force et peut-être demain sa faiblesse. Il n’a aucun pare feu. Il ne dispose pas, par ailleurs, de ces émetteurs métaculturels qu’étaient Malraux ou Lang sous de Gaulle et Mitterrand et qui donnaient à l’ensemble sa majesté et sa cohérence globale. Ce régime n’a pas de barde. Peut-être devrait-il songer à nommer Brigitte Macron à la Culture. Mais c’est une autre histoire…

Cet entretien a été initialement publié le 14 février 2018 dans L’Express.