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Les vices de la maison Macron

Les vices de la maison Macron

Quelque chose ne tourne plus très rond dans le système Macron. Les sondages qui piquent subitement du nez disent moins un désamour passager qu’une manière de déception devant un pouvoir devenu banalement comparable à ce avec quoi il était censé rompre. Dieu que le Président était fort et joli au temps des premiers vagissements ! Trois mois ont passé et le voilà déjà usé. On croyait au miracle. On soupçonne désormais le mirage. Crise de croissance, comme le disent aujourd’hui les affidés du Château ? S’il est vrai qu’en politique aussi, on apprend en marchant, il est rare cependant qu’on désapprenne en avançant. L’amateur qui devient professionnel, ça arrive. Le professionnel qui redevient soudain amateur, c’est plus original.

Les mêmes expliquent donc que ce coup de mou estival n’est rien d’autre que la rançon naturelle d’une activité réformatrice qui, en bousculant les habitudes, ravivent nécessairement les plaies d’une société trop longtemps abandonnée à la triste médecine des soins palliatifs. Les réveils sont toujours douloureux mais par définition, tout cela n’a qu’un temps. Après la pluie, le beau temps… Vieille rengaine des gouvernants enlisés qui, en l’espèce, ne vaut rien. Au-delà des mots, de quelle réforme tangible ce pouvoir qui débute est-il aujourd’hui le nom ?

S’il ne paye pas le prix de ce qu’il fait, hormis les coups de menton et de rabot, faut-il croire qu’il règle par avance la facture de ce qu’il a annoncé ? C’est possible mais là encore faudrait-il que son programme d’action ait un minimum de cohérence, faute de quoi c’est la confiance qui immanquablement s’évapore. Or qui peut dire quelle est concrètement la ligne – «le sens», comme dit le Président – d’une équipe qui promet «en même temps», et plus souvent d’ailleurs à contre-temps, l’effort et le réconfort, les roses du renouveau et les épines d’une rigueur véritable sur fond d’une bienveillance prétendument retrouvée et d’une gouvernance au fond un brin pète-sec ?

Ces réglages-là sont l’essence même de la politique dès lors qu’elle passe de la phase de conquête à celle de l’exercice des responsabilités. Pour réussir cette transsubstantiation ô combien périlleuse, le système ainsi mis en place ne doit souffrir d’aucun vice de forme. C’est pourtant là que le macronisme présidentiel se révèle le plus fragile. Le vice, si on ose dire, est à tous les étages. Ce qui apparait subitement n’est pas accidentel. C’est la rançon originale dans ses fondements mais tristement banale dans ses effets d’une longue suite de disfonctionnements qui ne préjugent de rien de bon pour la suite tant il est vrai qu’on ne répare pas d’un claquement de doigt ce qui a été installé avec autant de soin et qui se révèle à l’usage aussi peu performant.

Commençons par le haut. L’erreur de Macron est de se vouloir à la fois jupitérien et hyper-président. Ce sont là des rôles contradictoires. Jupiter, c’est la surprise, le mystère, la rareté dans une forme d’arythmie. On le craint d’autant plus qu’on ne le voit pas venir. Qu’importe qu’il roupille au sommet de l’Olympe pourvu que son réveil soit un coup de tonnerre. Il ne saurait en tous cas être au four et au moulin. S’il se mêle de tout à la moindre occasion, s’il sature l’espace médiatique au point de l’encombrer, c’est qu’il n’est pas ce qu’il prétend être. La banalité qui rode devient alors la marque de l’insincérité. Une recette, tout juste une recette…

Or Macron a beau parler avec parcimonie, son image est partout. On la voit et avec elle sa main jusque dans le moindre détail de l’action gouvernementale. A force de lancer la foudre à jets continus, le Président ne balancera bientôt plus que des pétards mouillés. Il devient attendu, ce qui est le meilleur moyen de ne plus être entendu. Il transforme en technique que qui devrait être un art. Le voilà déjà en quête de hauteur. Dans son rapport avec l’opinion qu’il entend séduire, il y a surtout quelque chose de «voulu», comme écrivait Stendhal dans le Rouge et le Noir – l’un des livres officiels de quinquennat – en décrivant les premières étreintes de Julien Sorel et Madame de Rénal. On sait la fin de cette aventure à force d’imagination factice : une balle perdue, une tête qui tombe. Jupiter, pour revenir à lui, a-t-il jamais été un dieu «voulu» ?

Descendons d’un cran. À Matignon, Édouard Philippe découvre l’enfer. Il n’est pas le premier. Il semble le vivre, à la différence de tant d’autres avant lui, avec un placide sang-froid sans doute expérimenté à l’ombre de Juppé. Cet homme, pour le moment, sait encaisser. On lui soupçonne même un humour de bon aloi qui peut l’aider à flotter. Cela ne règle pourtant en rien le caractère improbable de son positionnement. Pour tenir, il faudrait que sa majorité parlementaire s’identifie à lui alors qu’il n’est qu’un rallié tardif, longtemps contempteur des contractions d’un projet présidentiel qu’il lui faut mettre désormais en musique. Pour cela, il n’a pas d’autre choix que de s’installer, au moins pour l’instant, dans le rôle du parfait collaborateur. Il décide, j’exécute. Après tout, pourquoi pas ?

Sauf que dans ce registre un peu trop plat pour enthousiasmer l’opinion, le Premier ministre n’a même pas eu le temps de faire ses preuves. Le raout de Versailles, la veille de son discours d’investiture, c’était déjà fort de café. La correction de ce discours pourtant validé par l’Elysée, à peine quelques jours après qu’il a été prononcé, ça a été le coup de grâce. Même quand il récite, Edouard Philippe peut être contredit. Les députés qui lui avaient accordé leur confiance et, plus encore, les ministres qui l’entourent ont pu ainsi vérifier ce qu’ils soupçonnaient déjà. L’arbitrage de Matignon ne vaut pas tripette. Il y a en toutes choses à l’Elysée une instance de recours. Quand ce n’est pas le Président lui-même, c’est son secrétaire général, Alexis Köhler, celui dont Macron a peu dire en toute immodestie qu’il était le seul à le valoir sur le terrain de l’intelligence… Si Jupiter n’est pas à sa place, que vaut alors son Premier ministre dès lors qu’on conteste le droit de ranger ses bidons ? Comment s’étonner en tous cas de tant d’instabilité au sommet de l’État quand l’un décide et se ravise tandis que l’autre applique avant de devoir tourner casaque ?

Le plus curieux dans cette affaire est que cette improbable répartition de rôles ne favorise même pas l’émergence d’un gouvernement fort d’individualités autonomes. Les ministres d’Édouard Philippe ne sont ni meilleurs ni plus mauvais que leurs prédécesseurs. Ils sont souvent différents dans leur pedigree et leur parcours. Leur surface politique, à quelques exceptions près, est surtout assez mince. Ils ont été sélectionnés pour cela. Dotés de directeurs de cabinets choisis par l’Elysée dans le vivier de la fonction publique, ils ont été priés de s’entourer d’équipes resserrées. A charge pour elles de travailler en symbiose avec leurs administrations respectives. Là encore, pourquoi pas ? Mais il faut alors beaucoup d’innocence pour s’étonner après coup du poids exorbitant de la technocratie quand on lui fait une place aussi belle.

C’est comme si Macron ne voulait pas voir ce dont il est l’expression achevée. Avec lui, ou plutôt dans son sillage, c’est l’élite autoproclamée de l’aristocratie d’Etat qui s’est saisie des derniers leviers que les politiques à l’ancienne ne lui avaient pas encore abandonnés. Le fameux verrou de Bercy qui a fait tant fait parler lors du récent débat parlementaire sur la moralisation de la vie politique est aujourd’hui bouclé à triple tour. Là est la marque de fabrique d’un pouvoir qui, dès l’origine, manquait d’assises sociales et qui s’est organisé de façon telle que pour avancer sur le chemin de la réforme, il n’a pas d’autre choix que celui – au mieux – du despotisme éclairé face aux corporations de tous ordres et – au pis, si l’opinion regimbe – d’un affrontement différé. C’est en cela que les escarmouches estivales qui ont fait les choux gras de la presse n’ont pas le caractère anecdotique ou artificiel que leur prêtent les porte-paroles du Président. Elles sont logiques. L’étonnant est au fond qu’on s’en étonne. Ou pour le dire autrement, cet étonnement, s’il est réel, n’est-il pas annonciateur de désillusions autrement plus puissantes quand il faudra constater qu’elles traduisaient une manière d’innocence ?

Pour affronter les bourrasques qui sont le lot ordinaire de tout pouvoir, surtout quand il ne se résout pas à la politique du chien crevé au fil de l’eau, mieux vaut avoir enfin les relais qui expliquent, qui protègent et qui, au besoin, sortent les dagues face aux oppositions d’où qu’elles viennent. C’est toute la question du rôle et de l’efficacité de la majorité, à l’Assemblée. Celle-ci est tellement large qu’elle en est presque évanescente. Problème de riche mais problème quand même. Les députés de la République en marche sont neufs. Sont-ils encore frais ? Tout se passe en fait comme s’ils étaient à la fois neufs et déjà défraichis. On a daubé leur manque d’expérience. D’autres avant eux, en 1981 par exemple, s’étaient installés comme les soldats vindicatifs et remplis d’une idéologie parfois sectaire. Les élus du cru 2017 sont d’un autre tonneau. Ce qui n’est pas fait pour rassurer.

Tout député qui découvre la vie parlementaire est obsédé par la question de la fidélité. Fidélité à celui qui l’a fait élire. Fidélité aussi aux raisons supposées de sa promotion. La génération Macron est un mélange de vieux briscards habilement recyclés, de jeunes turcs qui se voient déjà généraux et surtout de nouvelles pousses ébahies d’être là où elles sont. Ces députés-là viennent de « la société civile », ce qui est une manière de dire qu’ils découvrent à la fois les charmes de la vie politique et les contraintes de la vie parlementaire. Ils apportent à l’Assemblée un sang neuf, des pratiques originales, un style rafraichissant. C’est un atout qui a ceci de particulier qu’il n’est que transitoire.

L’ignorer, c’est se perdre à coup sûr. Or tout se passe comme si ces élus issus de la société civile ne voulaient pas voir qu’à partir du moment où l’on détient en mandat, on appartient illico à la société politique. Il en va en ce domaine comme de la virginité. Quand elle est perdue, c’est pour toujours. Or dans les débats parlementaires de cet été, on a pu voir combien les députés novices de la majorité caressaient l’espoir insensé de ne pas assumer leur nouvel état. Non pas qu’ils aient été incapables d’apprendre, comme on l’a souvent dit, mais parce qu’ils refusaient cet apprentissage incompatible à leurs yeux avec de qui fonde leur identité. Encadrés à la schlague et laissés «en même temps» dans la nature, ils ont ainsi fait l’expérience d’une conscience malheureuse que seule aurait pu compenser le promotion d’un programme de réforme tiré au cordeau. Ce qui, on l’a vu, a manqué à l’appel.

Il faut ajouter à cela une particularité qui n’est pas faite pour rassurer. Ce groupe pléthorique est ainsi fait que personne, au sommet de l’Etat, ne sait ce qu’il pense vraiment sur des questions économiques et de société qui domineront la session d’automne. On s’est longtemps demandé s’il serait ou non malléable. On le découvre instable parce qu’étrange et difficilement gérable car, au fond, imprévisible. Pour lever ce mystère, le plus simple serait de le laisser débattre au grand jour. Telle n’est visiblement pas l’intention de ceux qui sont censés l’encadrer et qui craignent de le découvrir frondeur ou bien décalé.

Dans le système Macron, il n’y a d’ailleurs pas que le relai parlementaire qui soit ainsi utilisé dans le seul but qu’il ne serve pas à grand-chose. Le parti lui aussi est « une chose » comme disaient autrefois le ex-communistes italiens lorsqu’ils s’interrogeaient sur le monstre qu’ils étaient en train de construire. «En marche» puis «La République en marche» ont toujours eu une conception a-minima du militantisme et il a fallu que la presse soit diablement imaginative pour voir là une machine capable de renverser les montagnes. Emmanuel Macron a démontré une fois encore qu’une campagne présidentielle pouvait se gagner «avec cinquante hommes décidés» selon la formule de François Mitterrand. L’originalité macroniste, même si on le crie pas sur les toits, est de considérer que pour conserver le pouvoir il n’en faut guère davantage.

Cela réduit inévitablement le rôle du «marcheur», puisqu’il en reste encore, à celui de supporter auquel on ne demande rien d’autre que de porter la bonne parole urbi et orbi. Si le parti doit exister, c’est donc comme un média et non comme un intellectuel collectif chargé d’élaborer un projet spécifique. Dans cette verticalité où tout vient d’en haut pour irriguer le bas, il n’y a rien qui soit de particulièrement original. Ce qui l’est davantage, en revanche, c’est que dans une formation aussi centralisée où l’on nomme au lieu d’élire au point de faire apparaitre les partis à l’ancienne pour des exemples de démocratie participative, rien ne soit fait concrètement pour faire vivre pareil système.

La République en marche est aujourd’hui un parti sans visage. Sa direction est inconnue. Son état-major se confond avec celui du groupe – et encore ! Les statuts qui viennent d’être votés comme au jeu de bonneteau – pas vu, pas pris – organisent ce qu’on n’avait encore jamais vu dans la vie politique française : une centralisation poussée à l’extrême dans une formation dont le centre n’existe pas. Cela comme le reste fait apparaitre un dispositif privé de tout amortisseur et dont le seul moteur est installé à l’Elysée. Quand on voit combien quelques nids de poules l’ont fait tanguer cet été, on peut se dire qu’il suffirait de presque rien – une mauvaise passe sondagière persistante, en l’occurrence – pour le pousser dans le fossé plus tôt qu’aucun n’avait imaginé lorsque Macron était le nom d’un bonheur sans partage.

La première version de cet article a été publiée le 8 août 2017 sur Challenges.fr