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L’histoire vraie d’un conseil de défense

L’histoire vraie d’un conseil de défense

Pour un homme qui dit – et montre souvent ! – n’avoir aucun appétence pour la communication, François Hollande a fait dans le lourd, le très lourd, à l’occasion du conseil de défense qui a débouché, mercredi, sur une rallonge de 3,8 milliards d’euros, sur quatre ans, des crédits alloués aux armées. Dramatisation des enjeux, mise en scène au sein même du gouvernement d’un conflit dont seul le président pouvait être l’arbitre, annonce façon Jupiter du verdict final par le chef d’État en personne au sortir du conclave  : rien n’a manqué à la panoplie que les communicants prêtent d’habitude à leur clients lorsqu’ils partent sur le sentier de la guerre et qu’ils sont sûrs de revenir à la maison avec un lapin dans la besace. On retiendra ainsi cette confidence glissée opportunément par un conseiller de l’Élysée : «Le président a vraiment souhaité maîtriser la communication, tel César qui brûlerait son plan pour que personne ne le connaisse afin d’éviter les jeux d’influence» (Le Monde du 30 avril). César, as-tu du cœur ? Cela tombe bien. Il en avait.

Il en avait même d’autant plus que dans cette partie, tout était réglé d’avance, moins en raison du comportement des acteurs que des faibles marges dont disposait François Hollande. La piste d’atterrissage était balisée avant même que ne débute le conseil de défense du 29 avril, lors de trois réunions préparatoires avec les principaux protagonistes du dossier. Tout cela se résume en quelques questions qu’il suffit de poser pour comprendre combien les réponses étaient dictées par ceux-là même qui les avaient mises sur la table.

Le président pouvait-il, dans le contexte actuel, ne pas accorder à la Défense une rallonge budgétaire qui lui permette de remplir les missions qu’on lui a fixée, le tout dans le respect d’une loi de programmation votée il y a à peine deux ans ? Comment le président pouvait-t-il annoncer, chaque jour, avec Manuel Valls, que la France est en guerre et lui refuser, en même temps, les moyens que sa sécurité oblige ? De son côté, Jean Yves Le Drian pouvait-il contester les modalités pratiques de cette rallonge dès lors qu’on lui donnait globalement satisfaction? Quant à Michel Sapin, le ministre des Finances, pouvait-il chipoter, autrement qu’à la marge, le versement de crédits supplémentaires à partir du moment où, facialement, étaient respectées les règles de bonne gestion financière dont il est le garant, notamment vis à vis de Bruxelles ?

Poser ces questions, c’est y répondre. Y répondre, trop tôt, c’eût été vider la réunion élyséenne de mercredi du seul enjeu permettant au chef de l’État d’apparaître tel qu’il voudrait qu’on le voit, régalien en diable et droit dans ses rangers. Dans cette partie, le scénario était écrit, dans ses lignes principales, depuis le début janvier lorsqu’après les attentats de Paris, François Hollande est allé au large de Toulon présenter ses vœux aux armées et qu’il leur a promis que les réductions d’effectifs seraient moindre que celles qui avaient été programmées initialement.

Tout s’est joué ce jour-là dans l’avion qui conduisait sur le Charles de Gaulle le président de la République et son ministre de la Défense. Une fois encore, Jean-Yves le Drian a su convaincre son vieux camarade qu’il n’avait pas le choix tandis qu’à l’Élysée, le chef d’État major particulier, Benoît Puga, une fois encore, jouait à front renversé en expliquant que l’effort demandé, sur le plan financier, n’était peut-être pas aussi justifié que certains le prétendent à l’hôtel de Brienne. A l’évidence, ces mises en garde n’ont pas suffi. A Toulon, François Hollande a même été encore plus loin en donnant publiquement son feu vert à un projet complexe imaginé par Emmanuel Macron, lorsqu’il était encore secrétaire général adjoint de la présidence et qu’il avait su vendre aussi bien à son supérieur hiérarchique, Jean-Pierre Jouyet, qu’au ministre en charge du dossier, Jean-Yves Le Drian.

Ce projet porte un nom. SPV pour «Special purpose vehicle» qu’à Bercy, on a traduit illico par «SVP la monnaie», tout en notant au passage que ce tour de passe-passe avait été utilisé autrefois, dans des opérations similaires par… le gouvernement grec ! De quoi s’agit-il exactement ? D’une technique apparemment indolore sur le plan budgétaire consistant non pas à verser directement les crédits nécessaires pour l’équipement des armées mais à créer une société dite de projet, avec des capitaux privés, pour acheter du matériel reloué ensuite à ceux pour qui il est destinés. Or aux yeux de Michel Sapin et de ses services, cette petit fripouillerie relevait d’un art du camouflage, bien dans la tradition militaire, mais attentatoire aux habitudes de Bercy et surtout aux règles les plus avérées de la comptabilité publique pour un résultat final d’ailleurs bien moins économe que veulent bien le dire ceux qui l’ont imaginé.

Si escarmouche il y a eu, avant le conseil de défense de mercredi, elle est là et nulle part ailleurs. Or celui qui a mangé son chapeau est précisément celui là même qui a voulu faire admirer ses plumes à l’issue de la réunion. Le SPV béni par François Hollande et qu’Emmanuel Macron avait commencé à mettre en forme dans le projet de loi qui porte son nom, est passé à la trappe d’autant plus facilement que les ministres, prétendus rivaux, s’étaient mis d’accord – fut-ce de manière implicite – pour qu’il en soit ainsi.

À Jean-Yves Le Drian, la rallonge. À Michel Sapin, la méthode. L’un a su jusqu’où ne pas aller trop loin dans ses exigences pourvu que les garanties soient celles qu’il espérait. L’autre a consenti à ouvrir sa bourse pourvu qu’il soit acté que les dépenses nouvelles seront demain compensées par des économies accrues dans d’autres ministères, civils en l’occurrence. Sur de telles bases, l’arbitrage de François Hollande relevait donc du constat d’huissier. Après être parti très loin dans un sens, à Toulon, en janvier, le président est revenu tout aussi loin dans l’autre, à l’Élysée, fin avril.

On retrouve là une manière de faire très caractéristique du chef de l’État qui ne déteste pas tirer des bords pourvu qu’au bout du compte soit trouvé un point d’équilibre qui satisfasse toutes les parties en présence et soit conforme à l’idée qu’il se fait de l’intérêt national. Il ne fait aucun doute que Brienne et Bercy poursuivront dans les mois à venir cette partie une bras de bras de fer qui n’a jamais cessé depuis 2012, quels que soient les ministres en présence, et dans lequel il entre autant d’énervements réels que de jeux de rôle ô combien maîtrisés.

On remarquera simplement, à l’heure des comptes, que ce sont toujours les mêmes qui gagnent et que jamais, dans l’histoire récente de la République, le ministère de la Défense n’a su faire respecter de manière aussi stricte les engagements pris à son égard. La gauche au pouvoir est bien meilleure fille avec les militaires qu’on ne le prétend parfois. Quand on le lui fait remarquer, François Hollande répond simplement qu’en l’occurrence, ce sont les circonstances qui lui dicte la loi et que depuis l’intervention au Mali, en janvier 2013, il n’a plus d’autre choix. Dans ce champ de contraintes, le président avance sans complexe et à la godille. C’est original, même si d’autres avant lui avaient agi à l’identique. C’est en cela – et en cela surtout – que la médiatisation du conseil de défense du mercredi 29 avril 2015 méritera, un jour, une place dans la petite histoire de son quinquennat.