Blog

Macron est le petit frère d’Aubry

Macron est le petit frère d’Aubry

C’est fou comme ces deux-là se ressemblent. Aujourd’hui, ils s’insupportent. Comment, pourtant, ne pas être frappé, au delà des clichés et des idées préconçues, par la similitude de leur parcours et la proximité de leurs projets initiaux ? Aussi curieux que cela puisse paraître, Emmanuel Macron et Martine Aubry appartiennent à la même famille. Ils sont comme frère et sœur. Vingt sept ans d’écart, certes. L’un est en début de carrière, l’autre au seuil de la retraite. N’empêche qu’ils avaient à peu près le même âge – 37 ans pour l’un, 41 ans pour l’autre – lorsqu’ils sont devenus pour la première fois ministre et que le grand public, séduit par tant de fraîcheur, a découvert leur visage et leur personnalité contrastée. C’est à ce moment là qu’il faut les observer, un instant, pour découvrir chez eux une forme de gémellité politique dont on peut d’ailleurs imaginer qu’ils ne sont guère conscients.

Tous les deux sont énarques. Ils appartiennent à l’aristocratie de l’État. Emmanuel Macron est sorti dans la botte. Il sera inspecteur des finances. Martine Aubry a débuté à un rang plus modeste comme administratrice civile au ministère du Travail avant d’être promue, pour bons et loyaux services, au Conseil d’État, au tour extérieur. Ils avaient fait leurs classes auparavant dans les écoles huppées de l’enseignement catholique. Militants discrets et épisodiques dans les rangs du PS, ils ont fréquenté, dans leur jeunesse, les mêmes cercles intellectuels, tous proches de la seconde gauche (Esprit, Ricoeur, la CFDT…). À une génération de distance, ils incarnent le meilleur de l’élite rose au pouvoir.

Tous les deux ont fait leurs premières armes dans les cabinets ministériels. En 2012, Emmanuel Macron est devenu secrétaire général adjoint, à la présidence de la République. En 1981, Martine Aubry est devenue directrice adjointe du cabinet de Jean Auroux, alors ministre du Travail. C’est là qu’ils ont vite été repérés pour leur efficacité et leur originalité. Qualités qui leur a valu, ensuite, d’entrer au gouvernement, sans avoir à passer par la case élection. L’un et l’autre enfin, avaient choisi auparavant de découvrir les charmes du privé. Emmanuel Macron comme banquier d’affaire chez Rothschild, Martine Aubry à la direction du groupe Pechiney. Là encore, leur réussite a été éclatante dans une tension assumée entre leurs convictions de gauche et les tâches qui leur étaient confiées. Emmanuel Macron a fait de la fusion-acquisition à tour de bras pour un très confortable salaire. Martine Aubry, pour le même prix, a géré le secteur nucléaire de Pechiney, loin de ses nouvelles convictions écolo-sociales. C’est ce qui a contribué à forger, le temps d’une saison, leur réputation commune, hors des sentiers battus du socialisme à l’ancienne.

Tous les deux ont été, à un moment ou un autre, la coqueluche des patrons et d’une partie de la droite. Emmanuel Macron est désormais la vedette incontournable des universités d’été du Medef. Lui aussi aime l’entreprise et les entrepreneurs le lui rendent bien. Nicolas Sarkozy vient de lui conseiller de rejoindre les rangs des Républicains. Adulée par Philippe Séguin, admirée par Jacques Chirac qui jurait qu’elle lui succéderait un jour à l’Élysée, Martine Aubry a été surnommée lorsqu’elle était ministre – et même un peu après… – «la madone des patrons». C’était l’époque où Gandois, Riboud, Schweitzer, Monod, Lacharrière ou Minc lui tressaient chaque jour des louanges au point de financer à grands frais sa Fondation Agir contre l’exclusion (FACE). Cela n’a eu qu’un temps mais cette lune de miel a duré suffisamment longtemps pour que cette réputation lui colle longtemps à le peau.

Tous les deux ont exploré, au même âge, les chemins escarpés de la rénovation, à gauche. Emmanuel Macron, à Bercy, tente aujourd’hui de reconstruire un corpus idéologique compatible avec les valeurs d’égalité et un certain libéralisme progressiste. On a trop oublié que Martine Aubry, quand elle était au Travail, sous Cresson puis Bérégovoy, a été le héraut d’une même modernité, adaptée aux contraintes de son temps. Dans cet exercice d’équilibre, elle n’a pas suivi les mêmes élans transgressifs de ses collègues de l’époque, qu’ils se nomment Michel Charasse ou Bernard Tapie. Elles les a toutefois fréquenté, tous les mercredi au conseil des ministres, sans trop se boucher le nez. De même, elle a aimé travailler sous les ordres de deux Premiers ministres dont on ne sache pas qu’ils étaient d’équerre avec les règles de l’orthodoxie socialiste. À l’âge qu’a aujourd’hui Emmanuel Macron, Martine Aubry incarnait le renouveau d’une gauche qu’elle entendait débarrasser de ses vieilles lunes et de ses recettes éculées. Ce qu’elle dénonce aujourd’hui n’est rien moins que ce qu’elle expérimentait, hier.

Tous les deux, au même stade de leur carrière, n’ont d’ailleurs pas été de chauds partisans de la réduction du temps de travail. Emmanuel Macron vient d’en faire l’aveu. On oublie trop souvent que Martine Aubry, avant devenir la Dame des 35 heures, sous Jospin, a contesté – et avec quelle vigueur ! – cette réforme devenue, après coup, le saint Graal de son camp. Il est vrai qu’à l’époque, celle-ci ne faisait pas l’unanimité, à gauche. Promue par la CFDT et les amis de Rocard, elle était contestée tant à FO qu’à la CGT qui voyaient là – autre temps ! – l’expression achevée de cette économie du partage, chére au syndicalisme chrétien. Venue parler, en septembre 1992, comme ministre du Travail du gouvernement Cresson, devant 5000 militants cédétistes qui scandaient «trente-cinq heures, trente-cinq heures», Martine Aubry leur avait lancé sans complexe : «J’ai bien compris qu’ici, pour se faire applaudir, il faut parler de la réduction du temps de travail. Eh bien, vous allez être déçus. Je ne crois pas qu’une mesure générale de diminution du temps de travail créerait des emplois». Du Macron dans le texte !

Tous les deux, enfin, ont imaginé, un temps, pouvoir faire une carrière politique, sans passer par l’étape initiatique de l’élection. Emmanuel Macron n’a pas de mandat. Il a refusé en 2014 de se présenter à Amiens, comme le lui suggérait François Hollande. Il vient de rejeter les propositions qui lui étaient faites pour les régionales de décembre prochain, en Rhônes-Alpes-Auvergne. On l’a longtemps dit tenté par la circonscription de Jean Glavany dans les Hautes Pyrénées mais il vient d’annoncer qu’il ne souhaitait pas devenir député en 2017. Martine Aubry, après être devenue ministre de Cresson puis Bérégovoy, a préféré ne pas se présenter dans une circonscription – on parlait alors de Paris, face à Juppé – lors des législatives de 1993. Bien lui en a pris, vue la déroute qu’à subi alors le PS. Après avoir hésité entre Pau et Villeurbanne, elle a fini par accepter le parachutage – confortable, au demeurant – que lui proposait Pierre Mauroy à Lille avec la promesse de lui laisser, bientôt, les clés du beffroi. C’est un parcours du même type que semble imaginer aujourd’hui Emmanuel Macron, alors que les législatives de 2017 s’annoncent comme un remake de 1993. Son premier rendez-vous électoral est fixé pour plus tard. Aux municipales de 2020, l’actuel ministre de l’Économie sera mûr. A Lyon, Gérard Collomb ne repartira sans doute pas pour un quatrième mandat. Lui qui fut longtemps mauroyste se cherche un successeur. On devine déjà son nom.

Ces étranges similitudes entre les trajectoires initiales d’Emmanuel Macron et de Martine Aubry ne préjugent de rien pour la suite. Pour autant, la comparaison de ces deux destins n’est pas qu’un exercice de style. Bien sûr, un jour, la maire de Lille a bifurqué. Elle a retrouvé, sous Jospin, à la fin des années quatre-vingt-dix, les chemins de l’orthodoxie qui la conduisent aujourd’hui à condamner, sans nuance, ceux qui reprennent le rôle titre de la rénovation, à gauche. Question de caractère, sans doute, chez une femme qui, après avoir pris tant de coups, ne déteste pas les distribuer à son tour.

Du coup, la question qui se pose à Emmanuel Macron n’est pas de savoir à quelle époque de la vie de Martine Aubry, il compte, demain, se référer. Il est d’ailleurs probable que toute cela l’indiffère. Elle est plutôt de deviner comment, avec un même capital de départ, il pense réussir mieux que son aînée en devenant – qui sait, dans une vingtaine d’année – celui qui ne dira pas «ras le bol» à la jeunesse qui vient, qui ne respecte rien et qui croit qu’à ce rythme, l’Élysée finira bien par s’ouvrir sous ses pas.

Cet article a été publié le 4 octobre 2015 sur Challenges.fr