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Marine et Marion : la prochaine guerre du Front

Marine et Marion : la prochaine guerre du Front

Dans le procès Le Pen, celui qui est en train d’aboutir à la liquidation politique du fondateur du FN, sans doute vaut-il mieux laisser dormir tranquillement Shakespeare et les mânes du roi Lear. Quitte à mobiliser la littérature, on se reportera plutôt vers l’œuvre d’un poète-romancier oublié et burlesque, Georges Fourest, dont un vers, au moins, demeure dans les mémoires : «Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa». Voilà pour Florian Philippot. Georges Fourest, en son temps, prévenait «les mères de familles» qu’il n’écrivait pas «pour les petites filles». Il y a longtemps que Marine Le Pen, et sa nièce, Marion n’appartiennent plus à cette catégorie. Voilà qui règle au moins la question de leur innocence. Personne d’ailleurs n’a jamais douté qu’elles le soient assez peu. Reste donc un cadavre – un de plus – sur la grande scène du théâtre français, façon extrême droite. Mais au fond, qu’est-ce que ça change vraiment ?

Pour comprendre, il faut prendre la mesure de la vraie nature du Front. Ce parti est un clan. Ce clan est une famille. Cette famille est une marque. Cette marque, enfin, est un trésor. C’est ce qui explique à la fois sa force et sa fragilité. Quiconque porte le nom de Le Pen est habilité, depuis la nuit des temps, à revendiquer des dividendes puis à exiger une part de l’héritage, si ce n’est celui-ci tout entier. Dans une formation politique où le partage n’est pas une valeur cardinale, il était donc logique qu’un jour ou l’autre les sicaires remplacent les notaires. On en est là. Il fut un temps où il n’y avait que le père. Puis il y a eu les filles et leurs compagnons avec leurs enfants respectifs. Au gré des scissions, des brouilles et des scènes de ménage, l’offre a fini par se simplifier. Hier, Jean-Marie et Marine. Aujourd’hui, non pas Marine seule, comme on le dit trop souvent, mais Marine et Marion, comme une promesse de nouvelles aventures, pas moins brutales que les précédentes.

Il y a deux façons de raconter le film de ces dernières semaines. On peut faire de Jean-Marie Le Pen le héros central d’une histoire dont le ressort est alors d’une grande banalité. Le patriarche ne voulait pas qu’on l’enterre avant d’avoir rendu son dernier souffle. Plutôt que de vieillir comme un papy qu’on abandonne en bout de table en lui demandant seulement de ne pas parler trop fort, il a choisi de mourir flamberge au vent, dans une forme d’indignité qui, au moins, attirait l’attention sur son sort. L’interview de Rivarol était une provocation potentiellement suicidaire et assumée comme telle. Sombrer en 2015 sous la bannière de Pétain, il faut quand même le faire ! Jean-Marie Le Pen s’y est risqué. Sauf à croire qu’il a perdu la boule, tout laisse à penser qu’il devinait – qu’il espérait secrètement ? – la sanction qui lui était promise et qui, au moins, le statufiait ad vitam æternam.

Sa disparition désormais programmée n’a sans doute pas fini de faire du bruit jusqu’à la barre des tribunaux. Mais il est pourtant clair que, de saillies et saillies, le fondateur du Front aura du mal à rester autre chose qu’un de ces personnages dont les médias finissent toujours par se lasser. Pour mettre en scène son naufrage, Jean-Marie Le Pen a fait se lever une tempête. On se souviendra sans doute de son dernier cri : «Jeanne, au secours». On se souviendra aussi que Jeanne, en l’occurrence avait d’autres chats à fouetter. Fin du dernier acte. Rideau.

Ceux qui regardent un peu plus loin que le bout des couteaux qu’on brandit sous leur nez peuvent toutefois deviner que le vrai film qu’on tourne sous leurs yeux est porté par un scénario un peu plus subtil qu’on ne veut bien le dire. Derrière «Meurtre à Montretout», avec Marine et ses potes dans les rôles principaux, il y a mieux qu’un remake de «Nid de vipères». Le coup décisif contre Jean Marie Le Pen n’a pas été porté, le 4 mai dernier, lors d’une réunion du Bureau politique du FN, convoquée à la demande de la présidente du parti. Tout s’est joué, en fait, à la mi-avril, quand sa petite-fille Marion a annoncé, sans ciller, qu’elle était prête à conduire à sa place la liste régionale en PACA, à la fin de l’année.

Depuis, la députée du Vaucluse a fait mine d’hésiter. Elle vient même de faire savoir que la manière dont le fondateur du Front est en train d’être liquidé, via une refonte de statuts du parti, ne lui plaît qu’à moitié. N’empêche qu’elle va laisser faire après avoir confirmé que son sens du devoir l’obligeait à prendre la relève sur ces terres du Midi où son grand-père a su mener, autrefois, ses plus rudes combats. C’est là que le drame s’est noué. C’est là aussi qu’est vraiment tombé le couperet. Pas d’alliés, plus d’avenir ! Quand Marion s’est levée, Jean-Marie Le Pen a vu disparaître la seule carte qui lui aurait permis de gagner encore un peu de temps dans une ultime négociation avec les nouveaux patrons de son ex-boutique. Dès lors qu’il pouvait être ainsi remplacé, au pied levé, par le dernier rejeton de sa lignée, c’est que la messe était dite. Tu quoque…

Pour autant, le nouveau Front n’est qu’à la marge, ce parti «dédiabolisé» que sa présidente dit avoir expurgé de ses références les plus datées et donc les plus inutilement encombrantes. Seul l’objet de sa xénophobie a changé de visage. Pour le reste, rien ne bouge et il suffit pour s’en convaincre de relire les récents discours de Marine Le Pen et notamment celui qu’elle a tenu le 1er mai, place de l’Opéra à Paris. La vraie différence avec l’ancien FN est désormais dans une répartition des rôles d’un genre inusité, au sein même de la famille. Au duo Jean-Marie/Marine, succède un autre qui va bien au delà d’un simple partage des territoires et des thématiques défendues devant les électeurs. Marine tient le Nord. Son discours se veut transgressif, social et foncièrement anti-européen. Il s’attaque bille en tête aux intérêts de la droite classique. Marion, elle, tient le Sud. Son discours est plus réactionnaire et plus libéral. Il répond davantage aux canons habituels de l’extrême-droite en France et, à ce titre, il est davantage compatible avec celui d’une droite radicalisée.

Ces deux Fronts ne sont pas antagonistes et d’une certaine façon, ils cohabitaient déjà un peu du temps où le père et la fille savaient encore sauver les apparences. Le changement qui est en train de s’opérer, au sein du FN, est en fait strictement générationnel. Marine Le Pen a définitivement gagné le combat pour l’héritage à court terme. Elle tient le parti, elle contrôle sa ligne, elle sera la candidate en 2017. Mais pour en arriver là, il lui a fallu tuer le vieux chef décati mais aussi accepter, pour cela, que s’installe, derrière elle, une relève qui porte son nom, qui a les dents longues et qui, inévitablement, cherchera à son tour, un jour ou l’autre, une part de la lumière.

«Le marinisme» rejoue, en ce sens, avec «le marionisme», une partie dont on a pu voir, du temps de Jean-Marie, qu’elle n’était pas sans risque. Pour le moment, tout semble sous contrôle. Mais il suffirait que l’actuelle présidente du FN trébuche et qu’elle échoue, par exemple, à se qualifier pour le second tour de la prochaine présidentielle, pour que, dans la famille lepéniste, l’idée s’installe à nouveau que sous la même marque, une autre figure puisse relever l’honneur du nom. C’est tout le danger des stratégies fondées, pour l’essentiel, sur l’efficacité présumée d’une simple rectification du discours ou du style. Au moindre échec, les têtes valsent. Qui peut vraiment assurer que la plus jeune, celle de Marion, ne sera pas, demain, la plus solide lorsque le temps aura fait son œuvre et que reviendra, du même coup, celui des projets homicides ?

Cet article, revu et actualisé, a été publié, dans sa forme initiale, le 5 mai 2015, sur Challenges.fr.