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Retraite à points, inquiétude universelle

Retraite à points, inquiétude universelle

Le gouvernement a-t-il trop tardé pour réformer les retraites ? Avait-il d’autres choix que d’attendre la mi-mandat pour engager cette réforme périlleuse ?

Cette réforme, telle qu’elle avait été présentée durant la campagne présidentielle, pouvait paraitre simple, au moins dans son principe : individualisation, égalité, universalité. Mais le passage d’un système à l’autre s’est vite montré d’une redoutable complexité vu le nombre des personnes concernées et la multiplicité de leur statut. Il était donc irréaliste pour le gouvernement de s’engager dans cette affaire sans une phase préalable d’étude et de concertation, fût-elle purement formelle. J’ajoute que, dans le projet présidentiel des origines, la retraite à points n’avait pas la place centrale qu’elle occupe aujourd’hui. Dans Révolution, le livre programme du candidat, ce projet de réforme est exposé en quelques pages rapides et assez générales traitant également de l’hôpital et l’assurance chômage. L’expression de retraite à points n’y figure d’ailleurs pas encore. Ce qui est annoncé, c’est essentiellement la nécessité d’une refondation d’un système de protection sociale décrit comme étant en état de « mort clinique » – une expression qui visiblement plait à Emmanuel Macron ! En termes de calendrier, ce qui a changé la donne, c’est le rythme qu’a pris le quinquennat et les obstacles auxquels il s’est heurté. Après une première année au pas de charge (loi travail, réforme fiscale, réforme de la SNCF), le quinquennat Macron a pris, entre l’affaire Benalla et le mouvement des gilets jaunes, un tour essentiellement défensif. A la suite de cette année perdue, le Président a considéré que si la méthode de la réforme pouvait changer, son urgence, elle, devait être réaffirmée, sauf à détruire l’ADN de son mandat. C’est donc la logique de l’acte 2 qui fait de l’affaire des retraites la mère des batailles, nécessaire et périlleuse à la fois, avec le risque évident qu’elle soit perçue par les Français comme un acte d’autorité d’une utilité contestable, davantage destiné à rehausser l’image réformatrice du Président et du gouvernement qu’à régler les problèmes du pays. C’est la petite musique qu’on entend monter ces temps-ci : pourquoi diable vouloir tout bousculer alors qu’il aurait été si simple de remettre le système d’aplomb avec quelques mesures paramétriques ?

L’exécutif a-t-il trop chargé la barque ? Son projet est-il irréaliste ou bien trop ambitieux ?

Il a surtout changé de nature, au moins dans la manière dans il est perçu. Au départ, il devait être uniquement systémique. Macron, lorsqu’il était candidat, affirmait en s’appuyant sur les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR), qu’il était inutile d’envisager des mesures d’ordre paramétriques (âge de départ, durée de cotisation, montant des pensions). C’était une façon de suggérer que la retraite à points n’était qu’une adaptation juste et neutre à l’évolution des carrière professionnelles. Difficile d’être contre, au moins sur le principe. Mais aujourd’hui, il apparait que cette réforme systémique n’est qu’un détour ou un leurre destiné à régler des problèmes essentiellement financiers. Dès avant l’été, le Président a conforté les Français dans cette idée en leur expliquant qu’ils allaient devoir travailler plus longtemps. Après avoir juré qu’on ne toucherait pas à l’âge légal de la retraite, il a mis en avant le concept d’âge pivot. Il a demandé au COR un nouveau rapport qui – miracle – a dit l’inverse de ce qu’il affirmait deux ans plus tôt. Il a mis enfin l’accent sur la lutte contre les régimes spéciaux dont les Français ont découvert au passage qu’ils étaient 42 et non pas réservés aux seuls salariés de la SNCF et de la RATP alors même, soit dit en passant, qu’ils étaient censés avoir disparu depuis la réforme de 2007 voulue par Sarkozy et mise au point par Xavier Bertrand. Pour compliquer le tout, le projet du gouvernement, tel qu’il est aujourd’hui esquissé, protège le statut des salariés « actifs » de l’Etat (militaires, policiers douaniers…) alors que l’ambition affichée par la réforme était de n’en épargner aucun. Résumons-nous : cette réforme systémique prend désormais un tour essentiellement paramétrique ; elle devait être simple, elle est devenue illisible; elle devait être égalitaire, elle ne l’est que très partiellement; elle devait être juste, elle ne l’est à peu près que dans la répartition des sacrifices dont on avait nié la nécessité. Bref, elle n’est universelle que dans la crainte qu’elle inspire.

Quelle est cette bataille d’opinion qui se livre depuis 2017 et dont la réforme des retraites n’est qu’un nouvel épisode ?

Elle touche aux fondamentaux du macronisme. Le Président considère que notre système d’organisation collective est moribond. Pour tenir son rang dans la compétition mondiale et préserver, à terme, son unité, la France doit donc, selon lui, se transformer au plus vite, quitte à liquider son exception et à abaisser le niveau de protection dont jouissent nos concitoyens. Cette grande transformation, Macron la veut rapide. Il la prétend juste. Tout cela exige la confiance. Or c’est précisément, ce qui manque aujourd’hui à tous ceux qui détiennent une part de l’autorité publique et qui n’ont pas, de surcroit, les marges budgétaires pour faire passer la pilule. Q. Quel est l’enjeu pour Macon, dans les semaines qui viennent ? Est-ce la présidentielle de 2012 qui est-elle en train de se jouer ? R. En partie, oui puisque la réussite de l’acte 2 du quinquennat est désormais liée au sort qui sera fait à la réforme des retraites. L’objectif du gouvernement, tel qu’on le devine, est de pouvoir dire à terme que la réforme est enclenchée même si sa date d’application réelle est repoussée à plus tard. Appelons ça la clause du père, du grand père ou du cousin germain, peu importe. Je ne vois pas d’autre solution que celle là pour sortir du conflit dés lors qu’on écarte l’idée d’une retraite – c’est le cas de la dire ! – en rase campagne. Plus généralement, si l’on raisonne en fonction des échéances électorale de 2022, ce n’est pas la réforme en elle-même mais la manière dont elle sera éventuellement mise en forme qui pèsera sur le destin de Macron. Un passage en force peut ainsi faire autant de dégâts électoraux qu’un compromis plus ou moins honorable. A titre de comparaison, Hollande en son temps a fait adopter au forceps, malgré la rue, la loi travail de Myriam El Khomri mais la facture électorale s’est révélée très lourde pour son camp. L’équation politique de Macron est certes différente mais au fond d’une nature comparable. Son socle est désormais à droite et c’est ce que l’emprisonne. Il ne peut le préserver qu’en incarnant l’autorité, la réforme et l’ordre. S’il plie, s’il freine, si la chienlit s’installe, alors inévitablement cet électorat retournera à ses anciennes amours et cela d’autant plus qu’il aura le sentiment que le Président n’est plus le rempart qu’il prétend contre la menace lepéniste. En ce sens, en effet, la réforme des retraites est pour lui capitale. Ce n’était peut-être pas écrit d’avance mais s’y joue désormais son identité et sa performance. Rien de moins !

Cet entretien a été initialement publié le 5 décembre 2019 dans Le Figaro.