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Valls, sauvé des eaux

Valls, sauvé des eaux

François Hollande avait annoncé, à l’avance, qu’il n’avait pas l’intention de se séparer de Manuel Valls après les élections départementales. Le résultat du 1er tour ne peut que l’inciter à persévérer dans cette voie. Enfin une promesse que l’Élysée va pouvoir tenir! Pour comprendre, il faut comparer. L’année dernière, le président ne comptait pas licencier Jean-Marc Ayrault jusqu’à ce qu’il admette, bon gré mal gré, que la déroute du PS aux municipales l’obligeait à tout changer  : Matignon, le gouvernement, le premier secrétaire avec, au bout du compte, une inflexion de ligne définitivement assumée. Il est probable que, dimanche prochain, la gauche dans son ensemble subira une défaite de même ampleur que celle de 2014 et que le moitié – au moins ! – de ses présidents de conseils généraux tombera au champs d’honneur. Pourtant, l’effet de cette hécatombe sera sans doute l’inverse de celui de l’année dernière.

La vraie différence, c’est le comportement du Premier ministre en place. Là où Jean-Marc Ayrault s’était résigné, Manuel Valls a choisi de se battre. Pour les municipales, l’un avait cru qu’il était possible de limiter la casse en dépolitisant le scrutin. Son pari implicite était que l’ancrage local des maires sortants leur offrait une prime suffisante pour résister à une vague nationale. On a vu le résultat… La défaite du PS a été lue et analysée à la lumière de cette erreur d’appréciation. Doublement coupable, Jean-Marc Ayrault est ainsi devenu indéfendable et d’ailleurs, il n’a pas été défendu, même si sa part de responsabilité était moins forte qu’on a pu le prétendre. C’est donc d’expérience que Manuel Valls a opté, en 2015, pour une stratégie inverse, adaptée de surcroît à son tempérament. Il a sonné le tocsin. Il a dramatisé les enjeux. Il a ciblé en priorité le Front national en appelant à la mobilisation des électeurs républicains. Il a fait du scrutin un test de la solidité du système et non de la validité de la politique suivie au sommet de l’État. Or, au final, la participation a été plus forte que celle qui était attendue, le parti de Marine Le Pen n’a pas réussi à conforter son statut de premier parti de France acquis lors des européennes de juin dernier et les formations classiques n’ont pas été balayées.

Dimanche soir, Manuel Valls ne s’est pas précipité pour rien à la télévision, à peine connues les estimations des instituts de sondages. Il a engrangé sans tarder non pas la victoire de la gauche mais sa réussite personnelle à partir des critères qu’il avait lui même définis. Simple opération de com’ ? Ceux qui le prétendent se font une idée fausse des règles de la communication. Ils considèrent celle-ci comme le règne de l’artifice et donc du mensonge. Ils ne veulent toujours pas comprendre qu’en politique aussi, la force d’un message découle de sa cohérence, avant et après l’événement. Manuel Valls, au cours de ces dernières semaines, a été moqué. Ses adversaires – et pas seulement à droite ! – ont expliqué à longueur de colonnes qu’il se trompait d’adversaire ou, pis, qu’il faisait le jeu du FN en le plaçant de facto au cœur de la campagne. Ce faisant, ils sont tombés dans le piège qui leur était tendu en acceptant d’avance que les résultats du 1er tour soient vus avec les lunettes que leur proposait Matignon. Manuel Valls, pour le dire autrement, a pris un risque. Or la prise de risque est précisément ce qui donne toute sa puissance au message et le transforme en un acte politique incontestable.

Les habituels contempteurs du Premier ministre l’ont laissé, une fois encore, dicter une grille de lecture qui, seule, pouvait donner à l’échec de son camp l’allure d’un sauvetage au bord du précipice. Manuel Valls ne se définit guère autrement que comme une volonté efficace. Dès lors qu’on accepte de le suivre sur ce terrain-là, la messe est à moitié dite, surtout quand on oublie de fixer soi-même les critères de cette prétendue efficacité. Le Premier ministre n’a pas de meilleurs amis que soit-disants adversaires. Ce sont eux qui le confortent à son poste dès lors qu’ils acceptent d’entrer dans son schéma stratégique tandis que les médias moutonniers suivent leur pente naturelle en durcissant à l’extrême le caractère faussement prédictif des sondages qui leur servent de boussole. Quoi qu’il se passe dimanche prochain, Manuel Valls vient donc de gagner ses galons de résistant en chef. Sans doute pousse-t-il un peu loin le bouchon lorsqu’il explique que le total de la gauche, au 1er tour, est à peu près comparable à celui de la droite classique. Mais là encore, il désamorce une part de la contestation en acceptant de ranger tout ce petit monde dans un même camp qui est celui de la République puis en donnant des consignes de désistement qui accréditent ce mode de classification.

Dans cette opération qui a fonctionné parce que ses ressorts n’ont pas été contestés lorsqu’il en était encore temps, Manuel Valls a enfin joué une partition que François Hollande avait bénie en la reprenant à son compte durant la campagne. Le président de la République aurait sans doute souhaité que son Premier ministre, dans son rôle de chef de guerre, ne concentre pas autant ses attaques sur la seule extrême droite. On a d’ailleurs vu, la semaine dernière, que Matignon avait rectifié le tir en négligeant un peu moins Nicolas Sarkozy et ses amis de l’UMP. Reste qu’au bout du compte, la stratégie vallsienne a servi celle de Hollande. Le président, depuis le début, n’a qu’un seul objectif : enjamber le scrutin des départementales pour rebondir ensuite sur le discours ô combien prévisible de l’union nécessaire d’une gauche rendue à l’esprit de responsabilité. Au 1er tour, le risque, pour lui, était que le système vole en éclat et le contraigne à des initiatives autres qu’un remaniement sous le signe du rassemblement. L’incontestable succès de l’UMP, paradoxalement, le sert en préservant a minima le caractère classique du débat public.

On peut bien sûr considérer qu’il entre dans tout cela beaucoup de faux semblants. N’empêche que la tripolarité confirmée du système politique français ne semble pas encore en mesure de faire chuter ceux qui sont les derniers garants de sa stabilité. Valls, comme Hollande et, avec eux, Nicolas Sarkozy, dansent en dessous du volcan. Mais au lendemain du 1er tour des départementales, malgré l’éruption frontiste, ils sont encore en vie. Le président préside, le Premier ministre résiste et le chef de l’UMP s’impose. Tout cela est fragile. Mais dans le contexte actuel, les uns et les autres ont appris à se contenter de peu. Pour revenir à Manuel Valls, on retiendra que sa stratégie les a tous servis et que cela justifie, en ce qui le concerne, une prolongation de bail à Matignon qui sans doute ne règle rien mais qui, au moins, évite le pire.