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À mi-mandat

À mi-mandat

À mi-mandat, quel type de Président Emmanuel Macron est-il ?

C’est un Président qui reste solide car adossé à des institutions qui le sont également, quoi qu’en disent certains. C’est un Président pourtant fragile car ses bases sociales sont étroites et son socle électoral trop friable pour lui assurer d’office une réélection dans le match annoncé, préparé, voulu contre Marine Le Pen. C’est un Président dont l’image est contrastée mais durablement installée (énergie/arrogance) alors que son identité politique reste floue dans la mesure où son « progressisme », fruit du « en même temps », est un éclectisme frisant l’opportunisme. C’est enfin un Président que l’opinion, avant son élection, plaçait plutôt à gauche et qu’elle place désormais plutôt à droite. Tout cela me confirme dans l’idée que Macron est l’expression et non la solution d’une crise démocratique de grande ampleur. En cela, il est potentiellement un Président de transition entre un vieux monde qui rend l’âme et un nouveau monde populiste qui n’est plus dans les limbes. C’est ce qui explique qu’on trouve dans son action des traces de l’un et de l’autre, en fonction de sujets et des périodes considérées.

C’est aussi un hyperprésident ?

Nécessairement. Macron pousse qu’au stade ultime la logique de la Cinquième à l’ère du quinquennat : centralisation, personnalisation. « Vous m’entendrez moins » avait-il promis au printemps dernier. Or, en pratique, rien n’a changé. Le Premier ministre parfois corrige ou recadre mais n’est jamais dans l’initiative. Le gouvernement reste une vitre : on voit le Président à travers. Le parti est sans muscles et le groupe sans nerfs. Du coup, ce pouvoir manque de capteurs, d’amortisseurs et de contrepoids. Le moindre incendie remonte jusqu’au cœur du système. Quand le Président ne dit rien ou s’exprime par bribes, c’est tout le pouvoir qui parait muet ou inaudible.

À Rouen la semaine dernière, Macron semblait regretter cette centralisation ?

Mais parce que c’est pour lui un choix devenu une contrainte. Sans cette centralisation, le système se grippe. A cause d’elle, il est constamment en danger. Avant Rouen, Macron s’était exprimé à la Réunion. « Le voile dans l’espace public, a-t-il dit, ça n’est pas mon affaire ». Même quand il feint de se mettre en retrait, le Président personnalise à outrance. Sur un mode moins désinvolte et sur un autre sujet, Jospin avait dit en son temps : « l’Etat ne peux pas tout ». On a là, en fait, deux conceptions du pouvoir. L’un dit l’Etat parce qu’il le représente, l’autre dit « je » parce qu’il pense l’incarner. Avec Macron, on passe ainsi de « l’État, c’est moi » à « moi, c’est l’État ». Au début de son mandat, il avait même dit « mon peuple ». Il y a là un rêve présidence absolue, comme il y eut autrefois une monarchie d’une même essence. « Dans la politique française, l’absent, c’est la figure eu roi », avait noté Macron avant son élection. Ce qui faisait le roi, c’était autant que le sacre le pouvoir thaumaturge. Je ne sache pas que le Président depuis 2017 ait su guérir de quelconques écrouelles.

Quelle a été sa plus belle réussite depuis son élection ?

Son entrée en scène, à l’évidence. Quel lever de rideau ! Un Président unique et vierge s’est avancé soudain sur les planches, lié par rien qui le précède, même pas sa propre campagne. Ce faisant, il montrait une compréhension bluffante de ce qui avait fait son triomphe : non pas un vague mais un choc, destructeur par nature de tout ce qui l’avait précédé. Il montrait également qu’avec lui, conquête et exercice du pouvoir allait être deux choses entièrement différentes. Macron en 2017, c’est un descendant de Danton qui, après avoir prononcé son plus célèbre discours devant la Convention (« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace »), confiait en bas de la tribune : « Foutre, je les ai foudroyés ». La foudre éblouit, elle précède le tonnerre. C’est l’affaire d’un instant mais qui ne s’oublie pas. Macron président vit et prospère sur ce souvenir-là.

Quel est son plus grand échec ?

Les gilets jaunes, bien entendu. Ce mouvement social du nouveau monde, sans queue ni tête, c’est-à-dire sans colonne vertébrale ni leader véritable, est la sanction d’une forme de légèreté. Par des micro-mesures qu’il pensait indolores ajoutées à des provocations verbales totalement inutiles, un pouvoir techno’ et puceau à la fois a réussi l’exploit de rendre ivre de rage les taiseux de la République. Pour les calmer, il a fallu, sous couvert de grand débat, leur céder sur tout, ou presque. Les mesures les plus contestées ont été retirées, 17 milliards ont été mis sur la table avec, en prime, le mea culpa d’un Président jurant qu’il avait compris la leçon. Depuis 68, aucun mouvement social n’avait obtenu pareille satisfaction. Le pis dans cette affaire, c’est que le feu couve encore sous la cendre. Là est l’enjeu véritable de la prochaine mobilisation contre la réforme des retraites. Si l’on en reste à une grève des transports, le pouvoir peut tenir. Si gilets jaunes, blouses blanches et drapeaux rouges se mélangent, alors la situation deviendra incontrôlable.

Auquel de ses prédécesseurs peut-on comparer Macron ?

Il y a chez lui ceci de curieux que d’un côté, il se veut incomparable et que de l’autre, il ne cesse de se référer à ses prédécesseurs pourvus qu’ils aient rendus l’âme. Pompidolien au printemps dernier, il était chiraquien à l’automne. On le découvrira gaulliste à coup sûr, l’année prochaine, pour le cinquantième anniversaire de la mort du Général. Avant lui, Macron n’a vu que « des fainéants », incapables d’avoir réformé la France depuis dix, vingt ou trente ans (au choix). Mais on sent bien que ce Président réputé sans racines cherche à réveiller des traditions et, ce faisant, à s’inscrire, dans une Histoire longue. Ce qui lui est le plus proche dans le temps est donc ce qu’il rejette le plus. Dans la catégorie des présidents de quinquennat, il choisit par exemple Sarkozy contre Hollande. Dans la manière de faire, cela semble évident à ceci près que Sarkozy, lorsqu’il électrisait lui aussi le champs politique, parvenait à densifier son camp et ses troupes alors que Macron, lui, disperse. Peut-être est-il au fond plus hollandais qu’il ne le croit.

En dépit de cela, est-il désormais possible de définir la vraie nature du macronisme ?

J’aurais tendance à penser que c’est une force qui va comme disait Hugo. Tout est dans Hernani, acte III, scène 2. « Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé/ D’un souffle impétueux, d’un destin insensé/ Je descends, je descends et jamais ne m’arrête/ Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête/ Une voix me dit : « Marche ! » et l’abîme est profond/ Et de flamme ou de sang, je vois le rouge au fond ».

Son échec est-il écrit ?

Rien ne l’est jamais. Disons alors les choses différemment en citant cette fois-ci Mirabeau qui disait de Necker, ce réformateur incompris, que c’était « une horloge qui retarde ». C’est tout le problème de Macron et de son projet véritable qui, sur le plan économique et social, vise à normaliser la France en la mettant aux standards des autres démocraties libérales. Mais ce projet arrive trop tard et surtout à contre-temps alors que monte la vague populiste. Dans un contexte totalement différent, Mitterrand avait connu pareille situation en 1981.

L’acte 2 du quinquennat n’a-t-il pas pour objet de répondre à ce défi ?

L’acte 2, c’est ce que d’autres Présidents appelaient autrefois le second souffle. C’est un concept délicat à manier car, à travers lui, transparait toujours une forme d’épuisement et donc un risque d’impuissance. Cette impuissance, elle hante visiblement Macron depuis le déclenchement de la crise des gilets jaunes. D’où une mise en scène de la machine que l’on relance intacte sur le chemin de la réforme, quitte à lui donner une autre direction. A mi-mandat, pourtant, de quelle puissance, ce pouvoir peut-il se prévaloir sur la scène internationale, au Levant notamment, ainsi que sur le théâtre européen où sa magie fait long feu ? Sur le terrain national, là où se joue l’essentiel, le moins que l’on puisse dire est que l’élan nouveau n’est pas manifeste. Sur les retraites, la tentation est d’étirer la ligne pour éviter un choc trop violent. Sur le régalien (immigration, communautarisme), les boussoles se sont affolées comme jamais. Sur l’écologie, on a seulement compris qu’elle serait désormais « souriante », comme si une formule fumeuse pouvait corriger un bilan carbone qui, lui, n’est pas fameux. Si on retient l’idée que l’acte 2, c’est la dernière étape avant 2022, il faut alors conclure que politiquement, sans doute Macron fait-il la course en tête mais que le macronisme, dans ce qu’il a de plus concret, n’est pas loin de la panne alors même que sa nature véritable est de marcher sans cesse vers l’avant.

Macron disruptif, vous n’y croyez plus ?

Ceux de ses communicants qui le décrivent ainsi le disent darwinien quand il est impuissant et maitre des horloges quand il est hésitant… Que l’énergie macronienne demeure aussi vivace que sa capacité de transgression, c’est un fait incontestable. Mais lorsqu’on se place dans l’optique de 2022, le problème n’est pas là. Le slogan sur l’affiche de sa prochaine candidature, on le connait déjà. Ça sera « la France unie ». Encore faudrait-il que pour cette échéance, la France n’arrive pas en morceaux.

Cet entretien a été initialement publié le 5 novembre 2019 dans L’Opinion..