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Benalla : la tache

Benalla : la tache

Pourquoi une simple « affaire d’été » est-elle toujours aussi brûlante, un an plus tard ?

Dire que l’affaire Benalla était une affaire d’été, c’était surtout prétendre que tout cela n’était qu’une sorte de feuilleton estival imaginé par une presse revancharde, en mal de copie. L’espoir de certains, à l’Élysée, était que dès la fin des vacances, l’actualité, la vraie, chasserait la fiction. Mais si l’affaire dure encore, c’est qu’elle se nourrit sans cesse de nouveaux épisodes. On n’en est plus aujourd’hui à savoir ce qui s’est exactement passé le 1er mai 2018, place de la Contrescarpe. En ce sens, l’affaire Benalla n’est pas un feuilleton mais une série. Ceux qui avaient aimé la saison 1, l’été dernier, ont adoré la saison 2 avec la commission d’enquête du Sénat. La saison 3 autour des passeports diplomatiques n’était pas mal non plus. La saisons 4 avec le contrat russe reste très prometteuse. On attend avec impatience la saison 5 autour du coffre-fort évaporé au nez de la police. Ajoutez à cela un personnage principal désormais bien campé et des comparses hauts en couleurs. L’histoire navigue entre l’Élysée, le Tchad et la Russie. L’affaire Benalla est à tiroirs. Le spectateur-citoyen s’indigne et se passionne à la fois. Quelque part, il en redemande et, en l’espèce, il est gâté.

Au-delà du spectacle, que révèle cette affaire sur le pouvoir macroniste ?

Il y a une loi de la politique qui veut que tout nouveau pouvoir, passé le stade de son installation, marche un jour sur une mine qu’il n’avait pas prévue. Autant que la mine, c’est la réaction du dit pouvoir qui est alors pleine d’enseignements. Avec l’affaire Benalla, l’Élysée s’est trouvé éclairé a-giorno. Ce n’était plus simplement le Palais doré où un jeune Président mettait en scène, en majesté, un nouveau monde sous signe d’un professionnalisme retrouvé. Tout à coup, on a vu que cette présidence-là avait aussi ses arrière-cuisines et que ceux qui y officiaient partageaient un art très spécial de la transgression. Le macronisme, par essence, brise les codes et conteste les hiérarchies établies. A l’évidence, Benalla en avait conclu qu’il pouvait remplir sa mission qui n’était pas mineure en matière de sécurité et de renseignement en marge de la loi, dans le jeu sulfureux des pouvoirs parallèles. Or ce qui est double est trouble. Dès que l’affaire a éclaté, on a vu que l’Élysée fonctionnait sur le mode du « pas vu, pas pris ». C’est sa contradiction qui, depuis, ne s’est jamais démentie et qui explique que tout cela conserve une force potentiellement explosive. Pour sauver l’un des siens, un pouvoir qui légifère contre les fake news a fait mettre en ligne, via le plus proche conseiller du Président, des vidéos mensongères. Le même pouvoir qui dénonce les officines russes avait confié une part de sa sécurité à un homme en affaire avec des oligarques. Dans le genre, on a rarement fait mieux.

Des personnalités sulfureuses dans les allées du pouvoir, ce n’est pourtant pas nouveau.

C’est même vieux comme le monde et le nouveau n’est pas différent de l’ancien. Mais en même temps, chaque pouvoir a, en la matière, sa spécificité. La construction macronienne a ceci d’originale qu’elle s’est faite dans l’urgence, à l’écart des partis. Il était donc logique, comme vient de le montrer Marc Endeweld dans son dernier livre, qu’elle mobilise tous les réseaux de la création sans toujours se soucier de leur honorabilité. Le Président, par ailleurs, a beau être un pur produit de l’aristocratie d’État, il aime fréquenter les personnalités atypiques, pour le meilleur comme pour le pire. Je vous rappelle que Rouge et le Noir figure sur le bureau de sa photo officielle. Benalla, quand on regarde son parcours, est une sorte de Julien Sorel bodybuildé qui aurait choisi pour grimper le bleu de la gendarmerie et le gris des services, le tout, comme dans Stendhal, sous le signe de Tartuffe. Mensonge, séduction, ambition. Rien ne manque à l’appel.

Emmanuel Macron a-t-il été victime de son entourage, relativement jeune et inexpérimenté ?

Dans la phase initiale de l’affaire, entre le 1er mai à la Contrescarpe et le papier d’Ariane Chemin dans le Monde le 18 juillet, ce qui frappe c’est l’ingénuité de l’Élysée où l’on veut croire qu’en mettant quelque temps Benalla au vert, on se préserve de toute publicité intempestive. Ensuite, lorsque l’incendie éclate, ce qui étonne, c’est un mélange de passivité et d’improvisation des équipes élyséennes qui n’avaient pas prévu un plan B au cas où l’affaire finirait par sortir. Je pense surtout qu’elles pensaient, avec le Président, que cette affaire n’en était pas une. Faute de jeunesse faite de naïveté et d’arrogance mêlées ? C’est une explication optimiste.

Mieux gérée, l’affaire aurait-elle pu être jugulée d’emblée ?

Il est certain qu’à chaud, il aurait été préférable qu’on n’envoie pas le porte-parole de l’Elysée, Bruno Roger Petit, à la télévision pour jeter de l’essence sur l’incendie naissant. De même, mieux aurait-il fallu, le jour où tout a commencé, que Macron ne soit pas de sortie au risque de se montrer, devant les caméras, surpris, fuyant, gêné. Au-delà, ce qui frappe, c’est qu’il a fallu presqu’une semaine avant que le Président imagine, devant ses troupes, à la maison de l’Amérique latine, un discours cohérent, si ce n’est convaincant. Une semaine, c’est long quand la plaine s’est embrasée ! Dans le système macronien, quand le chef est tétanisé, personne n’ose bouger une oreille. Dans cette affaire, le maitre des horloges a montré, comme souvent, qu’il ne savait que les retarder. On a là un trait de caractère étonnant chez une homme qui place l’énergie au pinacle : face à l’événement imprévu, il procrastine.

Le 24 juillet 2018, Emmanuel Macron lance, provocateur : « Qu’ils viennent me chercher. Le 24 avril dernier, il reconnait qu’il « en veut » à Alexandre Benalla. Est-ce un mea-culpa ?

Vu le rôle joué par Benalla dans son ascension, vu également le caractère désormais avéré de la faute, Macron est obligé de naviguer entre deux discours. Condamner sans rompre n’est pas chose aisée. Il le fait par petites touches avec pour objectif que réduire l’affaire à un problème de comportement individuel. Lui, c’est lui ; moi c’est moi. Découpler, c’est se mettre à l’abri autant que faire se peut.

Le quinquennat d’Emmanuel Macron est-il durablement entravé par cette affaire ?

Vu le rôle joué par Benalla dans son ascension, vu également le caractère désormais avéré de la faute, Macron est obligé de naviguer entre deux discours. Condamner sans rompre n’est pas chose aisée. Il le fait par petites touches avec pour objectif que réduire l’affaire à un problème de comportement individuel. Lui, c’est lui ; moi c’est moi. Découpler, c’est se mettre à l’abri autant que faire se peut.

Cet entretien a été initialement publié le 5 juin 2019 dans L’Express.