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Benoît Hamon, premier secrétaire masqué

Benoît Hamon, premier secrétaire masqué

La fronde contre la loi Macron a-t-elle à voir avec le prochain congrès du PS? La réponse est oui. Certes, ceux qui, au PS, contestent le texte du ministre de l’Économie, ne sont pas tous dans la posture et les jeux tactiques. A tort ou à raison, beaucoup estiment que ce texte fait la part trop belle aux idées libérales. La grosse majorité d’entre eux n’avaient pas attendu le lancement de la mécanique du congrès de Poitiers, prévu en juin, pour briser des lances contre le gouvernement. N’empêche qu’il s’est passé quelques chose, cette semaine, à l’Assemblée qui n’est pas banal. Jusqu’à présent, la fronde était contenue. Sur la loi Macron, elle ne l’a pas été. Ce petit plus qui change tout, c’est, à l’évidence, l’effet Poitiers.

Cet effet a un visage : celui de Benoît Hamon. Jusqu’à présent, l’ancien ministre de l’Éducation préférait s’abstenir lors des votes les plus serrés ou les plus litigieux. Or, pour la loi Macron, il a annoncé qu’il voterait contre, entraînant du même coup la bonne dizaine de députés qui le suivent habituellement. Cela a suffit pour bousculer les équilibres internes du groupe PS. Pour justifier sa décision, Benoît Hamon a expliqué que, sur la compensation salariale offerte aux travailleurs du dimanche, le ministre de l’Économie était resté sourd à ses offres de compromis. Il a également rappelé, mezza voce, qu’un vote négatif sur une loi simple, fut-elle présentée comme symbolique, n’avait pas la même signification que l’éventuel rejet d’une loi de finances. Bref, Benoît Hamon a enrobé et nuancé. Il a tout fait pour donner à son geste, vis à vis de l’opinion, la dimension purement parlementaire qu’elle n’a évidemment pas aux yeux de ses camarades.

Sans Hamon, la loi Macron passait. Sans Hamon, les frondeurs restaient impuissants. Sans Hamon, les abstentionnistes du groupe socialiste auraient, une fois encore, fait le jeu du gouvernement. Quel rapport avec le congrès de Poitiers? Le débat interne pour ce rendez-vous militant ne fait que commencer. Le temps des motions n’est pas encore venu. C’est dans cet entre-deux que se joue l’essentiel, c’est à dire les alliances entre courants, sous-tendances et personnalités patentées. L’équation de Poitiers est simple. Ou bien la majorité sortante, regroupée autour du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, réussit à entraîner avec elle la marge aubryste du parti et alors l’affaire est pliée. Ou bien elle n’y parvient pas et alors, les jeux sont ouverts. Jusqu’à l’accident de la loi Macron, on était plutôt dans la première hypothèse. Depuis, la seconde a repris du poil de la bête.

C’est exactement ce que voulait Benoît Hamon. La fragilisation de l’accord Cambadélis-Aubry – pour aller vite -, c’est la relance du congrès. L’épisode parlementaire de cette semaine va cliver. Il va exacerber les passions à propos d’un texte que la maire de Lille contestait fermement, mais sans qu’elle ait eu besoin de manifester concrètement son refus puisqu’elle n’est pas députée. En faisant faire au congrès un détour par le Palais Bourbon, Benoît Hamon pousse Martine Aubry dans un bain où elle ne voulait mettre que le gros orteil. Comme quoi on peut être taquin et ancien ministre de l’Éducation…

Le petit tremblement de terre de l’Assemblée fait bouger la tectonique des plaques au sein du PS. Quel intérêt, dira-t-on, pour Benoît Hamon? En mettant du sel sur les plaies que cherche-t-il vraiment? Depuis qu’il a dû rendre son portefeuille, à la fin de l’été dernier, l’ancien ministre de l’Éducation est à la recherche d’un rôle. Avant 2012, il était l’animateur d’une sensibilité du parti, co-dirigeant, à ce titre, de l’aile gauche du PS. Dans ce positionnement, il faisait souvent l’appoint, tant avec François Hollande qu’avec Martine Aubry. Bref, Benoît échangeait, dans un soutien critique, de l’influence pour lui et les siens. Après 2012, il a poursuivi dans cette voie, au sein du gouvernement. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas, comme simple ministre délégué, à Bercy, le plus chahuteur des ministres. Dans cette stratégie toute en discrétion contrôlée, il a franchi un nouveau pas, l’année dernière, en parrainant, avec Arnaud Montebourg, la promotion de Manuel Valls à Matignon. Ce qui ne lui a pas fait que des amis au sein de son courant.

Chacun sait dans quelles conditions, cet accord a volé en éclat. A Frangy, Arnaud Montebourg a pris la foudre en sortant imprudemment son épée au milieu de l’orage. Le hasard a fait que, ce dimanche-là, Benoît Hamon était à son côté. Bilan : deux blessés grave. Sans l’avoir voulu, le plus bref ministre de l’Éducation de la Cinquième République a pris la porte, à la veille de la rentrée des classes, sans jamais pouvoir expliquer clairement comment il avait fait pour avaler, en avril, le discours d’investiture de Manuel Valls avant de le juger indigeste, en août, alors qu’il n’avait pas changé d’un iota. Redevenu simple député des Yvelynes, dans une circonscription qui est loin d’être un fief, Benoît Hamon a mal vécu ce retour sur terre. Ses camarades de courant se sont fait un plaisir de lui rappeler que son échec soulignait l’opportunisme foncier de sa stratégie, depuis 2012. Sur un fil, il lui a fallu retrouver un semblant d’équilibre entre un discours radical et des votes tous destinés à ne pas casser la baraque. Ce n’était pas durable.

Avec le débat sur la loi Macron, Benoît Hamon referme la parenthèse douloureuse, ouverte à Frangy. On peut d’ailleurs imaginer combien les événements du début de l’année ont dû être pénibles pour lui. A l’Éducation, il avait décroché son bâton de maréchal et c’est peu de dire qu’il aurait été mieux armé pour y faire vivre «l’esprit du 11 janvier» que la très évanescente Najat Vallaud-Belkacem. En abandonnant son poste ministériel, Benoît Hamon a perdu plus que ses illusions. Il s’est placé dans une de ces situation sans issue dont on ne sort, en politique aussi, qu’en renversant la table.

C’est fait. Pour la suite, Benoît Hamon vient de rouvrir a minima le champ du possible. Sur les décombres de la loi Macron, il n’a pas besoin de pousser des cris de victoire pour que ses camarades comprennent que, sans lui, rien n’aurait été possible. Au sein de la fronde, il ne peut pas encore revendiquer le titre de général en chef mais comme personne d’autre ne le peut à sa place, il vient de retrouver son ancien statut, celui d’avant 2012, dans un contexte où les lignes sont redevenues mouvantes. C’est en cela que l’opération Macron est d’abord une opération Poitiers. Elle énerve au plus haut point François Hollande et Manuel Valls. Ceux qui ignoraient encore ce qu’est une colère noire n’ont qu’à revisionner la prestation du Premier ministre, mardi soir, au JT de TF1…

Mais les principales victimes de ce coup de billard à trois bandes, sont, une nouvelle fois, collatérales. Le verrou du congrès était Martine Aubry qui va avoir désormais un mal fou à justifier son accord tacite avec les promoteurs d’un social-libéralisme dont la loi Macron est l’expression achevée. Le gardien du congrès était Jean-Christophe Cambadélis qui tenait son pouvoir de sa capacité à marier les contraires en occupant cette position centrale, chère aux premiers secrétaires en mal de réélection. Le pas de côté de Benoît Hamon, n’est donc ni anecdotique ni conjoncturel. Il dit, sans fard, une ambition. Même si le chemin est loin d’être dégagé sous ses pas, Benoît Hamon vient d’enfiler l’habit d’un premier secrétaire de substitution.