Blog

Carnets de route #13

Carnets de route #13

Mélenchon – Le Pen : fausses noces à l’italienne

Un spectre hante le vie politique française : c’est celui de l’Italie et de son gouvernement populiste constitué grâce à l’alliance de partis extrémistes. Aujourd’hui à Rome, demain à Paris ? Ceux qui le craignent et l’annoncent, en tous cas, comme la seule formule de l’alternance possible dans les années à venir aiment à se raconter des histoires. Le JDD – entre autres – en a fait récemment l’expérience en criant au loup à sa Une tout en publiant en pages intérieures un sondage IFOP qui prouvait exactement le contraire. 77% des Français jugent improbable une future alliance entre Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon. 82% ne l’estiment pas souhaitable. C’est là une position qui rallie la quasi-totalité des électeurs Insoumis et qui coupe en deux l’électorat lepéniste. On voit mal après ça comment des responsables politiques qui ne sont pas forcément des idiots et dont on peut penser, a minima, qu’ils savent encore compter pourraient se lancer à l’avenir dans une stratégie aussi risquée, sans débouché crédible tant elle est désavouée largement, y compris dans leurs rangs.

Ceux qui persistent à croire que cette stratégie finira bien demain par s’imposer avancent toujours le même argument. Voilà un bout de temps que les positions de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon convergent dans le débat public. À force de se ressembler, ces deux-là, un jour s’assembleront par la force des choses et leurs convergences actuelles, sans doute ponctuelles, n’ont pas d’autre objectif que de créer des passerelles destinées à devenir bientôt des ponts. À l’italienne ! Il y a dans ce raisonnement quelque chose de mécanique et complotiste à la fois qui ne plaide pas en sa faveur. Sans doute en politique tombe-t-on toujours là où l’on penche mais précisément, lepénistes et Insoumis penchent-ils du même côté ?

Quand on ouvre ce dossier-là avec un minimum d’honnêteté, on constate tout d’abord qu’en effet, les deux partis considérés ont des ennemis communs. Ils sont vis-à-vis du pouvoir macroniste dans une opposition frontale – tout au moins verbalement. Plus précisément, ils se retrouvent dans une contestation virulente de la démocratie représentative telle qu’elle fonctionne sous la Vème République et de l’Union européenne telle qu’elle avance depuis plusieurs décennies. Pour le reste, les convergences positives demeurent moins évidentes. Sur le plan économique et social, Marine Le Pen a rompu de longue date avec le libéralisme échevelé de son père mais, en l’espèce, cela la rapproche plus d’Emmanuel Macron que de Jean-Luc Mélenchon. De même, sur les questions d’immigration, le chef des Insoumis ne partage-t-il pas les positions «no border» d’une fraction de l’extrême gauche mais, sur cette ligne régulatrice, le voilà moins éloigné de la République en marche que du Rassemblement national. Sur les questions d’ordre public telles qu’elles apparaissent en marge du mouvement des gilets jaunes, on vient de voir enfin à l’Assemblée que les députés lepénistes, comme d’ailleurs ceux de la droite républicaine se disaient prêts à soutenir le projet de loi anti-casseurs mis au point par Christophe Castaner alors même que leurs collègues mélenchonistes le disent liberticide.

Si convergence il y a entre extrême droite et extrême gauche, c’est donc dans la globalité du refus et non dans le détail d’adhésions ponctuelles, pas plus nombreuses aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier. Du fait de leur culture politique, de leur passé militant et de leur mode de formation, cadres et militants du Rassemblement national et des Insoumis campent de surcroit dans des postures diamétralement opposées. La nouveauté – qui n’en est d’ailleurs pas tout à fait une – relève essentiellement de la stratégie électorale. A l’heure du choix, quand il s’agit de soutenir soit un parti républicain, soit un parti extrémiste, Marine Le Pen et surtout Jean-Luc Mélenchon ont abandonné leurs anciens réflexes. Ni l’un, ni l’autre n’entendent désormais se ranger automatiquement dans l’un de ses fronts, de toute la droite ou de toute la gauche, censés faire barrage aux candidats positionnés à l’autre bout de l’échiquier politique. Pour le dire autrement, c’est le clivage gauche-droite, dans sa forme traditionnelle, qu’ils contestent sans fard. Cela vient de loin, dans la famille Le Pen. C’est plus nouveau dans celle de Mélenchon, ce qui ne va d’ailleurs pas sans semer le trouble dans ses rangs, comme on a pu le constater à l’occasion du second tour de la dernière présidentielle.

Cette délatéralisation croissante bouleverse, à l’évidence, le mode de fonctionnement du système politique français. Soit dit en passant, elle n’est pas propre aux seuls partis extrémistes. La contestation du clivage gauche-droite était au cœur du projet macronien. Durant sa campagne victorieuse de 2017, l’actuel Président disait vouloir s’inspirer «du meilleur de la gauche et du meilleur de la droite» et il y a donc quelque chose de curieux à entendre ses supporters dénoncer à présent ceux qui auraient l’intention de réunir à leur tour le meilleur – ou le pis, comme on voudra – de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche. Quand Emmanuel Macron place le clivage principal, en France et en Europe, entre «progressistes» et «populistes», on se sait plus ce qui relève du constat ou du souhait. On peut imaginer que, pour lui, les deux vont de paire sauf qu’en bonne logique, il est contradictoire de nier la persistance d’anciens clivages dont on exige que d’autres les respectent à la lettre pour des raisons de pure morale politique.

Cette contradiction évidente ne suffit pas pour autant à évacuer la question désormais centrale d’une convergence à l’italienne de forces dont on constate pourtant qu’elles partagent plus de refus que de projets communs. Ceux qui, malgré tout, veulent croire mordicus à cette alliance «contre-nature» dont le mouvement des gilets jaunes serait le nouveau laboratoire, expliquent ainsi que de l’autre côté des Alpes, on a longtemps cru que la Ligue de Matteo Salvini n’était que le pivot d’un rassemblement des droites avant de devoir constater – mais un peu tard – qu’elle pouvait être aussi le second piler d’une coalition parlementaire et gouvernementale avec les Cinq étoiles de Luigi di Maio. La comparaison est tentante. Elle vise à montrer que certaines alliances peuvent avancer à bas bruit et qu’il vaut toujours mieux les dénoncer quand elles sont dans les limbes que de verser des larmes quand elles ont abouti. Ce principe de précaution, quand on l’applique à la France, se heurte toutefois à un double problème.

Le premier tient à la nature des partis concernés. On peut admettre en effet que le Rassemblement national soit, comme la Ligue, une formation d’extrême-droite. Il est en revanche hasardeux de considérer les Insoumis comme l’équivalent français du mouvement Cinq Etoiles. Ce dernier ne s’inscrit en rien dans une tradition d’extrême-gauche. C’est une formation populiste, mariant autour d’un leader charismatique – Pépé Grillo – des cultures hétérogènes. S’il fallait à tous prix lui trouver une correspondance hexagonale, il faudrait mieux aller chercher du côté de la République en marche.

Concrètement, et pour revenir à ce qui nous intéresse ici, cela signifie que le basculement italien n’a pas résulté de la convergence de partis d’extrême droite et d’extrême gauche, comme on le dit souvent et à tort, mais de l’alliance d’un parti extrémiste – celui de Salvini – et d’une force nouvelle, d’essence populiste, dont l’arrivée dans le champs politique a permis de mettre le système cul par-dessus-tête. Pour que cela se reproduise en France, il faudrait donc que Jean-Luc Mélenchon devienne Pépé Grillo ou qu’à la limite, François Ruffin tienne le rôle de Luigi du Maio – ce qui, on l’avouera, n’est pas demain la veille, vue la nature des Insoumis et du mode de contrôle d’une formation tenue d’une main de fer.

L’autre problème que soulève la comparaison entre la situation italienne et française est encore plus dirimant puisqu’il découle non pas du caractère des acteurs politiques, lequel peut s’avérer changeant, mais des règles institutionnelles qui dictent leur conduite. L’Italie est une démocratie parlementaire. Les députés y sont élus, pour l’essentiel, à la proportionnelle. Les coalitions gouvernementales se règlent, après le vote, autour du tapis vert dans des jeux de compromis potentiellement détonants. Rien de tel en France où, pour aller vite, l’élection présidentielle est le moment privilégié de l’alternance lors d’un second tour opposant deux candidats et deux seuls. Ce qui évidemment change tout.

Dans cette compétition en effet, l’alliance des extrémismes n’est envisageable que si l’un de leurs candidats accède à la finale face à un représentant des forces dites républicaines. Mais il s’agit alors plus d’un ralliement sous contrainte ou d’une abstention résignée que d’une alliance en bonne et due forme, lesquels, qui plus est, doivent être affichés au grand jour avant d’être validés par les électeurs dont on sait combien ils y sont hostiles. L’autre hypothèse que le rapport de force du 1er tour de 2017 ne rend pas forcément absurde est celle d’un affrontement décisif entre deux représentants des partis extrémistes, Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon par exemple, ouvrant ainsi la porte de l’Élysée à l’un ou l’autre d’entre eux. Mais dans ce cas de figure, on ne peut parler d’alliance puisque c’est un affrontement direct qui fera le vainqueur.

Si celui-ci veut se donner les moyens de gouverner, il lui faudra enfin gagner les législatives qui suivent nécessairement la présidentielle et, pour trouver des alliés, on peut faire le pari qu’il les cherchera logiquement non pas chez son ancien rival mais dans le camp dont il est, au fond, le plus proche : la droite, ou une partie de la droite, s’il est d’extrême-droite ; la gauche, ou une partie de la gauche, s’il vient de l’extrême gauche. Tout cela revient à dire, qu’en France, le basculement, s’il doit intervenir, ne pourra suivre le chemin emprunté par l’Italie. Il passera – et c’est là l’essentiel – non par on ne sait quelle alliance entre forces extrémistes incarnées par Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon mais par leur choc frontal, provoquant une rupture puis une recomposition dans les équilibres de la droite et de la gauche. Les convergences qu’on peut relever ici ou là entre le Rassemblement national et les Insoumis sont d’une essence principalement destructrice. Elles peuvent contribuer à la chute d’Emmanuel Macron dans le scrutin futur de sa réélection. Elles ne construisent ensemble rien de solide. Elles déblayent le terrain en se disputant les mêmes secteurs de l’opinion. En ce sens, elles n’ont rien d’italien.

Macron comme Clausewitz

Dans la crise que provoque le mouvement des gilets jaunes, Emmanuel Macron se voit reprocher la politique suivie depuis 2017 par son gouvernement et le style jugé arrogant de sa présidence. Il y répond dans le «grand débat national» en expliquant qu’il veut bien faire ici où là des concessions de détails mais qu’il gardera le cap tout en ne changeant rien de son comportement et surtout de son style. C’est apparemment paradoxal et surtout contradictoire avec l’idée selon laquelle, comme on l’écrit souvent, il serait reparti à «la reconquête de l’opinion». En fait, Emmanuel Macron bétonne son camp, un moment ébranlé. Il rassure les siens et cherche à reconstituer le socle électoral qui lui a permis en 2017 d’accéder au second tour de la présidentielle. En ce sens, en effet, «il repart en campagne» mais comme un stratège qui aurait lu Clausewitz en sachant que dans la guerre qui commence, la position la plus sûre est celle de la défense, donc par principe, celle de la réaffirmation de ses fondamentaux.

Houellebecq en jaune

En mai 2016, «le flair» de Michel Houellebecq et son goût des «caractères transgressifs» l’avaient conduit au-devant d’Emmanuel Macron. Les Inrocks avaient alors tenu la chandelle. Autres temps, autres mœurs. Tutoiement de rigueur. L’heure est aux confidences. «Manu» est encore d’une gauche qui se dit «progressiste», en ce sens qu’elle s’oppose aux seuls «conservateurs» et non aux «populistes» de tout poil, ce qui, si on suit bien l’évolution de son propos depuis qu’il est à l’Élysée, voudrait donc dire qu’il range aujourd’hui les dits conservateurs dans le camp… progressiste. Mais l’intérêt principal de cet échange ébouriffant n’est pas dans cette taxologie à géométrie variable. En mai 2016, en effet, Michel Houellebecq est déjà gilet jaune. Il croit à la démocratie directe. Il voudrait que l’action gouvernementale en matière de santé, de fiscalité ou d’éducation soit dictée par une suite ininterrompue de référendums d’initiative citoyenne. Emmanuel Macron, qui de la culture, lui répond sagement que «la représentation nationale est un principe d’organisation plus simple qui évite l’écueil du problème athénien». Dis comme ça… Dans la suite de l’échange, Michel Houellebecq qui, lui, a de la suite dans les idées poursuit dans une veine comparable en soulignant son désarroi qui est aussi celui des Français face à la passivité du gouvernement de l’époque sur la question, centrale à ses yeux, des droits de douane… sur l’acier chinois. Sur ce point, Emmanuel Macron s’explique et relève le gant. À l’heure de l’au revoir, après avoir cité Hobbes, il se tourne vers Cioran : «je suis plus fasciné par le malheur parce que la documentation est plus complète». Comprenne qui pourra. C’est le cas de Michel Houellebecq qui opine du chef. «Sur l’acier chinois, tu m’as rassuré», dit-il. «Ton histoire de référendum m’a ouvert des perspectives», répond Emmanuel Macron. Deux ans et demi plus tard, les Chinois dorment tranquilles. Les Français en jaune, semble-t-il, un peu moins