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Carnets de route #17

Carnets de route #17

Macron, de la conquête à l’occupation

Durant la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait sèchement averti ceux qui frappaient à sa porte que son parti n’avait pas vocation à devenir «une maison d’hôte». Pareille mise au point valait essentiellement pour les élus socialistes, députés avant tout, qui estimaient à l’époque que leurs valeurs et leurs intérêts bien compris étaient mieux défendus par le candidat d’En Marche que par le champion officiel du PS, Benoit Hamon, à partir du moment où l’enjeu n’était plus de gagner mais de résister à la droite à l’extrême droite. Plutôt que d’ouvrir tout grand les bras, Emmanuel Macron avait alors jugé que ces renforts étaient en fait des boulets, qu’il travestissaient potentiellement son projet et qu’ils portaient la marque d’un opportunisme politique avec lequel les Français avaient choisi de rompre. Pas de ralliés, pas de quartier. Lors des législatives de juin 2017 qui ont signé l’avènement du nouveau monde macroniste, la quasi-totalité des sortants socialistes se sont donc vu opposer des candidats d’En marche. Peu ont survécus à l’épreuve. Ceux qui avaient voulu rejoindre la nouvelle majorité avant même le 1er tour de la présidentielle n’ont pas été mieux traités que leurs anciens collègues. Vae victis.

À moins d’un an des municipales de 2020, c’est une stratégie exactement inverse que tente de mettre sur pied la formation présidentielle, non plus avec la gauche, mais avec une droite en capilotade depuis sa déroute des européennes. LREM est ainsi présentés comme un môle de rassemblement ouvert à tous ceux qui préfèrent «leur pays à leur parti». Rien de moins ! Résister à pareilles avances serait, parait-il, se ranger dans le camp des «ennemis» du Président. Ce qui est désormais stigmatisé n’est plus le ralliement que l’on disait suspect mais une forme de fidélité que l’on prétend archaïque ou sectaire. Chacun, à droite, plus particulièrement dans le réseau de ses maires, est invité à prendre ses responsabilités. Hier, quand il s’agissait de la gauche, c’était de se tenir à l’écart. Aujourd’hui qu’il s’agit de la droite, c’est de se plier fissa à la loi du vainqueur, sous peine d’être rayé de la carte.

À chaque moment sa stratégie, dira-t-on, et c’est de bonne guerre. La macronisme, en matière électorale, est d’un réalisme cru. Il enrobe son discours de vertu et de principes intangibles mais en pratique, il n’a pour boussole que son propre intérêt. Peu lui importe la méthode pourvu que les partis républicains de l’ancien monde deviennent des coquilles vides et qu’il n’y ait que désert entre LREM et le Rassemblement national. Ce qui a été fait par l’épée, au début du mandat présidentiel, le sera demain de manière pacifique – tout au moins dans la forme. La civilisation progresse : hier, on tuait, désormais on achète. Ce qui ne signifie d’ailleurs pas que dans un avenir plus lointain, on s’interdise de revenir à la loi du talion. De ce point de vue, Emmanuel Macron reste fidèle à son métier initial. On n’a jamais vu un banquier d’affaires procéder autrement dans l’art de la fusion/acquisition, même s’il faut bien reconnaitre qu’en politique, ce sont-là des méthodes largement partagées. «Peu importe, disait Mao, que le chat soit noir ou gris pourvu qu’il attrape des souris». Le «en même temps» présidentiel trouve là sa forme accomplie. Il signifie tout simplement : «comme ça m’arrange».

Dans les circonstances actuelles, cette lecture cynique du jeu macroniste mérite toutefois d’être affinée sur deux points qui ne sont pas de détails et qui éclairent, à leur façon, ce que pourrait être la seconde partie du quinquennat. Dans la stratégie qui est la sienne depuis qu’il s’est mis en marche, Emmanuel Macron avance comme on vient de le dire, c’est-à-dire sur un champ de ruine, sans aucun d’état d’âme, mais il n’est pas indifférent que gauche et droite à l’ancienne, à deux ans de distance, n’aient pas subi le même traitement, au-delà des impératifs tactiques du moment. Dès son accession au pouvoir ou plutôt, dès qu’il a compris durant la campagne de la présidentielle que la victoire était à portée de sa main, Emmanuel Macron a fermé les portes, côté PS mais en a ouvert d’autres, côté LR. La preuve, c’est le choix qui n’était pas improvisé – loin de là – d’un homme tel Edouard Philippe pour Matignon.

On veut dire par là que le glissement à droite de la politique macroniste n’est ni un accident, ni une adaptation au sens de la pente mais un projet mûri de longue date, construit avec méthode à partir d’une analyse froide et réaliste de la réalité électorale et des aspirations supposées majoritaires de l’opinion. Pour mener la politique qu’il souhaitait, sur des bases suffisamment solides pour être durables, Emmanuel Macron a fait d’emblée le calcul qu’il lui faudrait progressivement siphonner un électorat libéral et bourgeois en mal de représentation crédible. Ses préférences rejoignaient, en l’espèce, l’intérêt de sa cause. C’est pour cela que d’emblée, à ses risques et périls, il a fait des européennes le rendez-vous de la seule recomposition qui l’intéressait véritablement, passée l’étape de son installation à l’Élysée.

Dans cette opération, il a eu deux complices – l’un conscient, Edouard Philippe, l’autre innocent, Laurent Wauquiez – étant entendu que l’essentiel s’est joué sur le terrain concret de la politique suivie depuis deux ans : dérégulation d’un côté ; sélection élitiste de l’autre. Il s’en est fallu de peu qu’à force de provocation et d’arrogance mêlées, tout cela bascule dans le chaos avec la crise des gilets jaunes. C’est en la maitrisant vaille que vaille à grands coups de milliards et de palabres sans fin que ce pouvoir un moment humilié est devenu, paradoxalement, ce qu’il entendait être, celui de l’ordre et de la réforme, et qu’une fraction notable de la droite l’a reconnu comme digne de sa confiance. Pourquoi les électeurs de LR ont-ils été si nombreux à voter pour la liste Renaissance de Nathalie Loiseau, s’interrogent encore certains. Mieux vaudrait plutôt se demander pourquoi ils ne n’auraient pas fait dès lors que ses principaux soutiens, au sommet de L’État, répondaient de longue date à leurs aspirations avérées.

Sur ce terrain-là, tout se tient autour de la figure centrale de Macron et d’un groupe parlementaire sans identité véritable : un chef du gouvernement issu de l’écurie Juppé, des ministres en pointe (Le Maire, Darmanin, Blanquer) venus des différents courants de LR, le tout pour une politique plutôt orientée à droite et en tous cas, perçue comme telle par l’opinion. Cette cohérence a produit les effets escomptés. Elle ne place pas le Président et son parti au pinacle mais, comme espéré, au-dessus du lot face au Rassemblement national, à un niveau électoral minimal pour un parti de gouvernement sous la Cinquième République. En ce sens, le macronisme tel que l’incarne LREM n’est pas une force de remplacement mais une force de substitution dont le destin demeure incertain, malgré ses récents succès. Ce qui explique, d’ailleurs, sa stratégie pour le prochain rendez-vous des municipales.

Celle-ci, on l’a vu, vise principalement à faire basculer dans le camp de la majorité des élus locaux venus de LR. Cet élargissement pré-électoral est conduit au forceps comme si l’urgence était de doter le macronisme d’un réseau de maires assurés du même coup de conserver leur écharpe quels que soient les aléas du prochain scrutin. La manœuvre peut sembler habile : il n’est pas donné à tout le monde de remporter une élection avant même qu’elle n’aient eu lieu. Elle est toutefois un brin paradoxale de la part d’un parti, LREM, réputé sans concurrents sérieux dans le champ que l’on dit républicain. Si tel était vraiment le cas, on voit mal pourquoi en effet, une fois la recomposition confortée, celui-ci ne veut pas procéder aux municipales comme il l’avait fait – et avec quel succès ! – lors des législatives de 2017, en présentant des listes pur jus, de manière autonome dès le 1er tour afin qu’un nouveau monde municipal vienne achever ce grand remplacement amorcé sous les couleurs d’Emmanuel Macron.

On peut bien sûr expliquer qu’à partir du moment où l’axe de la majorité est désormais à droite, la logique est de s’entendre avec les maires qui partagent cette orientation en faisant ainsi des municipales un scrutin de confirmation et de consolidation. L’autre lecture possible de ce mouvement stratégique, et qui est sans doute la plus vraie, relativise en fait la nouvelle puissance d’attraction du macronisme partisan. Ce qu’il tente d’acheter dès aujourd’hui, c’est ce qu’il craint de ne pas pouvoir conquérir seul, demain. Soit que les élus de droite, mis sous pression au vu des résultats des européennes, se montrent moins peureux, dans quelques mois, lorsque la vie ordinaire du gouvernement aura repris ses droits, avec ses hauts et ses bas. Soit surtout que les ressources locales de LREM soient jugées trop faibles ou trop tendres pour espérer bâtir, le moment venu, des listes dignes de figurer en première ligne au soir du 1er tour des municipales.

Il y a dans tout cela un double problème de confiance – confiance en soi, confiance dans les autres – qui justifie l’accélération voulue par les stratèges macronistes qui cherchent visiblement, comme dans toutes les élections depuis 2017, la formule idéale pour jouer placé et gagnant à la fois en tenant compte leurs nouvelles ressources – le soutien d’une partie de l’électorat de droite apte à compenser la défection des soutiens perdus de la gauche – mais aussi de leurs faiblesses structurelles – un manque criant de personnel politique de niveau suffisant pour s’imposer de manière autonome. C’est dans cette configuration originale qu’on peut mesurer, alors que le quinquennat n’est pas vieux de deux ans, la véritable nature d’un macronisme qui, dans le champ politique, détruit plus qu’il ne construit, avance plus qu’il ne s’installe, précise son identité politique plus qu’il n’exerce encore une hégémonie véritable sur la partie de l’échiquier qu’il a choisi d’investir et où surtout sa politique le fixe désormais. Les marges qu’ils conservent, ce sont les autres qui les lui donnent. À la conquête, succède à présent l’occupation laquelle suppose, comme chacun sait, la collaboration qui n’est pas forcément ce qu’il y a de plus solide, en politique aussi.

Vieilles droites et anciennes gauches

Trois droites, disait René Rémond : la légitimiste, l’orléaniste, la bonapartiste. La première édition de son livre, en 1954, était pourtant titrée «La droite en France». Cette hésitation sur le titre, rectifiée par la suite, n’est pas qu’anecdotique. Elle donne la mesure d’un problème qui est d’identité quand le pluriel s’impose. Au-delà, il y en a un autre moins souvent souligné et dont on devrait se souvenir alors les classifications de Rémond dirigent le commentaire ordinaire au lendemain des européennes : deux de ces droites, les deux dernières en l’occurrence, sont en fait d’anciennes gauches. Si Zemmour savait…

Gilets de toujours

«Le peuple se montre tel qu’il est, et il n’est pas aimable : mais il faut bien que les gens du monde se déguisent ; s’ils se montraient tels qu’ils sont, ils feraient horreur», Jean-Jacques Rousseau, Emile