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Carnets de route #3

Carnets de route #3

Un Président «déverticalisé»

Le système Macron, tel qu’il a été pensé, est totalement pyramidal. Le président fixe la ligne et donne les ordres. Le Premier ministre et le gouvernement mettent en forme. À l’Assemblée, la majorité vote sans barguigner tandis, dans le pays, le parti relaie, explique, popularise. C’est la Cinquième en majesté, rétablie dans son ordre initial après qu’ait été refermée la parenthèse hollandaise. Ce qui frappe dans la période qu’on est en train de vivre, c’est que le dérèglement soit soudain généralisé. Après seize mois d’exercice du pouvoir, il n’est pas anormal que tel ressort se détende ou tel acteur se fatigue. Mais, quand tous les boulons sautent, les uns après les autres, ou bien tournent dans un sens qui n’était pas prévu, c’est sans doute que le système lui-même souffre d’un vice de forme. Cela ne le condamne pas, au moins à court terme, mais, à coup sûr, cela le ralentit en lui faisant perdre une manière d’évidence. Or qu’est-ce que le macronisme, si ce n’est une énergie transformée en action ?

On ne s’attardera pas ici sur le cas spécifique d’Emmanuel Macron et notamment sur le style d’une présidence, à la fois, jupitérienne et curieusement bricolée. Un jour, l’annonce d’une réforme ficelée avec soin, le lendemain, une saillie bêtement provocatrice. Pourquoi ? Mystère ! Cette façon de faire, en tous cas, est évidemment trop instable pour ne pas affoler les boussoles et dérégler, du même coup, toute la chaine de commandement voulue par l’Élysée.

Premier échelon : Matignon. La force d’Édouard Philippe était de n’être rien. Il venait de nulle part et il était donc à sa place : celle d’un collaborateur, heureux et surpris à la fois de sa subite promotion, trop malin également pour se laisser aspirer dans des jeux internes à la majorité qui n’auraient fait que souligner sa position subalterne. Quelque chose toutefois a changé à l’occasion du débat sur le prélèvement à la source. Ce n’est vraisemblablement pas la première fois qu’Édouard Philippe a exprimé un désaccord ponctuel avec le Président. Mais, là, sur un dossier majeur, cela s’est su parce qu’à Matignon, on l’a voulu ainsi. Installation d’un rapport de force ? Il est probable qu’en fait, le Premier ministre ait suivi dans cette affaire une logique essentiellement administrative qui est celle de son poste. Reste qu’au-delà, c’est lui qui a raflé la mise en installant de surcroit, l’image d’un réformateur cohérent et déterminé en dépit des flottements de son maître élyséen. Pour le dire autrement, le Premier ministre, soudain, s’est pris pour ce qu’il est. Il fallait bien que ça arrive un jour. D’habitude, le premier pas en annonce de suivants qui sont autant d’occasions de nouveaux décalages. Il y a désormais du jeu au sommet de l’État avec pour effet immédiat ces flèches que quelques snipers macroniens se croient autorisés à tirer sur Matignon, via la presse. Rien de bien grave, pour le moment. Juste un tour de main qui s’installe…

Second échelon : le gouvernement. C’est une banalité que de dire son manque de densité politique. Alors qu’un vent mauvais était en train de se lever dans le pays, la question d’un remaniement de grande ampleur était dans l’air à la rentrée, avant même la démission de Nicolas Hulot. Édouard Philippe le souhaitait, Emmanuel Macron, un peu moins, ce qui est assez logique quand on ne compte que sur soi. D’où un débat interne qui explique en partie la lenteur du remplacement du ministre de la Transition écologique, après sa démission surprise. Plus généralement, cet épisode a fait comprendre à quelques éminences qu’elles étaient bel et bien sur un siège éjectable. C’est ainsi qu’il faut lire l’annonce du départ programmé d’un autre ministre d’État, Gérard Collomb. En en faisant lui-même l’annonce, en en donnant lui-même le motif – Lyon et ses municipales –, et surtout en en fixant lui-même la date – avant l’été prochain – celui-ci est devenu, pour un temps, le maitre des horloges gouvernementales. Certes, il partira mais à sa main, quand il l’aura décidé, c’est-à-dire dans neuf mois seulement. D’ici là, le voilà donc intouchable, à l’Intérieur. Mieux, c’est lui qui vient de fixer le calendrier d’un remaniement d’ensemble dont on découvre ainsi qu’il va échapper à l’exécutif et singulièrement, au Président tout en s’imposant aux autres ministres tentées par une mairie. Il y a là un exemple d’autonomisation des plans de carrière, dans le système macronien, qui laisse pantois, surtout venant d’un homme de confiance, compagnon de route de la première heure. Cette démission différée, venant après celle de Nicolas Hulot, signe, au sens propre du terme, une perte de contrôle. Fini le gouvernement de combat. Désormais, c’est chacun pour soi, selon son intérêt bien compris.

Troisième échelon : le groupe à l’Assemblée. On le savait gros, on l’a découvert lourd. Personne n’ignorait son inexpérience, on a mesuré au fil des mois son manque de colonne vertébrale. Mais au moins était-il discipliné, fut-ce dans une forme de résignation. Richard Ferrand verrouillait plus qu’il n’animait. Il tuait dans l’œuf toute dissidence, fort de son expérience dans le vieux monde et de sa légitimité dans le nouveau. C’était sa mission et il l’avait accepté faute de mieux sans chercher à forcer son tempérament disciplinaire. Cela le rendait difficilement remplaçable. Sa promotion à Lassay, dans le jeu de chaise musicale post-Hulot, a libéré les forces centrifuges qu’il avait su contrôler. Quand un groupe parlementaire ne fonctionne pas à l’autorité, il cherche généralement son salut dans le respect des équilibres de courants. Mais encore faudrait-il que ceux-ci existent à ciel ouvert, sur des bases idéologiques à peu près lisibles ! L’élection pour la succession de Richard Ferrand a été en cela un tour de piste inachevé, sur fond d’ambitions rivales aux contours mal définis. Il est révolu le temps où le patron du groupe majoritaire pouvait être désigné à main levée après que le doigt du Président se soit posé sur lui. Désormais, tout se discute, tout se négocie, tout entraine compromis comme l’a montré la désignation à l’arrache de Gille Le Gendre. Après cela, il sera difficile d’expliquer aux députés d’En Marche que ces règles de fonctionnement ne vaudront plus lors de l’examen des prochains projets de loi. Ne les voilà pas devenus pour autant frondeurs. Le risque n’est pas, demain, qu’ils désobéissent en masse mais qu’ils ne parviennent pas à dire ce qu’ils veulent vraiment alors que la fidélité à la personne d’Emmanuel Macron ne définit plus à elle-seule un programme.

Quatrième échelon : la majorité. L’élection du nouveau président de l’Assemblée est venue rappeler qu’elle n’était pas monolithique. Il a pourtant fallu que le Modem présente son propre candidat pour que les dirigeants d’En Marche s’en souviennent. Ce n’est pas qu’ils aient voulu marginaliser dans cette affaire leurs collègues centristes. Pris par leurs propres difficultés internes, ils avaient simplement oublié qu’ils existaient. Cette faute d’inattention est très révélatrice. Depuis que les législatives de juin 2017 ont offert une majorité absolue au groupe macroniste, les députés du Modem comptent pour du beurre. Ils viennent toutefois de faire la démonstration qu’à défaut d’être un allié de référence, reconnu comme tel, ils pouvaient, à l’occasion, devenir le lieu d’accueil d’un macronisme en déshérence. Leur candidat au perchoir pouvait compter sur 46 vois. Il en a obtenu 86 voix dont sans doute une vingtaine issue d’En Marche, ce qui n’est pas rien. Dans la foulée, François Bayrou n’a laissé à personne le soin de décrypter l’événement. Si la majorité, à ses yeux, doit marcher sur deux jambes, c’est que l’une d’entre elle incarne la fidélité à l’esprit initial du macronisme, lorsque celui-ci était la promesse d’autres rapports de pouvoirs, d’autres pratiques politiques, d’autres manières de gouverner en réformant. Ce faisant, François Bayrou, comme Giscard lorsqu’il regrettait devant de Gaulle «l’exercice solitaire du pouvoir», suggère que ce volet essentiel du projet présidentiel n’a pas été suffisamment respecté et qu’il revient à son parti de peser pour qu’il le soit davantage. Comment ? Eh bien tout simplement, en faisant la démonstration autant que nécessaire qu’il y a dans la majorité une force capable de rassembler ceux qui n’ont pas encore oublié et cela, d’où qu’ils viennent. Sur le papier, c’est peu de choses et on voit d’ailleurs mal comment François Bayrou pourrait aller plus loin en descendant du train présidentiel avant la fin du quinquennat alors qu’il dit approuver la quasi-totalité de l’action conduite par le gouvernement. Mais là encore, il y a un bouger qui met du jeu dans le système Macron et lui fait perdre cette homogénéité qui fut sa force, au moins durant la première année du règne.

Comme Édouard Philippe, comme Gérard Collomb, comme beaucoup de députés d’En Marche, François Bayrou contribue à «déverticaliser» le Président. Mais est-ce possible sans le déstabiliser du même coup ? Le macronisme est plastique. A priori, Macron, lui, ne l’est guère et c’est ce qu’il suggère, dans l’épreuve, en bétonnant son cabinet élyséen autour de sa garde noire, la seule en qui il ait confiance, celle avec qui la campagne fut si folle et la victoire si jolie. Si fracture politique, il doit y avoir avant 2022, on sait au moins là où elle passera.

Succession

Une simple réflexion. Christophe Castaner s’était pourtant avancé avec une prudence de sioux. Sur la question des droits de succession, le délégué général d’En Marche n’est pas allé jusqu’à dire, comme autrefois Emmanuel Macron lorsqu’il était secrétaire général adjoint de l’Élysée, que leur augmentation devait accompagner la suppression totale de l’ISF afin de récompenser la réussite sans alimenter la rente. Il a pourtant été sèchement désavoué par le Président avec d’ailleurs un curieux argument : «il ne faut arrêter d’embêter les retraités». Comme si c’est eux qui payaient, après leur décès… Et puis, plus généralement qui est celui qui a choisi de les «embêter» depuis plus d’un an ? Le «couac», comme on disait en d’autres temps, est en tous cas de toute beauté. Il soulève une question : Castaner et Macron se voient-ils trop pour ne pas accorder davantage leurs violons.

Nouvelle gauche

Le petit groupe PS à l’Assemblée voulait changer d’image, après sa déroute de l’année dernière : il s’est rebaptiser «Nouvelle Gauche». Il vient de changer d’avis pour des raisons qui sont essentiellement de marketing : il s’appellera donc à nouveau «groupe socialiste». Il serait quand même assez farce qu’après les européennes, un PS aux abois ne voit son salut que dans le lancement d’une confédération des forces sociales-démocrates nommée, pourquoi pas…«Nouvelle Gauche».