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Carnets de route #6

Carnets de route #6

Alliés et obligés

Au-delà des péripéties d’un remaniement subi et qui doit, du coup moins à Jupiter qu’à Mr Bricolage, c’est tout l’équilibre de la majorité qui se trouve aujourd’hui questionné. Depuis quelques semaines, cette majorité s’affaisse et comme les lois de la politique sont aussi celles de la physique, il n’est pas étonnant qu’un jour, elle en vienne à se fissurer. La différence avec le précédent quinquennat, c’est que les lézardes apparaissent prioritairement au sein de l’exécutif et non plus dans le groupe parlementaire à l’Assemblée.

Pour comprendre, il faut revenir aux origines du macronisme présidentiel. Durant la campagne puis au lendemain de son élection, Emmanuel Macron a fait jouer à plein la logique des institutions pour constituer un bloc politique qui ne dépende que de lui. C’est sur son nom – et sur lui seul – qu’il a entrepris de rassembler ce qui était épars, comme disent les maçons. Il a fait le tri dans ses soutiens potentiels en proclament qu’En Marche n’était pas «une maison d’hôtes». Il a distribué les investitures pour la députation à une génération vierge de tout engagement antérieur, les rares survivants du vieux monde étant priés de se débarrasser de leurs oripeaux défraichis. Le gouvernement a été constitué sur des bases identiques. Avant cela, Emmanuel Macron avait pris soin de nommer à Matignon un homme dont le seul titre de gloire était d’avoir été le collaborateur – déjà ! – d’un des rois déchus de la droite. Pour le dire en un mot, il n’a voulu voir qu’une seule tête : la sienne.

Ce projet avait le mérite de la cohérence. Il était conforme aux canons de la Cinquième. Il a abouti pleinement un soir de juin 2017 quand En Marche a obtenu une large majorité absolue dans la nouvelle Assemblée. C’est à ce moment-là, que le quinquennat Macron a vraiment commencé. Ceux qui tels Valls et surtout Bayrou avaient imaginé que le nouveau monde fonctionnerait sur le registre de l’alliance entre partenaires égaux en droits et en devoirs en ont été pour leurs frais. Le premier a compris qu’il ne serait jamais d’aucune utilité et que l’exil serait son destin naturel. Le second a été plus lent à se résigner et c’est pour cela qu’à la première occasion, il a été écarté du gouvernement tandis que le groupe Modem était rangé fissa sur une étagère du palais Bourbon.

Ce système cohérent a permis une entame de mandat qui, après quelques réglages estivaux, a fait la preuve de son efficacité. Impulsion unique, discipline dans les rangs, résignation des râleurs potentiels, marginalisation des oppositions. Il s’est grippé à partir du jour où l’autorité d’en haut s’est faite moins souveraine. C’est là tout le problème des dispositifs hypercentralisés et on
voit bien désormais, pour en revenir aux événements de ces dernières semaines, que l’enjeu est précisément d’en inventer un nouveau, moins fragile et plus stable car reposant sur deux piliers et non plus sur un seul. Par la bande et dans l’urgence, revient ainsi sur la table le projet qu’on croyait enterré : celui d’un gouvernement qui, dans les faits, soit un gouvernement d’alliance et non plus d’obligés.

Que cet essai de rééquilibrage déplaise à Emmanuel Macron n’a rien de très étonnant. C’est son identité politique qui est ici en jeu. Qu’il soit initié par le Premier ministre, patron de la majorité parlementaire d’un point de vue constitutionnel, n’est pas davantage illogique. Durant les premiers mois du quinquennat, Édouard Philippe a eu l’habileté de ne jamais se mêler des affaires internes du parti présidentiel dont il n’est d’ailleurs même pas membre. À son poste, dans un respect ostensible des prérogatives élyséennes, il s’est affiché comme le mécanicien en chef d’un dispositif gouvernemental dont le moteur était à l’Élysée et les roues à l’Assemblée. Mais c’est à ce poste aussi qu’il a dû constater des dysfonctionnements croissants, les moindres n’étant pas des démissions à la chaine – Bayrou, puis surtout Hulot et Collomb – qui toutes, comme par hasard, concernaient des personnalités réputées indépendantes du premier cercle macroniste et dotées, à ce titre, d’une autonomie sinon d’action, du moins de pensée.

Ces démissions n’ont pas toutes été de même nature. Les unes ont été provoquées, les autres subies. Toutes, cependant, ont été vécues comme autant de crises exprimant un rétrécissement progressif du périmètre de la majorité. Ce qui ne s’est pas produit dans le groupe parlementaire, sans doute trop évanescent pour pouvoir se fractionner, s’est en revanche manifesté au sein du gouvernement, comme si celui-ci était devenu, au fil du temps, la seule vitrine d’un macronisme en déshérence qu’à l’Élysée, de surcroit, personne ne savait plus gérer avec un minimum de doigté.

Tout cela s’est vu une première fois, avec éclat lors de la succession de Nicolas Hulot : une semaine d’improvisation pour aboutir à un remaniement poste pour poste. Tout cela vient à nouveau d’éclater au grand jour dans la foulée du départ de Collomb. Il était dès lors inévitable que le Premier ministre intervienne, ne serait-ce que pour mettre un brin d’ordre dans une équipe dont il est censé être l’animateur. Le désaccord qui s’est ainsi manifesté entre Matignon et l’Élysée sur le nom du prochain ministre de l’Intérieur trouve là sa source principale. Édouard Philippe dit à peu près vrai quand il déclare qu’il n’y a pas «l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette» entre lui et le Président. Les deux hommes ont pu avoir des désaccords techniques (le revenu à la source) ou des sensibilités divergentes (la PMA). Mais idéologiquement, ils sont sur la même ligne. En revanche, ils divergent à l’évidence sur des questions fonctionnelles, ce qui, vu leurs responsabilités respectives au sein de l’exécutif, ne peut avoir que des conséquences politiques majeures.

On tombe toujours là où l’on penche et pour redonner sa stabilité perdue à la majorité, Édouard Philippe en est venu à la conclusion qu’il fallait, pour commencer, rééquilibrer son gouvernement tout en le densifiant. Ce faisant, il est entré dans une logique de rapport de force avec d’un côté le Président et ses fidèles et, de l’autre, ses alliés venus, pour l’essentiel, des rangs d’une droite libérale. Il est même allé encore plus loin en s’affichant, sans trop de discrétion, comme le parrain naturel du second pilier de la macronie, censé apporter sa pierre à la reconstruction d’un dispositif manifestement obsolète.

Dans cette opération, Édouard Philippe ne s’est pas avancé sans quelques atouts en poche. Le premier est que le Président ne dispose plus des ressources humaines nécessaires pour recruter à sa guise depuis que s’est épuisée sa force d’attraction sur la gauche. Le second est que, sur le papier, le Premier ministre peut désormais s’appuyer sur une base parlementaire alternative plus large que celle des députés d’En Marche. Le troisième enfin est qu’à l’approche des élections européennes, Emmanuel Macron se trouve lui-même contraint, s’il veut constituer une liste progressiste capable de tenir le choc, d’aller rechercher le soutien à la fois du Modem et de ce qui reste des réseaux juppéistes.

Quand les proches du Président nient l’existence du moindre désaccord entre lui et le Premier ministre en expliquant que, pour des raisons purement constitutionnelles, celui-ci serait réglé en deux temps trois mouvements, ne voient-ils pas d’ailleurs qu’ils authentifient ce qu’ils voudraient cacher ? Si le processus de nomination du ministre de l’Intérieur a été aussi long et chaotique, c’est qu’Emmanuel Macron soit n’avait pas de candidat crédible à ce poste-clé, soit qu’il n’avait pas la force suffisante pour vaincre les réticences de Matignon. En toute hypothèse, il a ainsi fait la démonstration que pour aller de nouveau vers l’avant, il faudra bien qu’un jour ou l’autre, sa majorité avance sur deux jambes. Cela peut mettre du temps. Si ça n’est pas aujourd’hui, ça sera demain. Cela n’ira pas sans douleurs. Inévitablement, cela reformate en tous cas, sur le plan politique, un macronisme qui n’est déjà plus celui des origines dans un nouveau partage du pouvoir qui dépasse – et de loin – la sempiternelle question des rapport Élysée/Matignon sous la Cinquième République.

Fuites

Emmanuel Maurel s’en va. Marie-Noëlle Lienemann lui emboite le pas. Julien Dray menace de suivre le mouvement. Avant eux, il y avait eu Benoit Hamon, précédé par Jean-Luc Mélenchon. Dans le PS de l’après-Mitterrand, les fuites sont fractionnées et essentiellement à gauche. Elles concernent moins un courant constitué qu’un groupe constitué de longue date. Au temps du PC, on aurait parlé d’une «fraction».

Pilori

François Ruffin publie la liste des 70 députés macroniens qui ont voté une motion de «rejet préalable» sur une proposition de loi venue de la droite portant sur «l’inclusion des élèves en situation de handicap». «Délation», «méthodes de voyou», crient ses adversaires. Mais en quoi est-ce un scandale que de diffuser le détail d’un scrutin public et personnel, réalisé dans l’hémicycle de l’Assemblée et publié par ailleurs au Journal officiel ? Ceux qui le pensent sont pourtant les premiers à tweeter et retweeter des propos ou des actes qui leur déplaisent et qu’ils jugent nécessaire de porter à la connaissance de l’opinion. Cherchez l’erreur.