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Carnets de route #7

Carnets de route #7

Mélenchon dérape comme Macron

Pour le meilleur comme pour le pire, Jean-Luc Mélenchon règne sur ce qui reste de la gauche. Médiatiquement, il est sans concurrent. Olivier Faure est un filet d’eau à peine tiède. Benoit Hamon ne s’est pas remis de sa déculottée à la présidentielle. François Hollande se reconstruit lentement. Bernard Cazeneuve est aux abonnés absents. Olivier Besancenot, pour être complet, parfois pointe le bout du nez mais avec lui, c’est toujours le minimum syndical.

En termes d’appareils, même constat. Avec ses Insoumis, Jean-Luc Mélenchon exerce sur la gauche une attraction à laquelle rien ne semble devoir résister. Le PS, du coup, se fissure chaque jour davantage. Marie Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel viennent de prendre la clé des champs. Leur nouveau mouvement s’appelle «Après», ce qui est tout un programme. Qui, en effet, après eux ? Quant au PC, il n’en finit pas de sombrer. Son secrétaire national vient d’être mis en minorité dans un vote de congrès. Là encore, ce n’est qu’un début.

Électoralement, enfin, à en croire les sondages, la domination des Insoumis reste incontestable, même si à l’approche des européennes, chacun sent bien que le rapport de force de la dernière présidentielle risque d’être un peu moins déséquilibré. On verra bien à ce moment-là quelle sera la force exacte de la concurrence, notamment écolo, mais il serait étonnant que le mouvement mélenchoniste ne conserve pas ce qui fait sa puissance, autrement dit sa capacité à dominer la gauche et donc à demeurer le seul vecteur d’alternance qui soit à peu près crédible, sur ce champs-là de l’échiquier politique.

Dis comme ça, le succès de Jean Luc Mélenchon semble aujourd’hui total. La stratégie qu’il s’était fixé en s’installant à son compte, il y a près de dix ans, a porté tous les fruits qu’il en attendait. C’est lui qu’on entend. C’est lui qu’on attend. C’est à partir de lui que chacun se détermine, à gauche. En ce sens, Jean-Luc Mélenchon est, à sa taille et sur son créneau propre, l’équivalent d’Emmanuel Macron.

Ce dernier voulait s’installer au centre du jeu politique ne marginalisant, pour cela, sur ses deux ailes, les partis traditionnels de gouvernement. C’est ce qui lui permis de l’emporter à la présidentielle. C’est ce qui lui permet de tenir, depuis et d’espérer pour la suite. Tant que les Républicains resteront une famille déchirée et les socialistes, une tribu éclatée, le Président pourra dormir sur ses deux oreilles. Tel est en tout cas son unique stratégie, réaffirmée vaille que vaille lors du dernier remaniement et précisée avec encore plus de netteté à l’approche du rendez-vous des européennes : progressistes vs populistes ou, ce qui revient au même, moi ou le chaos.

Qu’est ce qui fait pourtant que ce tableau qu’on devrait admirer comme une réalisation parfaite n’a pas le caractère qu’on lui prête ? Qu’est ce qui explique que désormais, ni Emmanuel Macron, ni Jean-Luc Mélenchon ne semblent avoir la force et l’élan que leur positionnement devrait leur réserver. La réponse coule de source. Elle n’en est pas moins stupéfiante, si on y réfléchit un instant. Ce que l’un et l’autre ont bâti à leurs seules mains avec la vista que l’on sait, ils le détruisent avec une même constance du fait de leur comportement.

La transgression est un art délicat qui exige de la maitrise. Croire qu’on peut transgresser en même temps les règles du jeu politique et du discours politique est une faute majeure. Il n’est d’ailleurs pas certain que les dérapages verbaux auxquels se livrent régulièrement le président de la République et le leader des Insoumis soient vraiment calculés. On soupçonne souvent les deux hommes d’être, chacun à leur façon, des comédiens patentés, adeptes de mises en scène dont le seul but serait de provoquer ou de créer des clivages. C’est ne pas voir que, dans l’arrogance pour l’un et la démesure agressive pour l’autre, ils dévoilent en fait, avec une sincérité confondante, des traits de personnalité ô combien contestables et surtout ô combien nuisibles à leurs propres intérêts.

Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon contrôlent tout. Sauf eux ! L’un, pour se justifier, invoque son goût du «parler vrai». L’autre, ces derniers jours, parle de fatigue ou de légitime défense face aux provocations judiciaires et journalistiques concoctées par le pouvoir. On pourra toujours dire que leurs sorties de route ne sont ni de même nature, ni de même gravité. N’empêche qu’elles sont de même essence. L’hubris, comme dit Collomb ? Faisons simple autour d’un double constat qui vaut autant pour Jupiter que pour le héros du «bruit et de la fureur» : plus le pouvoir est personnalisé, plus la personnalité compte; plus on monte en graine rapidement en politique, plus souvent il arrive qu’on se montre infantile.

Macron remanie comme Hollande

Il est des remaniements que l’on dit techniques. Il y en a d’autres que l’on peut qualifier de politiciens. Ce ne sont pas les plus simples et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils prennent autant de temps. Leur objectif est essentiellement interne dans la mesure où ils visent essentiellement à vérifier des équilibres au sein de pouvoir et, au besoin, à en établir de nouveaux grâce à la promotion de telle ou telle personnalité. Jusqu’à ces derniers jours, on pouvait croire que, dans le genre, rien ne pourrait égaler le remaniement décidé par François Hollande, le 11 février 2016. Eh bien, c’était une illusion !

Petit rappel des faits et d’abord du contexte. Alors que son quinquennat touche à sa fin et que se pose donc la question d’une nouvelle candidature, François Hollande traverse une très mauvaise passe. La réforme constitutionnelle portant sur la déchéance de nationalité divise sa majorité et sème le trouble jusqu’au cœur de son électorat. Alors qu’une première étape sur le chemin de cette révision vient d’être franchie à l’Assemblée, le temps n’est-il pas venu de relancer la machine gouvernementale en réaffirmant du même coup, la prééminence élyséenne au sein du couple exécutif ?

Pour cela, le Président sort son instrument favori, c’est-à-dire son trébuchet. Le marais socialiste s’interroge ? On nomme donc Jean-Marc Ayrault aux Affaires étrangère en replacement de Laurent Fabius, démissionnaire depuis qu’il s’est réfugié au Conseil constitutionnel. L’allié radical se sent méprisé ? On promeut donc Jean-Michel Baylet aux Collectivités locales. Les Verts sont au bord de la rupture ? On achève de les diviser en nommant Emmanuelle Cosse à l’Écologie tout en récompensant les deux présidents de leurs groupes parlementaires, Jean-Vincent Placé et Barbara Pompili. Enfin, on règle son compte à Fleur Pellerin, remplacée à la Culture par une conseillère du Président, Audrey Azoulay, tandis que le ministre de l’Économie, un certain Emmanuel Macron, est rétrogradé dans la hiérarchie gouvernementale.

Ce modèle de remaniement politicien que l’on croyait indépassable est, au détail près, celui que vient de reproduire l’actuel président de la République. Tout part, là aussi, d’une démission – celle de Gérard Collomb – à un poste clé du gouvernement. À partir de là, tout s’enchaine. À l’Intérieur, on dose et donc on répartit. Christophe Castaner hérite du poste, tout au moins facialement, pour que les apparences soient sauves. La police cependant lui échappe tandis que les collectivités locales reviennent à une proche de François Bayrou – Jacqueline Gourault – flanquée d’un protégé d’Édouard Philippe – Sébastien Lecornu – et d’un fidèle du Président – Julien Denormandie. À la Culture, François Niessen est sacrifié au profit de Franck Riester, président d’un micro-parti, Agir, qui regroupe d’anciens Républicains dont l’apport est jugé essentiel en vue des prochaines échéances électorales. Pour faire bonne mesure et faire croire que la formule initiale du macronisme a été préservée, on muscle enfin le portefeuille de bons élèves comme Jean Michel Blanquer, on récompense de jeunes députés méritants et l’on sort de l’ombre quelques réservistes issus de la société dite civile.

François Hollande, en 2016, préparait la présidentielle. Emmanuel Macron, lui, prépare les européennes. Au-delà, l’un et l’autre, alors que l’impopularité les rattrape, ont tenté vaille que vaille d’imposer leur marque sur un remaniement qui, dans les faits, montre plutôt l’inverse. Plus qu’un nouvel élan, ce sont des jeux d’équilibres qui s’imposent à eux. Leur majorité n’est plus un bloc mais une coalition instable qu’on tente de préserver en offrant à chaque tendance et sous-tendance une part de ce qui reste de butin. Inévitablement, tout cela vient rejaillir sur le rapport de force entre l’Élysée et Matignon.

Comme Edouard Philippe aujourd’hui, Manuel Valls avait été, en 2016, l’acteur impatient et le témoin navré de cette redistribution des cartes gouvernementales, un peu comme si pareille opération venait entraver leurs ambitions naissantes. D’où – et c’est sans doute là le plus important – le désir du Président en titre de clore la séquence en réaffirmant publiquement son leadership contesté. Plus un remaniement est politicien, moins il est compréhensible par l’opinion. Moins il est compréhensible par l’opinion et plus la tentation de l’Élysée est forte de se porter en première ligne quand l’affaire est bouclée, afin qu’il ne soit pas dit que son pouvoir est désormais écorné.

Pour expliquer l’inexplicable, le 11 février 2016, François Hollande s’est donc précipité au JT de 20 heures. Bide garanti ! Le 15 octobre 2018, Emmanuel Macron a commis une faute comparable même s’il a pris la précaution d’intervenir en solo plutôt que de répondre directement aux questions des journalistes. Mais comme son propos était vide, décalé ou bien exagérément artificiel – au choix ! – on a retenu qu’un défaut… d’éclairage. La communication est une alchimie délicate. Ceux qui croient qu’elle peut tout, jusqu’à changer le plomb en or, commettent toujours la même erreur. Lorsque le message qu’on prétend faire passer est faible ou bien trop décalé, c’est le réel qui se venge et vient rappeler ce qui devait ce qui devait être masqué, c’est-à-dire, en l’espèce, l’abaissement d’un Président qui remanie en catastrophe avec pour seule ambition de sauver ce qui peut l’être encore.