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Comment Hollande peut-il rester jupitérien ?

Comment Hollande peut-il rester jupitérien ?

Revoilà Jacques Pilhan ! Il y a tout juste vingt ans, ce grand maître de la communication élyséenne avait confié à la revue Le Débat quelques-unes de ses recettes dans une longue interview qui était à la fois un prétexte – justifier son passage de Mitterrand à Chirac – et l’occasion de dire ce qu’il n’avait jamais fait jusque là, c’est à dire la réalité d’un métier «qui n’a pas de nom». Ce texte-référence a été souvent commenté mais le moins que l’on puisse dire est qu’il n’avait guère été compris, depuis deux bonnes décennies, par ceux auquel il était destiné au premier chef.

Jacques Pilhan avait le goût du luxe. Il ne travaillait que pour le roi – autre nom du président de la République – et s’il consentait à livrer à d’autres ses conseils, c’était avant tout pour la trésorerie de sa petite entreprise. Jacques Pilhan était aussi d’un tempérament farceur. C’est pour cela qu’il aurait adoré que sa pensée revive, soudain, avec une force inégalée, à travers la posture et l’action d’un Président – François Hollande pour ne pas le nommer – qui n’avait jamais caché, jusque-là, son absolu dédain pour les règles de la communication et ceux qui sont censés les faire appliquer.

Il y a dans ce chassé-croisé un formidable paradoxe qui tient bien sûr à la personnalité complexe de l’actuel Président mais aussi, reconnaissons-le, à la sanctification/fossilisation de la pensée d’un homme qui se concevait d’abord comme un simple praticien, qui «cassait ses moules», selon sa propre expression, après chaque mission, et qui, peu avant son décès, reconnaissait volontiers l’obsolescence de ses méthodes de travail, ne serait-ce qu’en raison du bouleversement prévisible du système médiatique.

Alors que tout a changé, seule la statue du petit Jacques serait donc encore debout, au milieu de la place de la République. Avouons que tout cela n’est guère «pilhanesque». À partir de là, deux solutions possibles. Hausser les épaules et lever son verre à la mémoire du sorcier, en imaginant combien ce revival l’aurait fait rire. Ou bien admettre, comme il l’aurait peut-être fait lui-même, que la vraie question du moment n’est pas de recopier ce qui, de toutes façons, n’était pas destiné à l’être, mais à réinventer, à partir de quelques principes d’action, une ligne et une méthode adaptées au «client» et à sa personnalité, au moment qu’il traverse et à la crise qui soudain le mobilise.

On reviendra, dans d’autres occasions, sur les ressorts qui ont bien pu pousser François Hollande à sortir de son ordinaire et à comprendre, du même coup, ce qu’il avait si longtemps négligé. Même si cela n’a pas grand chose à voir avec Jacques Pilhan, il y a toutefois quelque chose de très singulier dans le fait qu’au lendemain des attentats, le Président ait maintenu la petite cérémonie, prévue à l’Élysée, pour la Légion d’honneur de Ramzy Khiroun – homme de com’ s’il est est – en présence du gratin de la profession et que son discours ait été un hommage qui allait bien au delà de la personnalité du récipiendaire. Petit raout entre amis, grand symbole. Là encore, on imagine le rire de Pilhan. Passons…

Le plus intéressant est de voir surtout combien, dans le feu d’une crise qu’il suffisait de nommer – la guerre! –, l’exceptionnel a mobilisé l’urgence et, avec elle, tout l’arsenal d’une autorité rendue à sa vérité première. En ce sens, c’est le moment qui a «pilhanisé» la situation et non l’inverse. Il n’était pas écrit d’avance que François Hollande le comprenne aussi vite. Peut-être même a-t-il agi par réflexe sans consulter, à chaud, le moindre livre de cuisine. Mais il y avait quelque chose de logique dans cette rencontre improbable entre un Président aux abois et un sorcier de la com’, aujourd’hui dans les limbes.

François Mitterrand et Jaques Chirac, en leur temps, avaient tous deux fait appel aux services de Jacques Pilhan alors qu’ils étaient au fond du trou pour des raisons au demeurant différentes, en 1984 pour l’un, dès 1993 pour l’autre. François Hollande, lui, a retrouvé la pensée du sorcier alors qu’il était encore plus près du gouffre. C’est que cette pensée, dans ce qu’elle conserve de plus évidemment opératoire, reste celle de la guerre et du chef, donc du chef de guerre lorsque la résistance s’impose sur l’agenda politique. Sans doute serait-il réducteur de ramener Jacques Pilhan à cette exception-là. Mais c’est pourtant dans cette exception qu’il retrouve l’évidence dont il a recherché la formule tout au long de sa vie.

Un mot, comme toujours, résume le moment et la posture qu’il impose : «jupitérien». Dans le grand livre de Jacques Pilhan, il occupe une place centrale. Il dit tout et résume le reste. Qu’on le resserve subitement à toutes les sauces et qu’on l’accole à un Président qui se voulait normal, au risque de passer pour ordinaire, est la preuve absolue de sa puissance symbolique. Jupiter, pour Jacques Pilhan, c’était Dieu, l’Olympe et la foudre. Ce fut même le nom qu’il avait donné à ce pupitre, en forme de proue de navire, derrière lequel François Mitterrand s’installait lorsqu’il devait dominer la tempête et affronter l’orage.

Un mot, comme toujours, résume le moment et la posture qu’il impose : «jupitérien». Dans le grand livre de Jacques Pilhan, il occupe une place centrale. Il dit tout et résume le reste. Qu’on le resserve subitement à toutes les sauces et qu’on l’accole à un Président qui se voulait normal, au risque de passer pour ordinaire, est la preuve absolue de sa puissance symbolique. Jupiter, pour Jacques Pilhan, c’était Dieu, l’Olympe et la foudre. Ce fut même le nom qu’il avait donné à ce pupitre, en forme de proue de navire, derrière lequel François Mitterrand s’installait lorsqu’il devait dominer la tempête et affronter l’orage.

C’est que, pour Jacques Pilhan, seuls ces moments d’exceptions pouvaient mettre en scène le caractère unique de la fonction présidentielle. Non pas que le chef de l’État ait à se laisser porter par la houle mais parce que sa mission, dans les circonstances les plus graves, est d’être lui-même la tempête et l’orage. À partir de là, tout se décline logiquement. Surprise, transgression, solennité et rareté de l’expression, mise en scène du mystère avec, au bout du compte, un brin d’effroi chez ceux qui assistent à pareil spectacle.

François Hollande, il faut bien le reconnaître, a été servi par les circonstances : attentats du 13 novembre, COP21, élections régionales. Certaines étaient prévisibles et d’autres pas. Toutes n’étaient pas de même nature. Mais toutes ramenaient néanmoins à des enjeux essentiels : la sécurité nationale, l’avenir de la planète, la défense de la République. Rarement dans l’Histoire, on avait assisté à concentration d’événements d’une portée aussi haute dans un contexte aussi dramatique. Quand on relit cette séquence ô combien «pilhanesque» », il devient clair que la force de François Hollande fut de comprendre, d’emblée, que le moindre de ces épisodes allait faire sens et que chacun d’entre eux étaient lié à un tout dont il devait être la seule incarnation.

Dans ce genre d’opération, c’est l’entame qui compte : sa rapidité, sa brutalité, sa clarté. D’où la foudre. Il fallait un moment : le congrès. Il fallait un théâtre à sa mesure : Versailles. Il fallait un parterre exceptionnel : la représentation nationale au grand complet. Il fallait enfin un ton et un discours qui disent à la fois une audace et un rappel aux grands principes de la République. Ce fut donc le virage sécuritaire et l’exigence d’une révision constitutionnelle. Sur de telles bases, François Hollande n’a pas gagné la guerre mais il s’est donné les moyens d’être celui autour duquel devaient se rassembler ceux qui entendaient la livrer. Ce qui était au fond le plus dur, vu son discrédit dans l’opinion et l’étroitesse de ses bases politiques.

Pour raisonner comme Pilhan et Jupiter à la fois, on peut même dire que ce discrédit, quand tout a commencé, fut l’ingrédient sans lequel l’effet de surprise n’aurait pas eu pareil effet de souffle. On peut même pousser plus loin encore ce raisonnement apparemment paradoxal en notant que dans le positionnement symbolique, François Hollande a eu l’intelligence instinctive de ne pas reproduire ce qui lui avait pourtant bien réussi, lors des précédents attentats de janvier 2015.

À cette époque, il avait été l’homme de l’émotion partagée. On l’avait vu dans la rue, au milieu de la foule, au bras des Grands, ses semblables, redevenus le temps d’un après-midi des humains ordinaires entre République et Nation. Le Président avait ainsi trouvé les mots et les gestes que l’opinion attendait, avant de remonter tranquillement sur son Olympe défraîchie. Ce qui était une façon comme une autre de montrer qu’après s’être mêlé au commun, il restait, malgré tout, d’une essence particulière. Ce n’était pas grand chose mais, dans le contexte, c’était déjà beaucoup pour un Président dont on se demandait alors s’il n’avait pas enfilé, en 2012, un habit trop large pour ses épaules.

Explorer le même filon, quelques mois plus tard, dans des circonstances encore plus dramatiques, aurait été un erreur majeure. François Hollande ne l’a pas faite et c’est en cela aussi qu’il s’est montré comme Jacques Pilhan aurait voulu qu’il soit. C’est à dire différent, imaginatif, transgressif. Sans doute n’était-il pas nécessaire de remonter jusqu’aux textes sacrés de la communication, pour comprendre que resservir deux fois le même plat, c’est souvent souligner que le premier n’avait pas la saveur qu’on avait prétendu et aussi rappeler qu’entre-temps, tout n’a pas été fait en cuisine pour qu’un service aussi dramatique n’ait pas à se reproduire.

Pour autant, il y a une sacrée différence entre la conscience du changement nécessaire et l’élaboration dans l’urgence d’une nouvelle posture qui ne soit pas un simple mea culpa. Là est le miracle de Versailles dont l’efficacité première a été de laisser la droite sur le cul et l’opinion pantoise. François Hollande a foncé, ce jour là, droit à l’essentiel, c’est à dire là où personne n’était en mesure de le rejoindre : en haut, tout en haut, seul et unique avec, dans une main, la foudre du guerrier et, dans l’autre, les tables de la loi républicaine dont il exigeait soudain qu’on les réécrive, sous sa dictée.

Dans le registre jupitérien, on a rarement fait mieux. À ceci près, pour parler encore comme Jacques Pilhan, que l’entame dicte sans doute la séquence mais que celle-ci ne se résume pas à l’entame. L’autre surprise réservée par François Hollande est de l’avoir compris tout seul. Le lâcher de foudre, ce n’est pas un tapis de bombes. Ou pour le dire autrement, la com’ selon Pilhan, ça n’est jamais la reproduction systématique du pareil au même. On a souvent évoqué, à ce sujet, cette théorie de la rareté dont il aurait été le génial inventeur. En fait, Jacques Pilhan a toujours plaidé non pas pour le silence mais pour l’arythmie, ce qui n’est pas la même chose. Il a maintes fois expliqué que parler comme les autres, au même moment que les autres, était le meilleur moyen de ne pas être entendu dans le brouhaha ambiant. Il a ainsi suggéré aux Présidents dont il était le conseil, que pour préserver le caractère unique de leur position institutionnelle, ils devaient apprendre à ne pas banaliser leur parole.

L’ordonnance peut sembler triviale. Mais comme disait Jacques Pilhan, «faire simple, c’est souvent compliqué». Il ajoutait d’ailleurs qu’un bon travail de communication est celui qui ne se remarque pas, tant il semble être placé sous le signe de l’évidence banale. C’est exactement ce chemin-là qu’a emprunté François Hollande, au lendemain de Versailles. Non plus la foudre à jet continu mais de la diplomatie à haute dose. Non plus de l’autorité façon coup de menton mais de la compassion solitaire. Peu de mots, y compris lors de l’hommage des Invalides. Une solennité sobre et émue. Beaucoup d’images silencieuses mais parlantes. Aucune interview. Un soutien en surplomb lors de la COP 21, agrémenté de visites régulières au Bourget, tel un délégué de bonne volonté. Pas un mot, enfin, lors des régionales mais, après coup, quelques photos aisément décryptables avec Xavier Bertrand, dans un mémorial de la fraternisation entre soldats de la Grande guerre.

On a pourtant écrit ici même que sa nouvelle posture allait inévitablement le conduire à s’exprimer, dés le lendemain du 1er tour, tant la poussée du FN semblait hélas prévisible. Peut-être François Hollande y a-t-il songé. En tous cas, il ne l’a pas fait et, dés avant ce scrutin, il avait jugé que son Premier ministre était le mieux placé pour assumer, dans toutes ses conséquences, y compris celle du retrait de liste, un combat républicain victorieux. Nul n’a jamais douté que François Hollande soit le stratège discret de cette opération. Mais cela n’a pas empêché Manuel Valls de parler avec ses propres mots.

À la télévision, il a été jusqu’au bout de cette logique glacée en prononçant distinctement le nom des têtes de liste de la droite auquel il appelait à voter dans le Nord, le Grand Est et en PACA, sans se contenter des habituelles périphrases, genre «le candidat le mieux placé pour faire barrage…». Tout cela pouvait sembler à l’oreille d’une tonalité hollandaise, mais dans le style éminemment vallsien. Pour surligner cette répartition des tâches, lorsqu’on a pu constater que le FN venait d’échouer dans ses ambitions de conquête, François Hollande a ainsi pris soin de faire savoir qu’il avait passé sa soirée, en tout petit comité, à l’Élysée, entouré de quatre collaborateurs.

Cette simplicité affichée est passée comme une lettre à la poste. C’est tout juste si certains ont osé ajouter que le téléphone présidentiel avait sans doute chauffé davantage qu’on ne le prétendait. Mais en l’occurrence, le message, celui qui a été retenu par le plus grand nombre, tant il a été soigneusement relayé, était que François Hollande, au soir de la bataille, conservait le tranquille sang froid des Grands quand ils savent que la guerre de reconquête ne fait que commencer. Au passage, on notera que c’est dans ce genre de détail qu’on vérifie la justesse d’une ligne de communication. Quand elle tient au début, elle tient jusqu’à la fin. Et inversement. La petite séquence PSG de Nicolas Sarkozy, de ce point de vue, se passe de commentaires.

Ce qui ne signifie pourtant pas que celle de François Hollande, dans sa dernière expression, soit purement anecdotique. Elle est sans doute cohérente avec ce qui a précédé. Elle annonce la suite qui, encore une fois, pourrait être signée Pilhan mais qui ne va pas sans poser quelques difficultés pratiques. Le Président a donné rendez-vous aux Français, le 31 décembre, à la télévision pour l’exercice le plus institutionnel qui soit et qui est d’ailleurs, à ce titre, un de ses privilèges absolus. D’ici là, rien ou, du moins pas grand chose, au moins dans l’expression publique. Le conseil des ministres du 23 décembre sera l’occasion de mettre en forme législative le discours de Versailles. On verra ce jour-là un gouvernement au grand complet, réuni dans une formation inchangée.

Le remaniement annoncé a été d’autant plus vite oublié qu’il n’avait été décidé que par la presse. À Matignon, l’idée avait été caressée un moment de faire entrer Jean-Michel Baylet et Jean-Vincent Placé. Ces deux-là attendront, une fois de plus. Du coup, la même presse vient de proclamer, urbi et orbi, que le Président n’avait pas changé et qu’après les chocs de novembre et décembre, le flottement habituel, sous couvert de prudence pépère, avait fait son retour à l’Élysée, au grand dam de Manuel Valls.

C’est oublier que dans la panoplie jupitérienne de François Hollande, il y a un geste technique qui n’est pas le moins efficace. Se taire trop longtemps quand monte la demande d’une parole forte, c’est prendre le risque de décevoir. Mais se taire le temps qu’il faut pour laisser croître le désir, c’est aussi se donner, le moment venu, les moyens d’une écoute maximum. Pour être entendu, il faut être attendu, disait Jacques Pilhan, en son temps. On en est là et le mutisme élyséen n’est peut-être pas l’expression de cette triste résignation sur fond de «business as usual» que certains croient déjà deviner après la flambée de ces dernières semaines.

Cela dit, Jacques Pilhan, si tant est qu’il a repris post mortem sa place favorite auprès du Président, avait au fond de sa poche une autre formule qui n’est pas moins d’actualité. «Si tu n’as rien à dire, pourquoi le faire savoir ?». Dans un passé encore récent, François Hollande aurait mieux fait de s’en souvenir. Le risque du rendez vous de ses vœux, le 31 décembre prochain, est d’être incontournable et d’avoir été monté délibérément en épingle par les communicants de l’Élysée. On peine à croire qu’ils n’aient pas mesuré l’enjeu de ce teasing. Même s’il ne faut jamais jurer de rien, il serait incompréhensible, d’un simple point de vue professionnel, qu’ils se soient avancé si loin, sans la moindre bille.

Osons ici une hypothèse. Il est possible que François Hollande soit encore aujourd’hui dans une hésitation, compréhensible au demeurant. Ce qui va se jouer, après les fêtes, est un coup décisif qui marquera, quoi qu’il arrive, le début de la campagne de sa possible réélection. Il a repris pied dans le débat public. Mais il avance sur un fil. On connaît sa difficulté à imaginer des choix stratégique majeurs, autrement que dans l’urgence du moment. Prévoir à plus de dix jours est chez lui une souffrance. Mais on a pu vérifier aussi, en novembre, que lorsque tout flambe autour de lui, il n’est pas le dernier des manchots pour prendre son risque et foncer. Ceux qui l’avaient oublié à force de mépris, s’en mordent encore les doigts.

Puisque Jacques Pilhan est partout, autant citer une phrase de Retz qu’il aimait particulièrement. «Monsieur, écrivait le cardinal, faisait, en toutes choses, comme font la plupart des hommes quand il se baignent: ils ferment les yeux en se jetant à l’eau». Imaginer que François Hollande soit un descendant de Gaston – d’Orléans, cela va sans dire – est une erreur que beaucoup ont commise depuis 2012. Ce n’est peut-être pas une raison pour là réitérer à chaque occasion. C’est sans doute parce qu’il n’y voit pas encore clair que le Président a choisi d’attendre – et de se faire attendre – avant d’éclairer la scène de sa fin de mandat. Il semble évident qu’autour de lui, cette lente décantation suscite jeux de rôles, jeux d’influence et autres impatiences en tous genres. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à lire les journaux. En conclure que rien ne sortira du chapeau, c’est pourtant aller un peu vite en besogne.

Si l’on admet que le Hollande de janvier sera de la même eau que celui de novembre et que son bain favori reste celui de Pilhan, alors, il convient de poser, avec lui, deux questions essentielles. La première est celle du rythme. La cérémonie des vœux refermera-t-elle une séquence ou en poursuivra-t-elle une nouvelle? Sera-ce l’occasion d’un approfondissement de la ligne engagée ou celle d’une innovation majeure ? Le mouvement, enfin, s’il doit intervenir, sera-t-il politique, militaire, économique ou social ?

Le 31 décembre ouvre, pour la Président, une séquence qui court sur tout le mois suivant et que vient clore, généralement, une conférence de presse. Jupiter, dans cette affaire, ne dispose donc pas d’un seul jeu de foudre et il bénéficie même de plusieurs fenêtres de tir. La logique voudrait que, là encore, l’entame soit la plus forte ou, à défaut, la plus globale. Mais plutôt de gloser sur les nouvelles hésitations de François Hollande, mieux vaudrait-il sans doute en comprendre la nature.

Il y en a une dont on ne parle jamais alors qu’on voit pourtant mal pourquoi elle ne troublerait pas les nuits élyséennes. Le Président, dit-on parfois, hésite, faute de connaître la conjoncture économique à venir. Il a la main qui tremble, ajoute-t-on, parce qu’il n’est pas encore sûr de ses points d’appuis politiques, que ses ressources humaines dans le cheptel de la gauche et de la droite restent limitées et qu’il n’a pas encore mesuré la solidité des mouvements qui travaillent aujourd’hui l’opinion, en profondeur. Tout cela est sans doute vrai mais la liste n’est pas close.

Pour dire les choses sans détour, que se passerait-il en effet si, dans les mois à venir, comme on le dit souvent au sommet de l’État, un nouvel attentat venait frapper la France ? En matière de rendez-vous, celui-là, fut-il hypothétique, aurait sur le destin de François Hollande un impact bien plus fort que des vœux attendus, le 31 décembre au soir. Renverser la table, un jour de réveillon, en proposant au pays de nouvelles perspectives dans la résistance et le redressement, ça n’est pas tout à fait la même chose que répondre, pour la troisième fois, aux angoisses d’une société face à un terrorisme aveugle. Or pour être à la hauteur et rester en même temps crédible, dans ce genre de circonstances, François Hollande sait aujourd’hui d’expérience qu’il faut savoir changer de terrain, innover et surprendre. Ce qui suppose que Jupiter ait alors, dans sa manche, des armes qui n’auront pas été grillées auparavant.

Il est probable qu’à l’Élysée, cette menace constante – qui le restera d’ailleurs jusqu’à la présidentielle de 2017, campagne électorale comprise – a déjà été intégrée dans la définition de la future stratégie hollandaise. Mais l’intégrer, ce ne peut être en connaître d’avance le moment et la force. Cette incertitude ne peut que peser sur les choix que va devoir faire Hollande d’ici la fin de l’année. À elle seule, elle justifie que, dans la gestion du rythme de la parole présidentielle, la vitesse soit perçue, par le Président, comme la marque d’une précipitation aventureuse.

L’autre question qui découle logiquement de celle du rythme hollandais, est celle, à peine moins compliquée, de son positionnement exact dans le champs institutionnel. En haut de l’Olympe, Jupiter est unique mais dans le royaume de dieux, il y en a certains qui, pour être de second rang, n’en sont pas moins efficients. Dit plus prosaïquement, sous la Cinquième République, le Président est roi mais l’exécutif a deux têtes. D’où cette question toute bête : la foudre peut-elle être demain partagée entre François Hollande et Manuel Vals sans que le premier ne déchoie de son statut ?

Jacques Pilhan n’a pas été le dernier à réfléchir, dans le domaine d’action qui était le sien, sur l’articulation de ces deux rôles. Il avait conclu classiquement que les modes de communication du Président et du Premier ministre devaient se renforcer mutuellement, l’une se déployant sur l’axe privilégié de la verticalité, l’autre se réservant l’essentiel de l’horizontalité. Mais parce qu’il n’avait pas été conduit à gérer la candidature d’un président sortant autrement qu’en période de cohabitation, il ne s’est jamais vraiment interrogé sur le rôle de Matignon dans une campagne telle qu’elle se dessine aujourd’hui.

Du coup, rien ne permet de dire quelle aurait été sa préconisation dans la phase actuelle où la guerre – la vraie – est à l’ordre du jour et où la bataille électorale va bientôt commencer. S’agissant cette fois-ci de François Hollande, il n’est pas anodin qu’il ait laissé Manuel Valls aux avant-postes du combat républicain, lors des dernières régionales, quitte, on l’a vu, à lui laisser l’usage ponctuelle de la foudre. Cette répartition des rôles et des munitions avait une fonction conjoncturelle. N’empêche qu’elle a été faite en bonne intelligence par les intéressés alors qu’on aurait pu juger que l’arsenal utilisé était le privilège exclusif du chef de l’État.

Toute la question est maintenant de savoir si cette exception peut devenir la règle et, si oui, dans quelle proportion. Derrière elle, il y en une autre, liée d’ailleurs à celle du rythme, et qui est celle de la posture d’un Président, chef de guerre et bientôt général en campagne. Doit-on juger que ses responsabilité se conjuguent au point de concentrer un peu plus l’exercice du pouvoir suprême ? Ou, faut-il imaginer que dans ces circonstances particulières, le Premier ministre se fasse encore plus bouclier, au point d’empiéter, plus que de coutume, dans les mois à venir, sur le pré-carré présidentiel ?

Ce point de doctrine aussi devra nécessairement être réglé par François Hollande dans les semaines qui suivront ses vœux du 31 décembre. On voit d’ailleurs depuis quelques jours comment il s’installe dans l’agenda politique alors que Manuel Valls appelle à l’union nationale dans la lutte contre le chômage. Il est bien sûr inimaginable que le Président laisse à un autre que lui le soin de définir la ligne, surtout si elle devait confirmer une inflexion majeure de son action. Mais dans l’application pratique de celle-ci, rien n’interdit que les rôles évoluent. Non pas pour abaisser le Président et permettre au Premier ministre de se hausser du col. Le seul mouvement possible serait plutôt que l’un, dans l’exercice de sa fonction et avant de se lancer dans l’arène électorale, prenne au contraire un peu plus de hauteur pour laisser à l’autre les risques d’une implication plus directe dans les accélérations et les clarifications que la situation exige.

Ce double repositionnement était trop compliqué et donc illusoire, en période ordinaire. Après les chocs de novembre et janvier, il redevient envisageable pour la simple raison que François Hollande est désormais jupitérien et que sa popularité lui permet de partager sans déchoir. Plus haut, plus fort, donc moins crispé sur ses derniers privilèges. Plus évidemment en campagne et mieux disposé, du même coup, à entretenir sa réputation de père de la Nation toute entière. Plus exceptionnel, enfin, et donc encouragé à préserver son statut, avant qu’il soit confirmé dans les urnes.

Sans doute Jacques Pilhan, ce grand joueur de poker devant l’Éternel, aurait-il aimé que son grand retour dans le débat public lui permette de se mêler à cette partie inédite où, sur la table de l’Histoire, les cartes se redistribuent comme jamais, sur fond d’audace et de bluff, d’imagination et de leurres. Le très grand et le tout petit à la fois. Ou, plutôt, le très grand grâce au tout petit. Tel était son bonheur et son talent insurpassé. On ne se hasardera pas ici à faire des paris pour la suite. Une fois a suffi ! On se contentera de signaler que la force de François Hollande, pour une fois, est d’avoir entre les mains mieux qu’une paire de valets noirs et que là est précisément et sa chance et son risque.