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Comment Macron compte devenir roi

Comment Macron compte devenir roi

Alain Minc, qui aime faire la sortie des (grandes) écoles, raconte volontiers n’avoir rencontré l’ambition à l’état brut qu’à deux reprises au cours de ces vingt dernières années en la personne d’Emmanuel Macron et de Matthieu Pigasse. Deux énarques de la même génération, deux étoiles de Bercy, deux futurs banquiers d’affaires, l’un chez Rothschild, l’autre chez Lazard, deux jeunes gens bien nés qui ne cachaient alors rien du rêve de leur vie: l’Élysée, un jour, non pas comme simple conseiller mais comme Président. Tout simplement.

Sur le chemin de la gloire, Emmanuel Macron n’est pas parti le premier. Longtemps, il a laissé son camarade – ou plutôt son rival – faire la course en tête. Mais, à l’heure des choix décisifs, il a su jouer le bon cheval, à gauche. Non pas Fabius ou DSK mais Hollande. Pour attraper le pompon, en 2012, et intégrer le saint des saints dans la République des talents, il était le mieux placé. Secrétaire général adjoint de l’Élysée, à tout juste trente quatre ans, quand on vise aussi haut, c’est une rampe de lancement qui vaut largement d’autres. Aujourd’hui, Emmanuel Macron est ministre de l’Économie tandis que Matthieu Pigasse dépense sa fortune dans la presse dont il assure d’ailleurs l’animation lorsqu’il lui vient l’idée de publier des tribunes radicales en compagnie d’Arnaud Montebourg. Mais c’est déjà une autre histoire.

Quand viendra le temps de raconter celle d’une génération socialiste à travers le destin de ces deux représentants les plus éminents et, en tous cas, les plus carnassiers, c’est en passant par des DRH paradoxaux qu’il faudra, en tous cas, procéder. Alain Minc, l’ex-ami de Sarkozy, a mis le pied à l’étrier. Puis est venu le temps des parrains de la gauche de gouvernement. Montebourg, dans cette aventure, c’est l’anti-Attali. Ce dernier agit en coulisse et propulse vers le haut alors que le héros déchu de la démondialisation a la fâcheuse manie d’envoyer dans le mur – et avec quel éclat ! – ceux qui prennent son sillage. Emmanuel Macron, pour ne parler que de lui, est l’enfant naturel d’un quinquennat hors norme dont il est devenu, au gré des improvisations hollandaises, la figure la moins attendue.

François Hollande a dit et répété, tout au long de sa carrière, qu’il n’avait aucune tendresse pour ces «beautiful people» qui croient que l’argent, ajouté aux diplômes, peut ouvrir les portes de la politique en oubliant les rudes contraintes du combat électoral. «Le monde de la finance» était, paraît-il, son «ennemi» et «les riches», surtout quand ils sont rentiers, sa détestation constante. Il a toujours professé que les représentants de la société dite civile faisaient de piètre ministres pour la simple raison qu’ils ignorent les règles de base de ce métier à nul autre pareil. Au lendemain de son élection, il a appliqué ces principes à la lettre. Ses premiers gouvernements ont été la transposition, poste pour poste, de l’ancien secrétariat national du PS. Chacun à sa place. Que les conseillers – fussent-ils les plus brillants et les plus fortunés – conseillent et que les élus gouvernent. C’était une manière comme une autre de montrer qu’avec lui, la République avait tourné définitivement la page des sulfureuses années de l’ère sarkozyste.

Emmanuel Macron, en ce sens, est un miraculé. Ou un veinard. C’est selon… Il y a tout juste un an, il avait fait un pas de côté. Il avait rêvé, lors du passage de témoins entre Ayrault et Valls, d’une promotion à la mesure de ses ambitions. Secrétaire général de l’Élysée, à titre plein ? Ministre du Budget, pour commencer ? Tout cela lui avait été refusé et il avait donc choisi, en attendant des jours meilleurs, de cultiver son propre jardin, loin des allées du pouvoir. Une société de conseil, des cours dans les meilleurs universités américaines : quand on a la vie devant soi et qu’à l’évidence, on ne croit plus guère à la réussite de son ancien patron, c’était là une pause dont les ressorts étaient, somme toute, aisément compréhensibles.

La cuvée du redressement, cru 2014, à Frangy-en Bresse a donc été, pour Emmanuel Macron, celle d’un rebond non-programmé. Il était loin et Montebourg, déjà ailleurs. On l’a rappelé dans l’urgence tandis que l’autre était prié de faire ses cartons. Rarement, dans l’histoire de la République, une telle substitution à un poste aussi stratégique que celui de l’Économie n’avait été à ce point improvisé alors qu’en même temps, elle semblait d’une lecture d’une parfaite évidence. On ne fera pas ici la liste des qualités prêtées aux deux hommes. Point par point, elles s’opposaient avec une précision telle que ce remaniement a pris ainsi l’allure d’un tournant définitif de la ligne présidentielle, neuf mois après le lancement du pacte de responsabilité. François Hollande, à mi-mandat, au plus bas de ses espérances, a fait, ce jour-là, l’enfant qui lui ressemblait le moins. Il a troqué un soit-disant allié de référence contre un ministre hors norme qui lui devait désormais tout. Manuel Valls, dans le même mouvement, a rompu le contrat qui l’avait propulsé à Matignon. Il a gagné, en même temps, sur un champ d’expérimentation d’une gauche rendue à la modernité, un nouveau complice et un futur rival.

C’est à la lumière de ce jeu de taquet qu’il faut lire les péripéties de la rentrée 2015, même si la polémique sur les 35 heures, détricotées depuis belles lurettes, paraît un tantinet sur-jouée. Emmanuel Macron pense, depuis toujours, être né sous une étoile présidentielle. Il a trouvé sa place, parmi les astres de la politique, dans des circonstances imprévues dont on voit pourtant bien, a posteriori, combien elles étaient liées, dès l’origine, à la préparation des échéances de 2017. C’est mal connaître ce genre de caractères que d’imaginer qu’ils puissent ne pas voir dans la divine surprise qui leur a été accordée, sinon un signe du destin, du moins la confirmation d’un talent signalé.

Il y a du Bernis dans Macron. On raconte que, jeune abbé, le futur cardinal était allé solliciter une faveur auprès de Mgr Fleury, éternel Premier ministre de Louis XV et que celui-ci l’avait accueilli par ces mots : «Moi vivant, vous n’aurez rien». Bernis l’aurait alors salué très bas avant de lui répondre avec insolence : «Eh bien, Monseigneur, j’attendrai». Alors que la gauche française est au bord du collapsus, c’est la seule question qui vaille désormais pour Emmanuel Macron. Est-il prêt à attendre ? Et si oui, peut-il le faire autrement que dans ce libertinage intellectuel qui fut – entre autre – le privilège de son lointain prédécesseur.

Pour deviner la suite, il faut prendre Emmanuel Macron tel qu’il est aujourd’hui. Jeune, plus jeune que tout les autres et donc moins pressé dès lors que ni le rendez-vous de 2017, ni même celui de 2022 ne sont l’horizon final de ses ambitions. Populaire dans l’opinion, y compris à gauche, mais honni par ses secteurs les plus militants. Libre, au poste qui est le sien, de décliner les gammes d’un néo-libéralisme que les plus gradés hésitent à revendiquer trop ouvertement pour ne pas bouleverser les équilibres dont ils sont la fragile expression. Dépendant toutefois d’un jeu dont il n’est pas le maître puisqu’il suffirait que le désastre attendu de la prochaine présidentielle vienne liquider son camp pour qu’il se retrouve, et pour longtemps, sans véritable point d’appui, tel un ces anciens ministres, isolés et flottants, faute d’avoir su trouver un de ces mandats nationaux ou locaux qui permettent de vivre et de survivre en période de vaches maigres.

Le pari de Macron, tel qu’on peut aujourd’hui le comprendre, est à l’intersection de ces atouts et de ces contraintes. On dira simplement qu’il accumule et que dans ce moment primitif, il a choisi, une fois encore, d’explorer un registre original et risqué qui colle, à ses yeux, à l’humeur de la période et qui correspond, par ailleurs à ce qu’il sait faire de mieux. Il fut un temps où les ambitieux de son acabit faisaient carrière en politique, au sortir de l’école, en rejoignant un cabinet, puis en labourant une circonscription tout en se faisant une place dans l’appareil d’un parti. Un jour, il devenait ministre et la voie pour de plus hautes ambitions se dégageaient sous leurs pas, au gré de la chance et des jeux croisés d’ambitions rivales. Un Fabius ou un Hollande, à gauche, sont entrés dans la carrière par ses chemins balisés qu’à droite, un Giscard, un Chirac ou un Juppé ont également explorés.

Emmanuel Macron est fait d’un autre bois. Non pas seulement parce qu’il s’est frotté, pour commencer, au privé. Georges Pompidou, avant lui, après tout, a fait lui aussi ses classes chez Rothschild… L’originalité d’Emmanuel Macron – la vraie – est ailleurs. Pour monter, il fait confiance au hasard, étant entendu que celui-ci sert toujours par servir ceux qui savent le provoquer. Emmanuel Macron est un gourmand au ventre plat. On l’a vu l’année dernière. On vient à nouveau de le constater après que François Rebsamen a rendu ton tablier. Pour croquer un bout du ministère du Travail, il a été tout de suite partant. S’il faut un jour réunifier Bercy sous une même autorité, il ne sera pas aux abonnés absents. Mais l’actuel ministre de l’Économie ne se signale pas simplement par cet appétit féroce qui sied aux ambitieux. Sa patte est celle d’un jeune homme post-moderne, dans un mélange qu’on n’avait pas encore vu à ce point, de réalisme froid sur les attentes de la société, de compréhension crue de ses points de blocage et de certitudes décomplexées sur la manière dont on pourra, demain, les lever efficacement.

Emmanuel Macron ne croit pas aux partis mais c’est un idéologue. Ou, plus précisément, il ne croit pas aux partis parce que c’est un idéologue. A partir de là, on comprend mieux comment il avance. Non pas masqué. Son militantisme d’hier – ô combien minimal – est déjà une vielle histoire. Il n’a plus sa carte du PS et ceux qui l’ont encore sont fondés, à ce titre, à se méfier de lui. Sa conviction désormais affichée est que la politique est un exercice vain, dès lors qu’elle est un art de gouverner, depuis que les formation de ce nom sont devenus des astres vides ou de simples conservatoires des idées obsolètes. Sans doute n’est-il pas le premier à le penser mais ceux qui, avant lui, affichaient pareilles convictions, se présentaient comme des pragmatiques absolus. Or tel n’est pas le cas d’Emmanuel Macron.

Le bon sens qui lui sert de bouclier lorsqu’il entend faire tomber les idoles ou briser les tabous, n’est pas l’unique registre de son répertoire. Comme Manuel Valls, mais avec un logiciel bien plus sophistiqué qui tient aussi à son parcours personnel et à la moindre urgence de ses ambitions affichées, il estime que le décrépitude de la gauche est le fruit de sa paresse intellectuelle et qu’à force de mettre face à face ceux qui ne pensent rien et ceux qui récitent des catéchismes hors d’age, elle ne pouvait résister à l’épreuve du pouvoir, sans se briser les reins. On n’en est plus très loin et, du coup, ce grand vide ouvre la voie à ceux qui, tel Emmanuel Macron, tente de suivre, dans l’urgence et dans un tout autre contexte, l’exemple de la rénovation blairiste.

On oublie trop souvent que celle fut, avant tout et pour commencer, un essai de réforme intellectuelle qui plongeait ses racines au plus loin des racines chrétiennes du mouvement travailliste avec la Fabian society. En politique aussi, les renaissances sont souvent des archaïsmes revus et corrigés. Manuel Valls pratique cet exercice dans une relecture du vieux projet républicain français. Emmanuel Macron, lui, va chercher encore plus loin en revisitant les classiques d’un certain libéralisme pré-révolutionnaire. Quand il légifère, il a quelque chose de Turgot et de cette Marseillaise du blé que saluait Michelet lorsqu’il décrivait son combat contre l’archaïsme des Parlements d’Ancien régimes et des corporations en tous genres, habiles à liguer contre lui les émotions populaires. Quand il dit sa philosophie, comme récemment dans une interview à l’hebdomadaire Le Un, on croit entendre les réflexions de Necker, Constant ou de Madame de Stael – une même famille – sur les limites d’un parlementarisme privé de «la verticalité» d’une autorité supérieure.

Il y a longtemps qu’à gauche, cette tradition là, a été oubliée avant d’être recouverte par la lourde chape de ce qu’on appelle le socialisme. Il faut bien reconnaître que son progressisme ne fut parfois que de surface et que ses portes-drapeaux sont les vaincus d’une histoire qui a oublié leur exemple et dédaigné leurs idées. Tous, un jour ou l’autre, ont connu la disgrâce, venue d’en haut, de ceux là même dont on pensait qu’ils leur prêteraient une oreille attentive. Le projet Macron, il est là. Niché au cœur d’un pouvoir qui prend l’eau. Défendu par un ministre qui veut croire que le logiciel de la gauche est à ce point déréglé que c’est en le bourrant à nouveau d’idéologie qu’il pourra survivre au désastre qui l’attend. Porté, enfin, par un jeune homme qui se voit roi, un jour prochain, et qui, pour cela, fait le plein des attributs du pouvoir, tant qu’il en est encore temps, en se disant qu’avec un tel bagage, lui seul pourra traverser, sans l’aide des partis vermoulus, le désert qui vient.