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Des gauches irréconciliables ? Une évidence !

Des gauches irréconciliables ? Une évidence !

La politique et avec elle, le monde des médias, adorent ces mots valises, pleins de concepts flous, qui animent des débats d’autant plus animés qu’on les cite de travers ou de manière tronquée tout en les agitant comme des oriflammes censées délimiter le champ de la bataille. Hier, c’était «le monde de la finance» – devenu subitement «la finance» tout court – dont François Hollande avait fait son «ennemie» sans que l’on ait jamais su s’il s’agissait de l’abattre ou de le remettre à sa place, ce qui n’est quand même pas tout à fait la même chose.

Aujourd’hui, avec l’entrée en campagne de Manuel Valls, changement de décor, changement de formule mais même procédé. C’est le caractère «irréconciliable» des «positions» défendues par les diverses fractions de la gauche qui constitue l’ordinaire du commentaire dominant, lequel réduit les propos tenus par l’ancien Premier ministre en janvier 2016, à une formule-choc – «il y a en France deux gauches irréconciliables» – quitte à oublier au passage qu’à ses yeux, l’ennemi de l’intérieur, si l’on ose dire, avait à l’époque le visage d’un seul homme : Jean-Luc Mélenchon, coupable d’avoir déclaré que Hollande suivait «en pis» les traces de Sarkozy. Rien de moins…

Ce sont là des simplifications dont il est aisé de comprendre la genèse dans un combat politique aussi binaire que sommaire. Quant aux ressorts de ces raccourcis hasardeux, ce sont ceux, comme d’habitude, d’une communication mal maitrisée ou alors à courte vue. Mais dès lors que le débat prend l’ampleur que l’on voit, mieux vaut sans doute le décortiquer plus avant plutôt que de s’en tenir à la réalité formelle des propos qui sont censés le nourrir.

Qu’en France, la gauche soit multiple ou plurielle – au choix – et que ses divisions aient atteint aujourd’hui un niveau rarement égalé est une vérité d’évidence. Nul besoin pour s’en convaincre d’invoquer les mânes des grands ancêtres. Que son histoire soit rythmée par des controverses violentes et de réconciliations éphémères n’a pas besoin d’être davantage rappelé. Que son unité, fut-elle partielle ou bancale, soit la condition de son accession au pouvoir est enfin un constat d’une rare banalité.

Au fond, la gauche française est une famille traversée de projets rivaux qui n’ont jamais été réconciliés. Sinon, comment expliquer la pluralité de sa représentation partisane ? Mais, elle a été pourtant capable de compromis qui lui ont permis d’éviter des conflits destructeurs. Comment comprendre autrement qu’elle ait su parfois trouver le chemin du gouvernement, via l’Elysée ou Matignon ?

Aujourd’hui, la question n’est donc pas de savoir si une quelconque synthèse peut être faite entre les idées défendues par ceux qui entendent porter ses couleurs à la prochaine présidentielle. Entre Mélenchon et Valls, ou entre Macron et Montebourg, il y a de telles divergences de fond que personne n’imagine sérieusement que les uns et les autres puissent signer on ne sait quel programme commun. La seule question qui demeure donc est de savoir si le processus de la primaire peut arbitrer entre des ambitions rivales, non pas en effaçant ce qui les fondent mais hiérarchisant ce qui les nourrit.

Là encore, force est de constater que le désaccord est total entre ceux qui acceptent de se soumettre à ce processus de sélection – Valls et Montebourg notamment – et ceux qui s’y refusent – Mélenchon et Macron – pour ne pas les nommer. Si l’on écoute d’ailleurs attentivement le porte-drapeau de la France insoumise, rien n’indique qu’il ait même l’intention d’appeler à voter pour le candidat de son camp le mieux placé au soir du premier tour de la présidentielle dans le cas, improbable il est vrai, où celui-ci se serait qualifié pour le duel final.

En attendant, qui peut enfin jurer que les participants de la primaire accepteront son verdict en faisant campagne pour celui qui en sortira vainqueur ? Si Hollande avait été désigné, Montebourg avait déclaré qu’il se consacrerait durant quelques mois à la pêche à la ligne. Qu’en sera-t-il demain si Valls l’emporte ? Vers qui iront les caciques du PS si le héraut du made in France décroche le pompon ?

C’est en ce sens qu’on peut dire en effet que les gauches irréconciliées sont devenues irréconciliables. Faire pareil constat n’est pas le théoriser mais assumer une vérité dont on s’étonne surtout qu’elle puisse être contestée. Le reste qui est peut-être l’essentiel, vue la nature du combat politique, relève de la pure gesticulation verbale. Les formules qui l’accompagnent appartiennent au répertoire classique de la gauche quand elle s’envoie de la vaisselle à la tête. «L’union est un combat» ou «soyons unitaire pour deux», c’est selon et c’est surtout pareil.

Manuel Valls le décline à son tour. Candidature oblige. Ceux qui lui en font le reproche oublient qu’avant de vouloir rassembler, ils auraient mieux fait de ne pas fracturer, cinq ans durant, l’unité de la majorité, soit en frondant en son sein, soit en dénonçant dans le rue ses prétendues turpitudes. Entre les courants de la droite – et même entre celle-ci et le Front national –, il y a désormais moins de divergences de fond qu’entre les différentes familles de la gauche. L’étonnant, dans ce contexte, serait que ces dernières resserrent les rangs plutôt que de régler leurs comptes.

Face au risque de sa liquidation, lors de la présidentielle du printemps prochain puis à l’occasion des législatives qui lui succéderont dans la foulée, il est encore possible que ses porte-drapeaux sachent faire preuve d’un minimum de retenue dans l’art de la baston. Mais ce qu’il y a entre eux de détestation est désormais trop profond pour que ces réflexes de survie évitent le désastre qui s’annonce.

C’est ce qui donne un aspect surréaliste au débat sur la réconciliation des gauches dont tout indique le caractère propagandiste et donc insincère aux yeux des électeurs pourtant les mieux disposés à entendre les calembredaines de la politique ordinaire. Deux gauches «irréconciliables» ? C’est tellement vrai qu’au lieu de se demander pourquoi il faudrait le taire, on ferait mieux de se poser cette simple question : pourquoi seulement deux ?

La première version de cet article a été publiée le 7 décembre 2016 sur Challenges.fr