Blog

Fabius, enfin Président

Fabius, enfin Président

Le Palais Royal, à Paris, jouxte la Comédie française. C’est là que Laurent Fabius va donc terminer une longue carrière politique entamée au milieu des années 70, à l’ombre de François Mitterrand. Quarante ans déjà… Il y a sans doute quelque chose d’un peu farce dans cette promotion à la présidence du Conseil constitutionnel. Sage parmi les Sages, Laurent Fabius veillera donc à la juste application d’un texte dont son ancien mentor fut, en son temps, le plus féroce contempteur. «Les institutions de la Cinquième République était dangereuses avant que je devienne Président de la République. Elles le resteront quand je ne le serai plus», disait, avec un brin de cynisme, François Mitterrand. Il appartient désormais à son héritier naturel, sinon de le faire mentir, du moins à faire en sorte qu’il n’ait pas visé juste.

Les conditions de cette promotion a l’un des postes les plus prestigieux de la République peuvent également faire sourire. Longtemps Laurent Fabius a expliqué que François Hollande était un enfumeur de première catégorie tandis que ce dernier se vantait volontiers, avant son arrivée à l’Élysée, d’avoir su mener en bateau celui que le prenait – à tort – pour une «fraise des bois». Ces deux hommes qui ne se faisaient aucune confiance et qui avaient surtout l’un pour l’autre un mépris d’acier ont pourtant su respecter à la lettre le pacte qu’ils avaient signé, il y a de cela un peu plus de quatre ans.

Quand François Hollande a été désigné, lors de la primaire de 2011, Laurent Fabius s’est mis à son service avec, en contrepartie, si tout se passait comme prévu, le Quai d’Orsay dans un premier temps, puis la présidence du Conseil constitutionnel à la fin du quinquennat. À la tête de la diplomatie française, il s’est montré d’une absolue loyauté. Jamais il n’a prononcé, en public, une seule critique à l’encontre de la politique suivie par le chef de l’État. Là où sa parole aurait pu être gênante – l’Europe, par exemple – il a fait preuve d’une discrétion ostentatoire. Pour le reste, ses éventuels désaccords à propos de la Syrie, de la Russie ou de l’Iran ont échappé à toute publicité.

Le succès de la COP 21, en décembre dernier, est venu parfaire sa réputation de professionnalisme. On a pu voir, à cette occasion, comment François Hollande avait su protéger le territoire de son ministres des Affaires étrangères face aux ambitions de Ségolène Royal. Au cours de ces dernières semaines, quelques membres éminents du Conseil constitutionnel – Jean-Louis Debré et Lionel Jospin pour ne pas les nommer – ont mené campagne contre la promotion de Laurent Fabius. Or à aucun moment, la main du Président de la République n’a tremblé. Ce qui, dans ce genre d’affaire, est assez rare pour être souligné.

Voilà qui donne une touche particulière aux adieux à la scène d’un homme qui fut, à sa façon, l’incarnation parfaite de la Cinquième en majesté. La carrière de Laurent Fabius a quelque chose d’archétypale. L’ENA, les grands corps de l’État, le cabinet d’un grand fauve, le parachutage dans un fief de son camp, des portefeuilles à la pelle, Matignon… Le nouveau président du Conseil constitutionnel peut se vanter d’un tableau de chasse à nul autre pareil. Il a été Premier ministre à un âge où d’autres rêvent encore de devenir parlementaire. Il a eu Bercy et le Quai. Il a même été le premier secrétaire de son parti. Il ne manque aucun galon sur sa manche. Sauf celui qui lui semblait promis…

Voilà qui donne une touche particulière aux adieux à la scène d’un homme qui fut, à sa façon, l’incarnation parfaite de la Cinquième en majesté. La carrière de Laurent Fabius a quelque chose d’archétypale. L’ENA, les grands corps de l’État, le cabinet d’un grand fauve, le parachutage dans un fief de son camp, des portefeuilles à la pelle, Matignon… Le nouveau président du Conseil constitutionnel peut se vanter d’un tableau de chasse à nul autre pareil. Il a été Premier ministre à un âge où d’autres rêvent encore de devenir parlementaire. Il a eu Bercy et le Quai. Il a même été le premier secrétaire de son parti. Il ne manque aucun galon sur sa manche. Sauf celui qui lui semblait promis…

Laurent Fabius était programmé pour être Président de la République. Cette ambition n’a cessé de l’animer. Toutes les fées s’étaient pourtant penchées sur son berceau pour qu’il arrive à ses fins. Et pourtant, il a échoué. La seule fois où il a tenté sa chance, en 2006, il est arrivé bon dernier d’une primaire qui l’opposait à DSK et Ségolène Royal. Puis il s’est résigné et c’est ainsi qu’il a pris, à son rythme, le chemin du Palais Royal sous la haute protection d’un homme dont il n’imaginait pas qu’il puisse être à gauche, le successeur de François Mitterrand.

Là est le mystère Fabius. Une carrière hors norme pour un destin au goût d’inachevé. Une ambition sans pareille pour une trajectoire brisée. Où est la faille ? L’affaire du sang contaminé a brisé les reins de Laurent Fabius au moment même où se jouait la succession de François Mitterrand. Au milieu des années quatre-vingt-dix, il a jugé qu’il n’avait plus l’énergie et les ressources nécessaires pour s’imposer comme le nouveau leader du PS. Quand les dés ont roulé, il n’était pas dans la partie. Ce rendez-vous manqué, il ne l’a jamais rattrapé. D’autres se sont avancés à sa place. Lionel Jospin puis, dans la nouvelle génération socialiste, Ségolène Royal et enfin François Hollande.

En même temps, Laurent Fabius n’aura jamais été aussi peu mitterrandiste que dans ces circonstances dramatiques. Pour laver l’infamie, son maître en politique jugeait qu’il fallait se porter en première ligne de la bataille. Il estimait que la seule façon de sauver son honneur était de sortir de la ratière des prétoires en affrontant le suffrage populaire. N’est-ce pas en se portant candidat, lors de la présidentielle de 1965, qu’il avait définitivement enterré l’affaire de l’Observatoire ? Cette audace-là aura manqué à Laurent Fabius. Il n’avait sans doute pas cette part d’inhumanité qui est le propre des grands monstres de la politique.

Au delà, c’est sur un autre terrain que Laurent Fabius a montré qu’il n’était pas en mesure de se hisser, malgré ses qualités intrinsèques, à la hauteur de son modèle. Jamais, en effet, il n’a su faire la synthèse entre un projet politique original et une ligne stratégique clairement identifiée. Là est son autre faille. Laurent Fabius, au gouvernement, fut un modernisateur. C’est sous ces couleurs qu’il s’est avancé sur le devant de la scène, en 1984, lorsqu’il a été nommé à Matignon. C’est ainsi qu’il est resté lors de son passage à Bercy, une dizaine d’année plus tard. C’est cette ambition, enfin, qu’il a voulu confirmer au Quai, en se saisissant des dossiers environnementaux.

L’autre Fabius fut un homme de parti qui, du congrès de Metz en 1979 à celui de Rennes en 1990, de la bataille de 1981 au référendum européen de 2005, a constamment défendu des positions inverses, quitte à entretenir la gauche dans ses archaïsmes mortifères. François Mitterrand, dira-t-on, avait su jouer avant lui de ce double registre – fidélité et transgression – pour entraîner tous les courants de son camp jusqu’au triomphe d’un règne de quatorze ans. Mais dans l’art de mêler les contraires, qui est l’essence même de la politique, l’un était sans doute plus fort que l’autre. Ce qui en soit n’a pas d’autre intérêt, à l’heure du bilan, que d’expliquer pourquoi le fil s’est rompu dans cette tradition dont on sait désormais qu’elle est née sous le signe de l’Élysée et qu’elle s’est éteinte sous celui du Palais Royal.

La première version de cet article a été publiée le 12 février 2016 sur Challenges.fr