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Benoit Hamon est-il socialiste ?

Benoit Hamon est-il socialiste ?

Le rassemblement de la gauche ? Benoit Hamon est pour. Et ensuite ? Et ensuite, rien ! Le nouveau champion des socialistes se dit hostile aux accords d’appareils. Il ouvre tout grand les bras. Il tend la main à qui veut bien la saisir. Bref, il est disponible, comme on dit sur les sites de rencontres. Et plus si affinités… Tout cela définit davantage une posture qu’une stratégie. Ou plutôt, cette stratégie est une posture qui, dans le contexte actuel, se suffit à elle-même. Sa force est d’être crédible à court terme dans la mesure où les écologistes, selon toute vraisemblance, seront bientôt privés de candidat, faute d’avoir pu réunir 500 parrainages d’élus. Pour les représenter les futurs orphelins de Yannick Jadot, qui d’autre que Benoit Hamon ?

Cette stratégie unitaire, pour ne rien gâter, a ceci d’efficace, au moins dans l’affichage, qu’elle dit essentiellement une intention soutenue par l’urgence de la situation. Qui pour permettre à la gauche d’être présente au second tour de la présidentielle ? Elle place ainsi, en retour, dans la position du grincheux, du pinailleur ou du diviseur – au choix – quiconque à l’outrecuidance, tel Jean-Luc Mélenchon, sinon de la contester, du moins de la questionner en faisant passer l’impératif de cohérence – et donc de l’épuration – avant celui du rassemblement – et donc de la synthèse.

Le bilan du quinquennat ? Benoit Hamon l’assume comme un constat. Bref, il fait avec… Il ne le défend pas plus qu’il ne le conteste. Il l’aborde avec un réalisme distancié qui n’est ni celui d’un dévot, ni celui d’un procureur. Il lui trouve un goût d’«inachevé». Bref, il fait le tri. Comme Lionel Jospin autrefois face au bilan de François Mitterrand, il procède à «un inventaire» dont l’objectif essentiel est de passer à autre chose. Il renvoie à François Hollande cette règle de base du combat politique selon laquelle on peut perdre sur un mauvais bilan mais on ne gagne jamais sur une absence de projet. Tout cela est, comme la stratégie de rassemblement, d’un classicisme achevé qui atteste la qualité de la formation militante de Benoit Hamon.

En toutes choses, celui-ci contourne ou disperse ce qu’il ne peut affronter. C’est sur la question européenne que cette manière de procéder est la plus évidente. Là où Arnaud Montebourg, à sa place, aurait fait le procès de la non-révision des traités européens et donc de la trahison des promesses de la campagne de 2012, Benoit Hamon esquive le problème sur un mode très… hollandais. Plutôt que de proposer de réaliser demain ce que, formellement, l’actuel Président n’a pas su faire hier, il décrète que la situation a suffisamment évolué pour qu’il ne soit pas nécessaire de rouvrir le dossier à l’identique. Si les rapports de force «bougent» en Europe, pourquoi diable rechercher avec le partenaire allemand ou bruxellois un affrontement qui n’a plus lieu d’être sur des traités devenus obsolètes ?

Là aussi, Benoit Hamon tourne la page en promettant d’en écrire une nouvelle. Du coup, il échappe à la fois à la contrainte du bilan et à celle des engagements qu’il implique. Cette stratégie relève de la prestidigitation. Le discours du candidat socialiste est auto-réalisateur. Benoit Hamon est unitaire parce qu’il le dit. Il est original parce qu’il le prétend. L’essentiel, en campagne, ça n’est pas d’être crédible mais d’être cru. S’il ne l’était pas, au moins par les siens, Benoit Hamon aurait-il gagné de haute main la primaire ?

Pour le moment, cela suffit à son bonheur et à son succès, tel que l’indique sa spectaculaire progression dans les sondages d’intention de vote. Quand il parle «des futurs désirables», sans doute ouvre-t-il une porte ouverte. A-t-on jamais vu un candidat en prôner qui ne le soient pas ? Reste qu’en d’autres temps, la gauche de gouvernement aurait plutôt évoqué l’oxymore des utopies réalistes. Là est le grand renversement opéré par la candidature de Benoit Hamon. Le désir qu’il exprime est un programme en soi. Face à lui, le retour à l’ordre promis par Manuel Valls ne faisait pas le poids.

Ce qui ne signifie d’ailleurs pas que le projet hamoniste soit évanescent ou banal. Le plus extraordinaire de cette aventure aux ressorts un peu frustre est qu’elle opère une rupture radicale dans ce qui fut le logiciel socialiste, bien au-delà des limites de l’actuel quinquennat. Sur la question du progrès comme sur comme sur celle du travail, il y a longtemps qu’un porte-drapeau socialiste n’avait pas attenté avec autant de tranquille assurance aux fondamentaux de son camp. Lors de son discours de la Mutualité, Benoit Hamon s’est ainsi livré à une critique argumentée de la croissance comme critère principal du bonheur national brut. Il n’est pas le premier à le faire, à gauche. Mais jamais, en revanche, on n’avait entendu, dans un tel cénacle, une pareille promotion du vert aux dépens du rouge ou même du rose.

Dans la conception hamoniste du progrès humain, le principe de précaution est désormais central. Il passe avant l’ancien impératif de création de richesses, lui-même facteur d’accumulation puis de redistribution. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le candidat socialiste cite plus volontiers Pierre Rabhi que Karl Marx. C’est tout le paradoxe d’un homme souvent présenté comme l’artisan d’un coup de barre vers la gauche et qui, en pratique, ne fait rien moins que de mettre cul par-dessus tête ses références les mieux établies.

Si révolution il y a, avec Benoit Hamon, elle est d’abord intellectuelle. Elle marque un basculement du discours suffisamment puissant pour qu’à la Mutualité, Christiane Taubira ait éprouvé le besoin de réinscrire d’avance, sous des torrents de mots, dans une tradition baroque placée sous le signe à la fois de «la lutte» et de «la bienveillance». Preuve, soit dit en passant, que pour retrouver la foi, la nouvelle gauche, comme les progressistes d’Emmanuel Macron, ne peut se passer de prédicateurs.

Ce sont là les signes concrets d’un changement de paradigme dont on trouve également la trace chez Jean-Luc Mélenchon. Sauf que Benoit Hamon en tire des conséquences auxquelles se refuse encore le leader des Insoumis, sans doute parce qu’il reste l’héritier d’une certaine tradition communiste et non l’enfant tardif de l’ancienne famille autogestionnaire, façon PSU. Dans le projet du candidat socialiste, la question du travail, de ses limites et donc de son partage jouent en effet un rôle structurant. D’où une attention particulière pour la précarité et non simplement pour l’emploi et sa rémunération. D’où aussi des propositions décoiffantes qui ont longtemps figuré en tête de gondole de son programme : le revenu universel et les 32 heures sous la forme de la semaine de quatre jours.

Sur ces deux points, sans doute Benoit Hamon a-t-il mis beaucoup d’eau dans son vin. La réduction drastique de la durée légale du temps de travail, prônée en septembre puis édulcorée en décembre, a pratiquement disparu de son discours, à la Mutualité, sans que d’ailleurs personne ne s’en offusque, y compris parmi ses plus solides soutiens. On verra bientôt de quelle manière le candidat socialiste l’escamotera ou non dans son projet officiel.

Sur le revenu universel, la technique est un peu différente. La proposition demeure mais sa mise en application est désormais fractionnée. Qu’est-ce toutefois qu’un revenu prétendument universel s’il doit être réservé aux seuls jeunes et aux actuels bénéficiaires du RSA ? Pour ne pas enfumer l’électeur, ne vaudrait-il pas mieux préciser plus nettement qu’il s’agit là d’un revenu d’activité… à vocation universelle, expérimenté dans une perspective à long terme. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose, notamment en matière de coût.

Reste que ces propositions, quand bien même seraient-elles retravaillées, reformatées ou réécrites, ont une valeur emblématique qui renvoie à l’essence particulière du hamonisme, loin des fondamentaux de la gauche socialiste. Le partage du travail, surtout sous la forme des 32 heures, a toujours été l’objet d’âpres débats au sein de cette dernière. On peut donc admettre qu’il fasse désormais parti de son patrimoine commun. Le revenu universel, en revanche, constitue une complète hérésie pour quiconque reste attaché au socialisme traditionnel de la production.

C’est une mesure de solidarité pour solde de tous comptes qui, à l’origine, n’a pas germé pour rien dans la tête des ultra-libéraux. Elle s’inscrit dans une logique d’assistance. Elle n’a, à ce titre, aucune ambition redistributrice puisqu’elle est accordée sans conditions de ressource. Sa vocation n’est pas la justice mais l’entre-aide. Elle rompt le lien entre le travail et le revenu. Cela ne signifie pas qu’elle soit indéfendable. Mais parce que dans sa conception même, elle se prétend universelle, elle n’a aucun des attributs ce qu’on a pu appeler le socialisme. Elle lui est en tous cas encore plus étrangère – c’est un comble – que ne le fut la déchéance de nationalité proposée par François Hollande au nom du salut public.

En ce sens, le projet de Benoit Hamon est une réécriture qui s’appuie sur des éléments autrefois marginaux ou minoritaires dans le discours de la gauche. Et après tout, pourquoi pas ? Pour ceux qui se souviennent de la présidentielle de 1981, il rappelle plus Huguette Bouchardeau que François Mitterrand. Il renvoie, par certains aspects, aux anciennes controverses de congrès entre la première et la seconde gauche. Mais il a, dans la bouche du candidat socialiste de 2017, quelque chose de plus qui tient à la fois à sa cohérence et au caractère explicite de sa construction.

Avec Benoit Hamon, le socialisme à la française fait ses adieux définitifs à un vieux monde dont le prolétaire était figure centrale, le front de classe, le mode d’organisation et le compromis, la forme d’action. Le mot «ouvrier» était totalement absent du discours de la Mutualité et ce n’est pas par hasard. Le candidat socialiste rompt ainsi avec les ambitions – ou les illusions – d’une social-démocratie usée par l’exercice du pouvoir sans efficacité réelle. Il veut signer l’alliance des travailleurs précaires et des classes moyennes déclassées. Il offre un cadre idéologique à ce rassemblement inédit incarné par l’intermittent du spectacle et non plus par Mimi Mettalo.

Benoit Hamon, à ce titre, est profondément moderne et sa promotion aux avant-postes de la présidentielle n’est pas aussi anecdotique qu’on avait pu le croire au premier coup d’œil. Est-il de gauche ? C’est en tous cas ainsi que le perçoit la jeunesse qu’il entraîne. Est-il potentiellement majoritaire, ne serait-ce que dans les urnes ou se contente-t-il d’ouvrir, derrière le drapeau des utopies désirables, la voie d’une opposition aussi durable que peut l’être la croissance attendue ? C’est cette histoire-là qui reste désormais à écrire en attendant le rendez-vous de mai 2017.

La première version de cet article a été publiée le 7 février 2017 sur Challenges.fr