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Hollande et les journalistes : combien de fois ?

Hollande et les journalistes : combien de fois ?

Oublions un moment la mousse – Emmanuel Macron et ses ambitions – pour nous pencher sur ces deux questions d’une extrême gravité qui dominent les débats de la rentrée. La République est-elle soluble dans l’eau de mer dès lors que les femmes qui s’y baignent portent un burkini ? Cette même République est-elle abaissée dès lors que le Président semble passer plus de temps à fréquenter les journalistes qu’à redresser le pays ?

Faute d’avoir un avis tranché sur le première question, on se contentera ici de mettre notre grain de sel dans les discussions passionnées que soulève la seconde. L’auteur de ces lignes fait partie de ceux auxquels François Hollande fait parfois l’honneur d’ouvrir les portes de son bureau. Exceptionnellement, cette chronique traitera donc d’un sujet qu’il connait autrement que par simple ouï-dire.

«Combien de fois ?» me demandait récemment un confrère tel un de ces confesseurs de mon enfance. Bêtement, j’ai failli lui répondre : et dans quelles positions ? J’avoue ne pas avoir compter le nombre de mes rencontres avec le chef de l’État depuis qu’il est en fonction. Ce qui est sûr, c’est que mes performances sont très nettement inférieures à celles de ces nouveaux Don Juan de la presse politique que sont de mes confrères Rissouli et André (20 fois) et Davet et Lhomme (60 fois).

Autant que je m’en souvienne, je crois avoir vu plus souvent François Hollande lorsqu’il était premier secrétaire du PS que lorsqu’il est devenu Président. Tout cela pour dire que, dans ses rapports avec la presse, celui-ci a peut-être modifié la liste de ses interlocuteurs privilégiés mais qu’il ne me semble pas avoir changé ses habitudes avant et après 2012.

Celles-ci sont-elles hors norme ? Pour le savoir, au-delà des impressions pifométriques, il faudrait avoir accès à l’agenda complet de l’actuel Président mais aussi de ses prédécesseurs. Or tel n’est pas le cas, précisément. Hormis Jacques Chirac qui avait pour règles d’ignorer les médias et ceux qui y écrivent et peut-être aussi de Gaulle qui fréquentait trop les sommets pour se soumettre aux questions de la gent journalistique, tous les Président de la Cinquième République ont voulu confier leurs impressions, leurs analyses, parfois aussi leurs secrets à ceux qui sont payés pour les recueillir.

François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing et surtout Nicolas Sarkozy ont pratiqué, sans honte ni complexes, ce sport particulier où se mêle l’art du «in» et du «off». Il suffit pour s’en convaincre de relire les articles ainsi que les livres qui leur ont été consacrés alors qu’ils étaient encore en fonction. Toujours sur le mode impressionniste, il semble toutefois que la dernière génération des Présidents en place se soit davantage prêtée à cette exercice de communication.

Telle est l’époque. On notera au passage que leur popularité et la compréhension de leur action ne s’en sont guère ressenties. Éternelle question de la com’ en politique. Parler beaucoup même sur le mode de la confidence, ouvrir son cœur et ses dossiers, est-ce vraiment nécessaire pour conserver son rang et cette part de mystère censée l’accompagner ?

L’originalité de François Hollande, si tant est qu’elle existe, n’est sans doute pas celle qu’on prétend aujourd’hui. Elle tient moins au rythme des rendez-vous qu’il accorde qu’à la qualité de ceux qui en bénéficient. À la différence de ces prédécesseurs, l’actuel Président ne fait pas le tri. Il reçoit les patrons de presse, les directeurs de journaux, les rédacteurs en chef mais aussi les modestes rubricards (ce qui fut longtemps mon cas).

Mieux, son portable est ouvert au tout-venant. Il faut être stagiaire pour ne pas en avoir le numéro. François Hollande est aisément accessible. Il est rare qu’il ne rappelle pas quand on lui laisse un message. Il répond alors aux questions même quand elles sont de pur détail ou simplement anecdotiques. En ce sens, il reste partageux. Certains diraient de gauche…

Quel intérêt pour lui ? Narcissisme, dit-on parfois. En la matière, il n’est pas sûr que les journalistes soient vierges de tout reproche. Dans ce jeu de miroirs où le pouvoir se met en scène, qui jouit avec le plus d’intensité ? Comme on dit, ça se discute… La visite à l’Elysée, en tous cas, je peux en témoigner, pose son homme autant dans sa rédaction que dans son foyer. Difficile, après ça, de ne pas avoir ne serait-ce qu’un brin de reconnaissance pour celui qui vous a fait confiance et qui vous a aidé à nourrir vos papiers ? Comment croire que François Hollande, après tant d’autres, ne l’ai pas remarqué ?

Je crois aussi que si on l’interrogeait sur cette question – à quand un livre sur ses rapports avec les journalistes, écrit, cela va de soi, après de multiples rencontres avec l’intéressé ! – François Hollande répondrait benoitement qu’il ne voit pas pourquoi il refuserait de parler à ceux qui commentent son action. Libre à eux d’en faire ou non leur miel. Mais au nom de quoi, la loi du silence s’imposerait-elle au chef de l’Etat alors que tant d’autres responsables politiques s’ébattent dans les salles de rédaction ? Pourquoi le seul muet de la République devrait-il être celui qui la préside ?

On pourra toujours discuter cette conception de la communication dont on a souvent dit que François Hollande ignorait les règles les mieux établies. La journalistes des Échos, Elsa Freyssenet, qui vient de publier un livre de belle facture, l’entame d’ailleurs par ces mots : «A-t-on encore envie de lire 300 pages sur François Hollande ?». Si elle-même le dit… Au-delà, ce qui frappe surtout dans les habitudes du Président, c’est que pour la com’ aussi, il ne laisse à personne d’autre que lui le soin de faire le boulot.

Il procédait déjà ainsi lorsqu’il était premier secrétaire du PS. Il continue sur ce registre depuis qu’il est à l’Élysée. Dans ses rapports avec la presse, François Hollande montre – et c’est peut-être l’essentiel – qu’il gère son pouvoir tel un petit entrepreneur, heureux de pouvoir toucher seul et à sa guise à tous les leviers de sa PME avec le sentiment, un tantinet orgueilleux, qu’à chaque poste, il reste le mieux qualifié. Même à l’Élysée, n’est-on jamais mieux servi que par soi-même ?

Enfin, quiconque l’a un peu fréquenté, sait que François Hollande lorsqu’il reçoit un visiteur, qu’il soit ou non journaliste, commence toujours par lui faire les poches. Qui informe qui, au cours de ces rendez-vous ? Le Président ne fait pas le tri chez ceux qui le sollicitent, parce qu’avec lui, tout fait ventre. La petite info l’intéresse autant que la grande. Il aime qu’on lui raconte l’humeur du pays, et de Paris aussi. En cela, il ressemble aux hommes de médias, lesquels, comme chacun sait, sont volontiers cancaniers ou concierges. Les rendez-vous du Président sont un lieu d’échange où il n’est pas sûr que l’hôte ne trouve pas davantage son compte que nombre de ses visiteurs.

Le résultat de tout cela est-il à la hauteur de l’énergie et du temps que François Hollande y consacre ? Ou, pour le dire autrement, à force de parler aux journalistes, n’oublie-t-il pas de s’adresser au pays ? En toute choses, le Président reste un classique qui pense que l’opinion est un animal dangereux qu’il faut savoir apprivoiser – fut-ce en le contournant – alors que la presse, comme les élus ou les technocrates des grands corps de l’Etat, sont des relais utiles qu’il faut savoir manier, fut-ce en les manipulant.

Les livres qui sortent aujourd’hui à jets continus et qui tous racontent les coulisses de son quinquennat sont l’expression achevée de cette façon de faire. Non pas que les journalistes qui les signent aient fait autre chose que leur métier. D’autres ouvrages sont en préparation (je parle en connaissance de cause) mais du point de vue de François Hollande, ils présentent l’intérêt principal, en cette rentrée de 2016, de lui offrir une tribune indirecte au moment de son quinquennat où sa parole reste liée sa fonction.

François Hollande n’est pas encore candidat. Peut-être d’ailleurs ne pourra-t-il pas l’être. Dans la phase actuelle, il a tout à gagner à ce qu’on fasse à sa place le grand récit de son mandat tout en lui laissant le rôle du souffleur. Comme Président, il reste dans le registre laconique de celui qui voit les choses d’en haut. Comme candidat en puissance, il argumente, il raconte, il entre dans les détails sans signer officiellement les propos qui lui sont prêtés.

À les lire, on peut parfois se demander s’il était bien nécessaire – toujours du point de vue de l’Élysée – qu’ils soient tous rapportés. Le «pas de bol» s’agissant du chômage, risque de coller longtemps aux basques du Président et du candidat qu’il aimerait être demain. Mais comme pour ses visiteurs de la presse, François Hollande ne fait pas le tri dans ses confidences. On fera ici l’hypothèse, que cette façon de ne jamais s’économiser, d’arroser aussi largement que possible et de semer à tous vents, dit l’essentiel de son caractère.

«On s’engage et puis on voit», disait Bonaparte. «On se disperse et puis on verra bien ce qui marche et ce qui ne marche pas», répond François Hollande. Qui peut douter qu’à l’heure du bilan, il sera le premier à analyser, devant les journalistes, les ressorts secrets de ces expérimentations si souvent hasardeuses ?

La première version de cet article a été publiée le 29 août 2016 sur Challenges.fr