Blog

Hollande : le coup d’après

Hollande : le coup d’après

Depuis qu’il n’est plus candidat à sa réélection, François Hollande nourrit officiellement une unique ambition : défendre son bilan afin qu’il soit revu, demain, à la hausse. Banal, tristement banal, dira-t-on quand vient la fin et avec elle, le temps des célébrations posthumes. Sauf que, précisément, cette banalité est tellement évidente qu’on a parfois du mal à l’admettre. Ce n’est pas la première fois que le Président de la République se trouve dans la situation paradoxale où ses intentions sont affichées avec la plus grande simplicité et où le commentaire dominant s’échine à deviner derrière elles de noirs desseins ou des calculs tordus.

Déjà lorsqu’il était premier secrétaire, François Hollande était l’objet de pareilles incompréhensions qui ne l’ont d’ailleurs jamais troublé outre mesure. Ce qui prouve, au passage, qu’elles ne tiennent pas à la période mais au comportement d’un homme pour qui, l’art de la politique n’est pas de dicter l’événement mais de s’adapter aux circonstances pour que se dégage de lui-même le chemin espéré.

Contrairement à une légende tenace, François Hollande n’est pas un hésitant. C’est même un obstiné de la plus belle eau, y compris dans l’erreur. Il peut flotter, il peut tirer des bords, il peut même faire des ronds dans l’eau, façon pédalo. Mais dès que la brise se lève à nouveau, il se laisse porter vers le nord que sa boussole indique. Ceux qui le regardent faire ont toujours tendance à ne retenir que le cabotage de sa navigation sans voir que cette manière d’avancer est celle d’un marin qui sait prendre le vent mais qui n’a jamais imaginé pouvoir lui dicter sa force ou bien sa direction. Le hollandisme, en ce sens, n’est pas un cynisme manœuvrier mais un opportunisme assumé, lui-même adossé à un volontarisme de raison. Ce qui explique qu’il n’ait jamais enthousiasmé les foules ou, pis encore, qu’il ait réussi l’exploit de décevoir ceux-là même qui n’avaient jamais cru en lui.

Ceci étant posé, comment lire la feuille de route que François Hollande affiche depuis qu’il a renoncé à se représenter ? Le 1er décembre, à la télévision, il a fait la part du feu. Il a d’abord vanté son bilan puis il a reconnu dans la foulée qu’il n’était pas en mesure de concourir à la prochaine présidentielle. Cela a pu paraitre contradictoire. C’était en fait une manière de signifier qu’il était devenu l’obstacle principal à une juste estimation de l’action entreprise depuis mai 2012. Entrer en campagne coûte que coûte, c’était prendre le risque en effet de tout gâcher : et sa réputation et son bilan. Faire le sacrifice ô combien douloureux de sa personne, c’était nourrir l’espoir qu’en sortant du jeu avec ostentation, il pourrait éclairer la partie dans ce qu’elle a d’essentiel à ses yeux.

Telle était donc l’intention dont rien ne dit aujourd’hui qu’elle soit réalisable. N’empêche que derrière elle, se dessine un projet qui mobilise désormais toute l’énergie de François Hollande. Son obsession n’est pas le scrutin du printemps prochain mais le statut qui sera le sien lorsqu’il aura quitté l’Élysée. Afin de demeurer une voix un tant soit peu audible dans le débat public, un ancien Président ne peut se contenter d’une carte de retraité. Ou pour le dire autrement, il a besoin que soient reconnus, a minima, les trimestres accumulés au cours de sa carrière.

Le bilan, à cet égard, n’est donc pas simplement ce qui authentifie une œuvre. C’est aussi ce qui justifie un rôle à venir. Pour que François Hollande survive à sa présidence, il fallait qu’il s’efface. C’est cet effacement obligé de décembre qui vient rendre possible sa renaissance d’après mai. Du moins est-ce là ce qu’il imagine et ce à quoi, en tous cas, il travaille avec d’autant plus d’application que la météo politique ne lui est guère favorable.

Les dés de la présidentielle ont commencé à rouler sans lui. Le voilà contraint de jouer une partie dont il n’est plus un acteur. Vu le cap qu’il s’est fixé et la boussole qui est désormais la sienne que peut-il attendre d’une campagne dont tout indique qu’elle sera d’un baroque achevé ? D’un côté, François Hollande n’a pas un intérêt vital à ce que son successeur sorte des rangs de son ancienne majorité. Quoi de mieux en effet qu’un Président de droite pour rappeler, dans la comparaison et les regrets qu’elle nourrit, combien le quinquennat précédant avait été nourri par les valeurs de la gauche. En même temps, François Hollande ne peut se permettre de quitter l’avant-scène de la politique sur un désastre électoral marqué par la désintégration du PS ou pis encore par un enfoncement complet du camp républicain.

Le résultat de la présidentielle, en ce sens, fait également parti de son bilan. Il ne pourra pas le découper en tranche avec d’un côté ce qui a été fait au cours de son mandat et de l’autre, ce qui est intervenu depuis qu’il a jeté l’éponge. Concrètement, cela explique que dans la phase actuelle de la campagne, il se tienne aussi loin du champ de bataille, en préférant le langage des signes, même s’ils sont souvent incompris, au magister incertain de la parole. Dans le débat de la primaire de la Belle Alliance, il n’a fait que déposer l’examen de son bilan. Ce qui est une indication très relative de son penchant vallsien que seul justifiait le jugement assassin porté par Benoit Hamon, Arnaud Montebourg et même Vincent Peillon sur l’action réformatrice conduite depuis 2012.

Sa retenue n’est pas une abstention mais une précaution. À quoi bon s’engager au risque de se ranger dans le camp des battus ? Pourquoi être celui qui, après avoir dû renoncer en décembre, n’a pas su faire désigner le suppléant de son choix ? C’est bien mal connaitre, en tous cas François Hollande que de l’imaginer dans le rôle du justicier, avide de faire payer à tel ou tel le prix de sa déloyauté. Dans le combat politique, la vengeance n’a jamais été pour lui une catégorie dirimante.

Qu’Emmanuel Macron l’ait trahi «avec méthode» comme il l’a fait dire au lendemain de sa démission de Bercy ou que Manuel Valls l’ait ensuite poussé dans le fossé avec peu d’élégance, colore assurément son jugement. Mais celui-ci ne dicte pas son comportement, ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Et cela d’autant plus que la priorité, à ses yeux, n’est plus la protection de sa personne es-qualité mais l’évaluation d’un bilan sur laquelle repose l’espoir d’un rôle qui ne se résume pas à celui d’un Président déchu. Plus largement, cela signifie donc qu’une fois passé l’événement de la primaire de la Belle Alliance, François Hollande compte s’adapter librement à ce qui s’imposera à lui dans l’épure de ses intentions initiales.

S’il faut, par miracle, que ça soit Valls au forceps, eh bien ça sera Valls, de préférence à tout autre candidat socialiste. S’il faut que ça soit Macron pour que le camp progressiste ne soit pas rayé de la carte, eh bien ça sera Macron. S’il faut enfin que ça soit Fillon pour faire barrage au populisme de tous poils, eh bien ça sera Fillon. Comment ? Sur quel registre ? Avec quelle puissance dans l’expression publique ? Pour le moment, François Hollande n’en a aucune idée et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il se découvre aussi peu en ne fixant que les bornes générales de ses ambitions et de ses refus.

Parce qu’il est d’un réalisme absolu, il ne s’interdit rien a priori. Parce qu’il n’a rien d’un rêveur, il n’exclut pas, par principe, que sa situation reste trop marginale pour qu’il soit en mesure, le moment venu, d’agir comme il l’entend. Pour le moment, l’embellie des sondages demeure très timide. L’opinion qui lui sait gré de ne pas s’être accroché plus que de raison, n’a pas fondamentalement modifié l’image un brin méprisante qu’elle a toujours eu de lui. Est-ce corrigible à court terme ? L’est-ce surtout autrement que par la promotion un peu plate d’un Président qui voyage, qui décore, qui discourt sans n’avoir plus aucune prise sur la réalité des choses ? Cette question sans réponse évidente n’est pas la moindre sur la liste de celles que tourne et retourne François Hollande quand il imagine la suite. Mais, c’est précisément, ce qui éclaire son comportement actuel.

Pour le reste, sans doute faut-il se contenter de pointer les principes qui le guident. Résumons les ici. Banalité de la priorité immédiate : la défense du bilan. Simplicité du projet post-présidentiel : un rôle et une voix préservés dans le débat public. Modestie prudente d’ici là, dans le tohu-bohu de la campagne, tant que le paysage est aussi confus. François Hollande est d’un réalisme qui est l’expression de son caractère et de sa situation. Il peut peu mais il espère quand même. Jamais, il n’a été aussi lisible. Rarement, il a été aussi mal lu.

La première version de cet article a été publiée le 19 janvier 2017 sur Challenges.fr