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Jupiter châtré

Jupiter châtré

«Le point de mire», précise le dictionnaire, c’est «la personne sur laquelle tous les regards se portent». «La clé de voute», c’est «l’élément central dont tout dépend». Emmanuel Macron vient de confier que son destin est d’être les deux à la fois. Derrière le fatalisme un peu surjoué d’un Président qui ne demande pas qu’on le plaigne mais qui voudrait aussi qu’on prenne l’exacte mesure des contraintes de sa charge, il y a là l’expression d’un désir d’ordinaire ou, pour le dire autrement, d’un retour au cour normal d’un quinquennat, bousculé par la crise des gilets jaunes et questionné lourdement pas les échanges du grand débat. Depuis le début de l‘année, Emmanuel Macron n’a qu’une seule idée en tête : refermer la parenthèse et l’on voit mieux depuis sa conférence de presse de jeudi, comment il compte s’y prendre. Ce qu’il n’a pas pu imposer par la force, au cœur de l’affrontement, il tente de le faire en souplesse, selon une méthode que n’aurait pas désavoué son prédécesseur et qui rappelle ce conseil de Dupont de Nemours lorsqu’il oeuvrait à l’ombre de Turgot, ce réformateur incompris : «Rien par le choc, tout pas ondulation». Si l’idée est de sortir définitivement de la nasse, ce n’est pas totalement idiot.

Il appartiendra aux commentateurs de demain puis aux historiens d’après-demain de dire l’efficacité réelle de cette méthode très ficelle du «vieux monde» et la raison pour laquelle elle s’est substituée en une semaine à l’effet «waouh» annoncé à grand renfort de communication par les stratèges de l’Élysée. Effet Notre Dame et sentiment qu’en matière dramatisation, les Français ont déjà été suffisamment servis ? Peut-être et, au fond, peu importe, pour l’instant. À l’héroïsme du verbe et de la mise en scène, le Président préfère le sacrifice du devoir accompli et de la charge assumée qu’il convient désormais de prolonger sur un registre un peu moins tapageur. Macron baisse le ton. Il prétend se montrer plus «humain». Jupiter, en ce sens a vécu – mais jusqu’à quand ? – avec le risque de voir ce retour sur le plancher des vaches le transformer en hologramme de Monsieur Bricolage, sa trousse à outils à la main.

La solution imaginée pour surmonter cette difficulté, c’est un point d’équilibre entre l’hyperprésidence qui veut que l’Élysée décide de tout dans le moindre détail et ce «pouvoir neutre» dont avait parlé autrefois Benjamin Constant. Le «ni-ni» remplace le «en même temps». On pourra toujours dire qu’il s’agit là d’un détour jusqu’aux source de la Cinquième. Avant d’invoquer les textes sacrés de la Constitution, on conviendra de manière plus prosaïque que c’était la seule façon pour le chef de l’État d’être un peu moins dans le viseur des Français en colère tout en demeurant celui qui supporte l’essentiel de la responsabilité du pouvoir. À ce jeu, Emmanuel Macron fait des plans à tout-va, fixe des objectifs, écrit des agendas, annonce des calendriers, invente des commissions, convoque des assemblées comme si son volontarisme réaffirmé voulait que d’autres, en dessous de lui, à commencer par le Premier ministre, viennent bientôt mettre le tout en musique à leurs risques et périls. «Je veux» : voilà pour l’intention. «L’intendance suivra» : voilà pour sa déclinaison. «Responsable mais, cette fois, pas coupable» : voilà déjà le message si, demain, la suite devait tourner à nouveau au vinaigre.

Cette concession de style célébrée comme étant de «méthode» en enrobe une autres qui, au sens propre du terme, est la rançon d’une crise qui va peser lourd sur le budget de l’État. Pour éteindre les braises qui ne sont toujours pas éteintes, il fallait encore arroser et c’est une plaisanterie que de vouloir faire croire qu’avec cela, les déficits de tous ordres seront mieux maitrisés. Travailler plus est un curieux mot d’ordre quand le chômage de masse perdure. Prélever moins l’est tout autant lorsqu’on envisage de le faire plus longtemps. Au-delà de ces contradictions, Emmanuel Macron vient surtout de reconnaitre ce qui dès le départ était une évidence : si l’incendie a pris avec une telle violence en décembre dernier, c’est que la plaine était sèche et que rien n’avait été fait – bien au contraire – pour qu’elle le soit un peu moins, depuis le début du quinquennat. Mais si tout s’est mis à flamber, c’est aussi que quelqu’un, par son comportement et sa conception du pouvoir, avait craqué des allumettes avec un brin d’inconscience.

Châtrer Jupiter, le temps d’une conférence de presse, c’est nourrir l’espoir que ne tombe pas la tête du roi comme celui-ci avait pu le craindre, pendant les fêtes de fin d’année, lorsque son salut était passé par une forme d’évanouissement. Le grand débat, dans les mois qui ont suivi cette humiliation, n’a eu pour seule fonction que de rappeler qu’il avait su retrouver le sens de la parole. La suite, on la connait désormais : si Emmanuel Macron décide encore, c’est sous couvert d’écoute et d’humilité et la question qui se pose n’est pas tant de savoir s’il est ou non sincère mais d’estimer le poids de la trouille rétrospective dans son nouvel «art» de présider.

Pour que tout demeure, il fallait bien que quelque chose se mette à bouger. Pour qu’une seconde étape succède à la première, dans un quinquennat à peine vieux de deux ans, il fallait bien aussi que la renaissance annoncée s’inscrive dans un récit apparemment inchangé sur le fond mais corrigé sur la forme. Entré à l’Élysée, avec fracas, sur les ruines du vieux monde, Emmanuel Macron aimerait s’y maintenir avec cette sagesse qu’on appelle aussi philosophie. «J’ai changé», dit-il à son tour et il entend le prouver en promettant de «présider autrement». L’époque, en tous cas, est finie où comme disait Malraux de de Gaulle, on faisait à l’Élysée «des coups d’éclat comme le pommier fait des pommes». L’obstination macronienne a la couleur du gris. C’est plus discret. On fera ici l’hypothèse que tel était l’objectif. Modeste, nécessairement modeste.

Cette tribune a été initialement publié le 26 avril 2019 dans Le Figaro