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La nouvelle bataille à laquelle Hollande se prépare

La nouvelle bataille à laquelle Hollande se prépare

Depuis les attentats du 13 novembre, François Hollande s’est placé aux avant-postes de la défense nationale. Face à la guerre conduite par Daesh, il a décrété l’urgence et il a appelé à l’union. Avec peu de mots mais des gestes symboliques à foison, il a rappelé que le Président était, au sens propre du terme, le chef de l’État et donc le premier protecteur des intérêts supérieurs de la Nation. Depuis bientôt trois semaines, sa visibilité a été celle de l’action et, avant elle, celle d’une prise de risque assumée dans des choix stratégiques dictés par des considérations étrangères à l’esprit partisan. C’est cette posture à la fois guerrière et rassembleuse qui explique le puissant regain de popularité dont il bénéficie désormais dans l’opinion.

La séquence qui s’est ouverte avec le lancement de la COP 21, au delà des festivités qui l’ont accompagné, a permis à François Hollande de poursuivre sur une ligne différente mais non-contradictoire. Confronté à la menace climatique, le Président ne biaise pas. Il nomme le danger. Il dit ses principes et ses objectifs. Il assume ses choix dans une démarche de rassemblement – international en l’occurrence – qui peut échouer mais qui ne justifie pas, à ses yeux, qu’on baisse la garde d’entrée de jeu. Là encore, François Hollande se pose en combattant dans une posture qui ne correspond guère à cette image de flottement permanent qui lui a été longtemps accolée au point de dévaloriser la moindre de ses initiatives, depuis 2012.

À partir de là, peut-il se tenir à l’écart – ou en surplomb – du débat qui, immanquablement, va envahir tout le champ politique, au soir du premier tour des élections régionales ? Ce débat, on en connaît déjà les termes. Hier, les électeurs lepénistes étaient les arbitres de l’affrontement gauche/droite et la question était alors de savoir si, dans l’arc républicain, certains allaient prendre la responsabilité d’alliances contre-nature. Aujourd’hui, tout a changé. Le FN est peut-être surcoté, comme le prétend Jean-Christophe Cambadélis à la lumière des dernières départementales. Mais, il ne fait aucun doute que ses candidats, portés par un nouvel élan, sont en mesure de conquérir plusieurs régions – et non des moindres – en France métropolitaine. Dès lors, la seule question qui vaille est donc celle de la capacité de résistance des partis traditionnels face à pareil péril.

C’est un constat qu’on pouvait faire avant même le 13 novembre. Il a aujourd’hui la force de l’évidence dans un climat de peur qui nourrit le discours lepéniste. Il va acquérir, le 6 décembre à 20 heures, une puissance dévastatrice dont on mesure encore mal l’ampleur. En politique aussi, il y a des chocs qu’on peut anticiper mais dont la brutalité surprend lorsqu’ils deviennent réalité. C’est d’ailleurs pour cela que les lignes tardent toujours à bouger et que les acteurs de ces parties là, même lorsqu’ils sont lucides, peinent à se mettre d’accord sur la nature réelle des enjeux et sur les réponses qu’il convient d’y apporter.

Dans ce contexte, François Hollande se trouve à nouveau placé en première ligne. Face à la menace qui pèse, à ses yeux, sur la République, il paraît évident que sa fonction, encore une fois, l’oblige. A partir du moment où le Président considère que le Front national est un danger pour l’identité républicaine du pays, on voit mal au nom de quoi il pourrait ne pas s’engager dans une bataille aussi décisive. Est-ce pour autant aussi simple ? Est-ce surtout aussi cohérent qu’on veut bien le dire, ici ou là, avec la posture qui a été constamment la sienne depuis quelques semaines ?

La difficulté que va nécessairement rencontrer François Hollande, à partir du 6 décembre, se résume aisément. Il était le champion et le garant du rassemblement national. Or voilà qu’il lui faut se préparer à devenir l’adversaire résolu d’une formation qui, sur l’échiquier démocratique, recueille les suffrages de près d’un tiers des Français. Le Président n’est pas le premier, à ce poste, à affronter pareille contradiction. Mais l’exercice prend aujourd’hui une intensité particulière.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, Marine Le Pen a été invitée, es qualités, à faire entendre sa voix, à l’Élysée. Ce n’était pas la première fois. En janvier dernier, elle avait été honorée d’une semblable invitation. Reste qu’à cette époque, la patronne du FN avait été tenue à l’écart des manifestations qui exprimaient le sursaut du pays. Elle n’était pas Charlie et ça se voyait. Toutes choses qu’elle a su éviter, ces dernières semaines, y compris lors de l’hommage officiel rendu aux victimes dans la cour des Invalides. Enfin, chacun a pu constater que dans la batterie de mesures annoncées par le Président, lors du congrès de Versailles, il y en avait quelques unes qui appartenaient au vieil arsenal lepéniste.

Tout cela place François Hollande dans une situation paradoxale où il lui faut soudain déchirer ce qu’il avait réuni, en substituant la logique de la résistance républicaine (donc sans le FN) à celle de l’union des Français (donc avec l’ensemble de leurs représentants). Deux cohérences se trouvent ainsi face à face en la personne du seul Président. Devant la menace terroriste, celui-ci mène la guerre en ne laissant personne au bord du chemin. Face à celle qui plane, selon lui, sur la République, tout l’incite à sonner le rappel contre ceux qu’il désigne comme des ennemis de la démocratie.

Pour sortir de ce piège, François Hollande n’a que deux solutions donc aucune n’est parfaite, même si elle ne se valent pas. La première est d’attendre ou, pour le moins, de se tenir en réserve en attendant que les dés aient fini de rouler. Il est rare que les présidents de la République se mêlent ouvertement des alliances et autres tractations qui suivent le premier tour d’élections locales. Quand leur résultat final est suffisamment clair pour qu’on leur prête une portée nationale, il est courant, en revanche, que le chef de l’État s’invite à la télévision, après le second tour, pour en tirer les leçons et prendre les mesures que celles-ci appellent. C’est dans ces conditions, par exemple, qu’après les municipales de 2013, François Hollande a licencié Jean-Marc Ayrault pour nommer Manuel Valls à la tête d’un «gouvernement de combat».

Dans ce cas de figure, le Président se comporte comme un acteur de premier niveau dont l’implication dans le scrutin, sans être directe, est suffisamment forte pour que le message des électeurs parvienne jusqu’à lui. S’il devait choisir cette voie, au lendemain des régionales, François Hollande se placerait toutefois dans une posture classique, apparemment protectrice mais, au fond, intenable. Quel que soit le verdict des urnes, on voit mal en effet quelles conséquences pratiques, il pourrait en tirer. Car soit la résistance républicaine s’est faite sans lui et, dans des circonstances ô combien périlleuses, il aura montré qu’une bataille victorieuse n’a pas besoin de son appui. Ce qui ferait mauvais genre à quelques encablure du rendez-vous de 2017. Soit cette résistance a échoué et on pourra alors lui reprocher, outre une prudence coupable, de ne s’être pas mis en situation de rassembler, sous une forme ou une autre, les républicains de tous bords. Ce qui, là encore, augurerait mal de son autorité en vue de la prochaine présidentielle.

Pour François Hollande, la voie de la prudence, après le 6 décembre, ne peut être que celle de l’évanescence. C’est celle d’un Président arbitre dans une bataille républicaine où, pourtant, aucune concession n’est envisageable. C’est donc, à ce titre, une impasse dont la seule issue est le dépôt des armes avant que ne sonne l’heure de la retraite. On imagine donc pas qu’il puisse la choisir, juste au moment où ses gestes guerriers, notamment contre le terrorisme, viennent de lui rendre les faveurs de l’opinion.

Au delà même de toute question de morale ou de principes, François Hollande n’est pas le plus mal placé pour comprendre que, parfois, il est habile de ne pas l’être. Lui qui déteste la rupture sait combien il est coûteux de casser une réputation qu’on vient à peine de reconquérir. Après tout, Jacques Chirac n’a-t-il pas préparé les conditions de sa réélection en 2002 en faisant sanctionner, lors des régionales de 1998, les candidats de la droite qui avaient pactisé avec le Front national. Certes, la donne de 2015 est d’une autre nature. Mais, comme exemple, celui-là n’est sans doute ni le plus mauvais, ni le moins efficace.

À ces multiples arguments, on pourra toujours rétorquer que, dans la position qui est aujourd’hui la sienne, François Hollande court le risque d’une autre rupture de ligne s’il devait faire, demain, au grand jour, le choix de distinguer les partis jugés républicains de ceux qui ne le seraient pas. Mieux – ou pis, c’est selon –, on peut aussi estimer qu’en s’auto-désignant chef de guerre face au FN, il se mettrait en danger en s’exposant inutilement alors que rien ne permet de croire que ses appels au rassemblement dans la résistance puissent être couronnés de succès.

De fait, ce risque est indéniable. C’est celui d’une impuissance révélée au grand jour et, partant, d’une perte de crédibilité sur le terrain de l’efficacité où François Hollande n’a jamais beaucoup brillé. Pour le moment, le discours de l’union nécessaire contre le FN ne progresse qu’à tous petits pas. Au bord du gouffre, la droite, avec Nicolas Sarkozy, ne veut pas en entendre parler. Il suscite, jusque dans les rangs socialistes, des résistances évidentes. Tout cela peut, bien sûr, changer quand, au soir du 6 décembre, la réalité du danger sera devenue manifeste. Toute la question étant alors de savoir si, à ce moment-là, la parole présidentielle sera suffisamment attendue pour être vraiment entendue.

Fusion, retrait, accord technique, selon la formule désormais consacrée, à gauche : toutes les solutions sont possibles. Manuel Valls les a détaillées de longues dates en soulevant des tempêtes de critiques, notamment dans son camp. Il est probable que dans le brouhaha prévisible d’une soirée électorale, il les formulera à nouveau, dans des termes identiques mais c’est précisément pour cela que leur impact risque fort d’être insuffisant . D’autant qu’à droite, le mouvement ne viendra sûrement pas de Nicolas Sarkozy mais d’une prise de conscience, nécessairement progressive, des têtes de listes les plus exposées à la menace frontiste.

Tout cela créera un grand désordre et un grand vide. Inévitablement, entre le dimanche 6 décembre et le mardi soir suivant, jour auquel chacun devra retourner ses cartes en déposant ses listes, les regards se tourneront vers l’Élysée. Soit dans le registre de l’interpellation, soit dans celui de l’appel à l’aide, ce qui, en l’occurrence, revient à peu près au même. Qui peut imaginer que dans de telles circonstances, le Président refuse son concours ? Comment croire qu’il se contente de remontrances discrètes ou d’injonction en sous main ? Avec d’ailleurs quel effet et quel bénéfice ? La logique voudra donc qu’il intervienne dans le registre solennel propre à sa fonction et dans une posture de combat, au nom de principes qui seuls peuvent faire le lien entre les différentes options prises au cours de ces dernières semaines.

Parce qu’il est le Président, François Hollande ne pourra pas s’adresser qu’aux siens afin de leur dicter une ligne de conduite. Parce qu’il est le Président, il ne pourra pas davantage rentrer dans le détail des digues qu’il convient de bâtir dans telle ou telle région. Parce qu’il est le Président, François Hollande devra donc, comme au lendemain du 13 novembre, trouver des mots simples et percutants pour dire la menace, dessiner un chemin crédible et faire basculer l’élection dans une dimension qui ne soit pas celle d’une bataille de chiffonniers, menée par des politiciens boutiquiers.

Plus facile à dire qu’à faire, sans doute pour l’unique raison que dans cette nouvelle guerre, François Hollande n’aura que l’arme des mots, devant à une opinion déboussolée et les partis aux abois. Il n’empêche que telle est, pour lui, l’unique voie du salut. Tout laisse à penser que le Président en a désormais conscience et que s’il réfléchit encore, tant que le résultat exact du 1er tour des régionales n’est pas connu, c’est que la formulation de cette offre républicaine s’annonce d’une rare complexité et que le moment choisi pour en faire l’annonce est d’une singulière importance.

Faire simple, c’est toujours compliqué. Faire simple au moment juste, c’est toujours une gageure. Faire simple au moment juste quand on n’a pas le choix, c’est toujours un exploit. Il y a encore trop d’inconnues pour deviner, dès maintenant, le détail de ce hollandisme de combat, revisité dans l’action. Tant qu’à prendre le risque de lire dans la tête du Président, on fera ici le pari que s’il doit lancer la foudre, modèle jupitérien, comme il en a pris l’habitude depuis quelques semaines, ça sera sous la forme d’une courte allocution télévisée, au plus tard à 20heures, le lundi 7 décembre.