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La proportionnelle : un jeu sans enjeu

La proportionnelle : un jeu sans enjeu

À peine élu président de la République, François Mitterrand avait nuancé son engagement de campagne en faveur de la proportionnelle intégrale en expliquant qu’une simple «instillation» suffirait pour rétablir un peu de justice dans la distribution des sièges à l’Assemblée nationale. Et puis, au pied du mur, il lui avait fallu admettre que ce projet d’un scrutin mixte était trop complexe pour être mis en place dans les délais impartis et surtout qu’il ne répondait pas aux objectifs espérés. Pour les élections législatives de 1986, on en était donc revenu à ce qui était son intention initiale : la proportionnelle pure et simple dans un cadre départemental.

Plus de trente ans après, François Hollande semble être placé, à son tour, dans une situation à peu près comparable. Lors de sa campagne, en 2012, il a certes été plus raisonnable – ou prudent – que son prédécesseur socialiste en se contentant de promettre une «part de proportionnelle» pour l’élection des députés. Mais on voit bien aujourd’hui que face à des contraintes de même nature, à deux ans du prochain scrutin législatif, la tentation existe, une fois encore, de choisir la voie de la simplicité en installant un nouveau mode de scrutin homogène, c’est à dire entièrement proportionnel.

Comme toutes les comparaisons, celle-ci doit être relativisée même s’il est de bonne méthode de rappeler, d’abord, ce qui la justifie. Un scrutin mixte mariant à la fois majoritaire et proportionnelle a ceci d’intellectuellement tentant qu’il marie deux logiques dont chacune a sa propre vertu. D’un côté, on maintient un mode de représentation qui favorise l’émergence de majorités stables. De l’autre, on le compense – fut-ce à la marge – par un autre mode de représentation qui garantit davantage celle des minorités.

Pour cela, deux solutions sont possibles. Soit on maintient à l’identique le nombre des députés (577), tel qu’il est précisé dans la Constitution depuis la révision de 2008, et alors il convient de réduire le nombre des circonscriptions en les redécoupant afin de laisser la place à une liste d’élus à la proportionnelle. Soit on révise la constitution, par la voie du congrès ou du référendum, pour pouvoir augmenter le nombre des députés sans avoir besoin de toucher aux circonscriptions existantes.

On voit donc d’emblée quelle est la difficulté d’un scrutin mixte. Sa mise en place, techniquement, est complexe. Redécouper prend du temps. Ce ne sont pas des choses qui se font à moins de deux ans des échéances, compte tenu des exigences légales et politiques. Changer la constitution exige une majorité qualifiée ou un soutien tel dans l’opinion que la procédure référendaire puisse être envisagée. François Hollande, aujourd’hui, n’a ni le temps, ni la majorité ni l’opinion avec lui. D’où l’idée que lui aussi, s’il décide de bouger, ne pourra pas se contenter d’un mouvement à la marge capable de ménager une voie médiane répondant aux intérêts supposés de tous.

D’autant que pareille réforme des mode de scrutin ne peut être envisagée sous le seul angle technique. Elle contient, par nature, une très forte charge politique. A travers elle, c’est une des lois de la démocratie – celle de la représentation – qui se trouve mise en cause. Plus généralement, c’est l’équilibre des institutions qui peut être ainsi modifié. François Mitterrand avait besoin de la proportionnelle en 1986 pour freiner l’élan victorieux de la droite et favoriser l’émergence d’un pôle frontiste, afin de pouvoir aborder au mieux – ou au moins pire – une phase de cohabitation destinée à préparer sa réélection.

Pour François Hollande, l’enjeu est très différent. La proportionnelle, qu’elle soit ou non intégrale, ne concerne en effet que les élections législatives prévues au lendemain de la présidentielle, en 2017. Dans ce calendrier-là, elle n’influe donc pas directement sur les conditions de son éventuelle réélection. Mais, en même temps, elle pèse sur le contexte de sa prochaine campagne. C’est ce que certains chez les Verts ont bien compris lorsqu’il expliquent qu’avec une réforme du mode de scrutin leur garantissant une représentation décente et autonome dans la future Assemblée, ils pourraient faire plus aisément le sacrifice de la candidature d’un des leurs dans le scrutin roi de la Cinquième République.

À partir de là, le paysage s’éclaire un peu. François Hollande n’a plus les moyens d’une proportionnelle a minima. Pour lui, c’est tout ou rien. Mais ce tout a au moins l’avantage potentiel de lui assurer les conditions d’une réélection moins périlleuse. On comprend donc qu’à ses yeux, l’opération soit d’autant plus tentante que lui seule a désormais les moyens de l’enclencher concrètement, mais sans avoir toutefois la certitude de la mener à bien. C’est bien là que le bât blesse.

La difficulté, pour François Hollande, est d’abord interne à son gouvernement. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sont de farouches adversaires de la proportionnelle intégrale qui attente à leur conception de l’autorité et de la stabilité. Or ce sont eux qui, nécessairement, devront porter ce projet s’il doit être soumis, un jour prochain, au vote de l’Assemblée. Face à de pareilles résistances, François Mitterrand, en son temps, avait dû accepter la démission d’un de ses ministres, et non des moindres, puisqu’il agissait de Michel Rocard. François Hollande n’en est pas encore arrivé à de telles extrémités mais dans l’état qui est celui de la gauche, il est douteux qu’il puisse se permettre des secousses de ce type au cours des mois à venir surtout si, à l’accusation d’une faute politique, devait s’ajouter celle d’une faute morale, compte tenu du boulevard ainsi ouvert sous les pas du FN.

Autre difficulté et qui n’est pas la moindre : dès lors que la voie référendaire est aujourd’hui suicidaire, vu le degré d’impopularité de l’actuel pouvoir, seule la procédure parlementaire classique peut être envisagée. Les projets évoqués ici ou là d’un référendum à choix multiples mêlant des sujets disparates ne modifient rien à cette donne implacable qui fait que les Français ont d’abord envie de dire «non» sans regarder plus avant les questions qu’on leur pose ni même se soucier de connaître l’avis de Cécile Duflot, Pierre Laurent, François Bayrou ou Marine Le Pen.

Mais, en même temps, la procédure parlementaire ne se présente pas davantage comme un lit de rose. Pour le groupe socialiste, la proportionnelle, quel qu’en soit le cadre, départemental ou régional, c’est l’assurance de la liquidation d’une grosse moitié de ses sortants. On pourra bien leur expliquer qu’avec un scrutin resté majoritaire, le risque potentiel est encore plus fort, rien ni personne ne pourra les convaincre de mettre eux-mêmes la tête sur le billot. Le député moyen a toujours l’espoir de se sauver seul. Ne lui laisser aucune chance de survie, c’est le pousser tout droit à la dissidence, celle qui précisément empêche le vote de la loi.

Pis encore, les partis alliés du PS qui, sur le papier, sont les plus désireux d’un changement du mode de scrutin – c’est à dire les communistes et surtout les écolos – peuvent difficilement se contenter d’une proportionnelle intégrale dans le cadre départemental qui fut autrefois le sien. Sans entrer trop loin dans la technique, la distribution des sièges dans un tel cadre reste assez peu égalitaire là où on n’élit qu’une poignée de députés, compte tenu de la population concernée. Avec le jeu dit «des restes», dans les départements élisant moins de six élus, ce sont alors les deux ou trois grosses formations qui peuvent emporter l’ensemble de la mise. Or un système devenu tripolaire – droite, FN, PS – rien ne dit que le PC et les Verts seront en mesure de trouver, au final, une représentation à la hauteur réelle de leur influence. D’où leur volonté d’aller encore plus loin sur le chemin de la proportionnelle intégrale en l’installant dans le cadre élargi des treize nouvelles régions françaises. Ce qui ne peut que renforcer plus encore les oppositions au sein même du PS.

Pour comprendre, il suffit de prendre un exemple concret. Celui de l’Île de France qui élit une centaine de députés. Dans l’hypothèse d’un PS à son étiage habituel, sa représentation serait donc de 25 élu(e)s environ, dont une douzaine d’hommes. Or ceux-ci sont actuellement pas moins d’une trentaine avec, parmi eux, le Premier ministre, le premier secrétaire du parti, le président de l’Assemblée, le président du groupe parlementaire, deux ministres, un président de commission, plusieurs figures des frondeurs… Autant dire que la constitution d’une liste socialiste dans cette région est d’emblée totalement impossible. Du coup, on peut être sûr d’une oppositions interne suffisamment puissante, en amont, pour faire capoter le vote d’une loi dont il est inimaginable qu’elle soit adoptée à coup de 49.3.

Dans ce contexte très particulier où s’accumulent difficultés techniques, légales et politiques, on voit donc mal comment François Hollande pourrait s’avancer plus avant qu’il ne l’a fait, le mois dernier sur Canal +, lorsqu’il a reconnu que sa promesse de campagne était encore sur la table. Le plus probable est que la proportionnelle, sous toutes ses formes possibles, restera dans les mois à venir telle une carotte que l’on tend au bout d’un bâton devant un âne afin qu’il continue à avancer mais dont on est sûr qu’il ne pourra jamais l’attraper. Dans le méli-mélo de ses intérêts croisés, François Hollande a sans doute hésité lorsqu’il avait encore le choix. Aujourd’hui, il ne l’a plus et si hésitation il y a, elle est purement factice.