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L’autorité perdue de Nicolas Sarkozy

L’autorité perdue de Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy avait imaginé que les régionales seraient une étape décisive sur le chemin de son grand retour, avant le choc des primaires de la fin 2016. Comme François Hollande en son temps, lorsqu’il était le premier secrétaire, il avait fait le calcul que les succès électoraux de son parti – fussent-ils locaux – seraient mis à son unique crédit. Il se voyait déjà, tel un chef de guerre triomphant, appeler ses troupes à se rassembler derrière son panache blanc afin de reprendre à l’usurpateur la forteresse de l’Élysée. Après les départementales de mars, le rendez-vous régional de décembre devait ainsi installer le président des Républicains dans un registre conforme à son tempérament et aux attentes de ses supporters : énergie, sursaut, reconquête, remise en ordre.

Tout cela était, bien sûr, surjoué. La droite n’a pas attendu que Nicolas Sarkozy reprenne les rênes de l’ex-UMP pour retrouver le chemin de la victoire aux élections locales. Nombre de nouveaux maires peuvent en témoigner. Mais, au delà, il pouvait paraître assez logique que l’ancien président de la République veuille tirer un profit maximum de fonctions partisanes qui ne sont pas toujours aussi gratifiantes qu’il pouvait l’espérer. Le problème, à quelques encablures du scrutin de décembre, est que le succès annoncé n’est plus aussi assuré et surtout que les conditions dans lesquelles Nicolas Sarkozy aborde cette élection écornent son image, là où précisément, il entendait la renforcer.

Sur les pronostics affichés, les Républicains et leur chef ont fini par réaliser que le quasi-grand chelem de la gauche, en 2004 et 2010, était hors portée. Ils ont compris que «la raclée» que devait subir le PS et ses alliés ne serait pas aussi évidente s’ils devaient conserver trois ou quatre régions métropolitaines et remporter la mise dans la totalité des circonscriptions d’outre-mer. Ils ont enfin mesuré que la victoire annoncée de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie suffirait à elle seule à masquer la victoire de la droite en montrant que le siphonnage annoncé par Nicolas Sarkozy risquait de se faire, comme en 2012, au détriment de ses propres intérêts.

Rien de tout cela n’est encore écrit. Dans un scrutin qui sera marqué par une abstention record, c’est la mobilisation différentielle des électorats des uns et des autres qui fera, au final, le résultat réel. La campagne, pour la grande masse des Français, vient à peine de commencer. Il suffirait que les écarts annoncés par les sondages soient corrigés à la marge pour changer radicalement l’atmosphère, au soir du 1er tour. Là est d’ailleurs la vraie particularité d’une partie rendue complexe par la tripolarité du système politique et qui ne débutera vraiment que le 6 décembre à 20 heure.

Or précisément, c’est cette situation prévisible qui met déjà en difficulté les chefs présumés des grands partis républicains. Nicolas Sarkozy, de ce point de vue, n’est pas mieux loti que Jean Christophe Cambadélis, sans même parler de Jean-Luc Mélenchon ou Cécile Duflot. Mais au regard de son statut et de ses ambitions, il est, à coup sûr, celui qui risque le plus gros.

Les partis politiques traditionnels n’obéissent plus au doigt et à l’œil, si tant est d’ailleurs qu’ils ne l’aient jamais fait. En tous cas, leurs directions nationales ne sont plus en mesure d’imposer quoi que ce soit. Les candidats, localement, ont appris à tenir Paris à distance. Souvent désignés lors de primaires, il croient tirer leur légitimité du terrain qui, comme la terre, ne ment pas. Inviter les cadors de leurs formations respectives est devenu, pour eux, une corvée dont ils s’acquittent avec un souci de discrétion ô combien révélateur.

Le scrutin régional, parce qu’il est de liste et qu’il se joue davantage sur la personnalité des différents chefs de file que sur leur programme officiel, vient encore souligner l’impuissance des états majors nationaux. Chez les Républicains, notamment, on a pu voir lors du Conseil national de samedi, les effets délétères de cette nouvelle donne. «Ici, ce n’est pas une auberge espagnole», s’est exclamé Nicolas Sarkozy. Pourtant, ça y ressemble fort lorsque Dominique Reynié, en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, modifie à sa guise la liste que lui dictait Paris ou qu’en Bretagne, Marc Le Fur fait preuve d’une pareille indépendance d’esprit.

Dans les deux cas, il s’agit d’ailleurs du même problème : le refus d’accueillir des secrétaires fédéraux sans autre légitimité que partisane et à qui les chefs de partis voudraient offrir le gîte et le couvert pour les temps à venir. À cet égard, on notera au passage que la droite en reconstruction ne se comporte pas autrement que la gauche dans la gestion de ses appareils locaux.

Ces cas d’indiscipline ne sont pas l’apanage des seuls Républicains. Il suffit de regarder ce qui se passe au PS en Rhônes-Alpes-Auvergne pour constater combien les luttes d’influences entre notables locaux – Jean-Jack Queyranne et Gérard Collomb, en l’occurrence – se déploient aujourd’hui sans que Solférino n’en puisse mais. Comment toutefois ne pas voir que ce désordre n’a pas les mêmes conséquences pour Nicolas Sarkozy que pour Jean-Christophe Cambadélis, ne serait-ce que parce qu’il ne boxent pas dans la même catégorie ?

Le président des Républicains a fait de l’autorité le thème central de sa nouvelle offensive contre François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls. Il a récemment dénoncé «la chienlit» à la tête de l’État. Pas un jour ne passe sans qu’il dénonce ses faiblesses ou ses renoncements tandis que ses proches vont même parfois jusqu’à suggérer que ce laxisme supposé n’aurait pour seul objectif que de faire monter davantage le FN et ses candidats. Or, au même moment, le voilà qui se montre incapable de faire respecter sa propre autorité à la tête d’un parti dont la réputation – usurpée ou non, telle n’est pas ici la question – était de savoir chasser en meute derrière son maître d’équipage

Le président des Républicains a fait de l’autorité le thème central de sa nouvelle offensive contre François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls. Il a récemment dénoncé «la chienlit» à la tête de l’État. Pas un jour ne passe sans qu’il dénonce ses faiblesses ou ses renoncements tandis que ses proches vont même parfois jusqu’à suggérer que ce laxisme supposé n’aurait pour seul objectif que de faire monter davantage le FN et ses candidats. Or, au même moment, le voilà qui se montre incapable de faire respecter sa propre autorité à la tête d’un parti dont la réputation – usurpée ou non, telle n’est pas ici la question – était de savoir chasser en meute derrière son maître d’équipage.

Cet écart flagrant entre le discours et les actes, entre l’ambition affichée et la modestie des résultats, place Nicolas Sarkozy dans une situation terriblement inconfortable. Elle l’affaiblit comme chef de parti. Elle le décrédibilise comme candidat potentiel à la fonction suprême. Elle ruine dans les deux cas l’image sur laquelle il a bâti sa carrière et sa prochaine revanche. Était-il bien nécessaire en effet de moquer – et sur quel ton ! – la faiblesse de François Hollande pour se conduire, à son tour, comme le champion des synthèses boiteuses et des compromis sans lendemain ? Fallait-il vraiment brandir un sabre de bois pour faire valoir sa différence et, à travers elle, sa supériorité intrinsèque ?

Le pis, pour Nicolas Sarkozy, est d’ailleurs sans doute à venir. L’entre-deux tours des régionales s’annonce déjà comme un casse-tête que les chefs de partis vont devoir gérer, sans en avoir les moyens. C’est à ce moment là que risquent d’apparaître en plein jour les contradictions entre la ligne officielle de la droite – pas de front républicain – et le comportement de ses chefs de file régionaux, seuls habilités par la loi à fixer la stratégie de leurs listes. Nicolas Sarkozy avait longtemps caressé l’espoir que seule la gauche aurait à se coltiner avec l’insoluble problème du barrage anti-FN. Vu le rapport de force qui s’annonce, région par région, il y a pourtant fort à parier que la question du rassemblement de tous les républicains se posera avec même acuité des deux côtés de l’échiquier politique. Avec, pour l’autorité de Paris, un défi supplémentaire en raison des stratégies différenciées, adoptées, en fonction des contextes locaux, par les différentes têtes de liste.

En janvier dernier, lors d’une législative partielle dans le Doubs, Nicolas Sarkozy, alors à peine installé à la tête de ce qui était encore l’UMP, avait été confronté à une situation comparable dans laquelle l’évanescence de son pouvoir réel avait été manifeste. Il lui avait fallu transiger avec les tendances de son Bureau national, au prix d’hésitations auxquels il n’avait habitué ni ses troupes, ni l’opinion. Ce qui se profile à l’horizon des régionales de décembre rappelle diablement à ce précédent-là.

Lors des départementales de mars, Nicolas Sarkozy avait pu échapper à ce piège pour la seule raison que le niveau du FN et les règles de maintien au second tour étaient totalement différentes. Parce qu’il a voulu se convaincre qu’entre ce scrutin là et celui des régionales, il y avait une même logique et qu’elles allaient raconter, toutes deux, l’histoire de son irrésistible ascension, Nicolas Sarkozy s’est mis en danger lui-même. Quand il l’a compris, il était déjà trop tard. Sa ligne – unité du parti autour de son chef –, sa stratégie – pas de front républicain –, son angle d’attaque – retour de l’autorité – sont désormais trop clairement affichés pour que le moindre accroc ne vienne pas briser la cohérence de son propos et, avec elle, la dynamique de sa campagne en vue des primaires de 2016.

En attendant les résultats exacts du 1er tour des régionales, peut-être Nicolas Sarkozy aura-t-il le temps de lire et de méditer un penseur traditionaliste du 19ème siècle nommé Louis de Bonald et qu’aime d’ailleurs à citer Dominique Reynié, autre aveyronnais, lorsqu’il revient à ses premières passions de politologue. Entre «l’autorité de l’évidence» et «l’évidence de l’autorité», écrivait-il, il y a une différence qu’on ne saurait nier sans prendre le risque de perdre l’une et l’autre. C’était vrai hier. Il n’y a aucune raison pour que cela ne le soit plus demain.