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Le livre qui éclaire Hollande

Le livre qui éclaire Hollande

Pour lire Hollande, quoi de mieux… qu’un livre ? Non pas un traité de psychologie, genre «la traîtrise expliquée aux nuls». Encore moins un manuel de com’ sur l’art de la triangulation en politique. Mais un de ces essais rares qu’on croit d’érudition et qu’on réserve, à ce titre, aux spécialistes de la profession alors qu’il éclaire la période comme nul autre dont c’était pourtant l’ambition affichée.

«La force de gouverner» de Nicolas Roussellier (1) se présente comme une histoire du pouvoir exécutif en France au XIXe et au XXe siècle. Six-cents pages de texte, cent-cinquante de notes. Rien de moins ! Pour dérouler son propos, l’auteur fait appel à l’histoire, bien sûr, mais aussi à la philosophie politique et au droit constitutionnel. Il brise, du même coup, ces frontières qui sont d’abord celles de l’enseignement universitaire. Il brasse un savoir devenu inintelligible à force de segmentation. Il propose une thèse qui n’est rien de moins qu’un renversement complet d’un de ces mythes auquel on s’accroche d’autant plus qu’il a perdu toute valeur explicative.

Ce que Nicolas Roussellier met ainsi en scène est d’abord la fin d’un impensé de la tradition républicaine à travers l’un de ces lieux vides qui aurait dû le rester et qui pourtant a fini par envahir l’espace politique en imposant, au fil des ans, ses règles, ses critères d’action et ses intérêts bien compris. Dans ce registre iconoclaste, il y avait longtemps qu’un historien ne s’était pas aventuré avec pareille audace, fondée sur un savoir aussi sûr.

La République, pour ses fondateurs, était l’expression de la volonté populaire grâce aux débats de la Nation assemblée. Son cœur battait au rythme du Parlement et le pouvoir exécutif, dans cette construction, n’était qu’une force seconde, dite d’exécution, destinée à le rester et contrainte, à ce titre, à demeurer dans l’ombre sauf à réveiller le spectre honni du césarisme ou d’une monarchie déguisée.

Dis comme ça, quel rapport avec François Hollande ? Quelle résonance avec les dernières initiatives en date du chef de l’État sur le front de la guerre contre le terrorisme ? A priori aucun et on cherchera d’ailleurs en vain le nom de l’actuel président de la République dans cet essai qui ignore d’ailleurs la pensée et l’action de tous les successeurs du général-fondateur de la Cinquième, lui même présenté comme l’ultime incarnation d’un mouvement initié au lendemain de la chute du second Empire.

Mais c’est précisément cette déconnexion avec l’actualité la plus chaude et l’histoire politique la plus contemporaine qui donne au livre de Nicolas Roussellier son caractère le plus riche. Son propos initial n’était pas celui qu’on lui prête ici. En même temps, il offre, au vrai sens du terme, une lecture de l’événement sans laquelle le moindre de ses épisodes devient jeu tactique ou jeu de com’ chez des responsables politiques dont on ne veut retenir que la psychologie changeante et l’opportunisme foncier.

L’exécutif, autre nom de la présidence, s’est à ce point imposé dans le paysage gouvernemental qu’on en vient à oublier qu’il a lui-même une histoire. Il devait n’être rien. Il est devenu tout (ou presque). Il devait s’effacer. Le voilà qui imprime sa marque comme si la République était double et que celle d’aujourd’hui n’avait aucun rapport avec l’idée que s’en faisaient ses fondateurs patentés quand tout à vraiment commencé et que s’est refermée, comme disait François Furet, «la parenthèse de la Révolution française».

Nicolas Roussellier, en ce sens, dit la suite et pour cela, il raconte un mouvement au long court qui est à la fois celui des hommes et de leurs idées dés lors que les uns et les autres se trouvent confrontés à la réalité dans ce qu’elle a de plus brut, c’est à dire la guerre et la crise – économique en l’occurrence –. La démocratie républicaine avait été conçue comme un art de la représentation. Elle est devenue un exercice d’efficacité au service de l’action. Ce renversement dit tout à lui seul. Il est le fruit de l’après-guerre. Il trouve son origine au lendemain d’une défaite : Sedan. Il s’installe au lendemain d’une victoire : 14-18. Il s’accélère dans le sillage de la Libération. Il prend sa vraie mesure dans le règlement politique de la crise algérienne. Un nom l’exprime et le résume : de Gaulle.

Au cœur de la démonstration de Nicolas Roussellier, il y a cette confrontation sans cesse retravaillée qui place la République devant un défi qu’elle n’imaginait pas. D’autres que le fondateur de la France libre l’avaient entrevue avec lui. Blum ou Mendés, à gauche notamment. C’est d’ailleurs ce qui explique que la rupture de 1958 ait été aussi simple, logique et surtout irréversible.

Elle est venue parachever un mouvement qui sapait les fondements de la vieille République parlementaire. Non pas que ses principales figures aient été inconscientes de leur tâche et de leurs responsabilités. Nicolas Roussellier montre précisément l’inverse. Mais parce que leur structuration intellectuelle les empêchait d’être à la hauteur d’une Histoire bien plus haute et bien moins simple qu’ils ne l’avaient imaginé lorsqu’ils pensaient que le progrès était fils des Lumières et que les Lumières naissaient naturellement du débat de la Nation assemblée dans le cadre du seul Parlement.

«La guerre revêt essentiellement le caractère de la contingence», écrivait de Gaulle dés 1932 dans «Le Fil de l’épée». «La guerre, rappelait-il encore en 1959, se compose indéfiniment de cas particuliers surgis à l’improviste». Comme le dit à son tour Nicolas Roussellier, «de Gaulle a longtemps bataillé pour imposer l’idée d’un gouvernement des circonstances dans le cadre des modes de commandement militaire». D’où une conception de la politique, au sommet de l’État, qui, vue par le premier Président de la Cinquième, fait fi des programmes et exclut, par nature, les procès en soit-disant trahison : «un programme ? Jamais! La politique, c’est la réalité. La réalité, c’est tous les jours qu’elle change. Il faut avoir des principes et des objectifs, non un programme».

On trouve dans «La force de gouverner» bien d’autres choses encore qui ramènent, fut-ce par la bande, à l’actualité du quinquennat hollandais, en particulier dans sa gestion des politiques publiques et son utilisation du pouvoir administratif, y compris sur le mode judiciaire. L’essentiel est ici de comprendre, avec Nicolas Roussellier, que cette façon de gouverner n’a rien d’accidentelle. Elle prolonge un mouvement qui vient de loin et qui s’est imposé à un homme qui, dans l’exercice de ses responsabilités, était a priori le mieux armé pour en contester la logique.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, François Hollande n’a pas cédé. À sa manière, il est entré en résistance. Il a dit simplement ce qui lui semblait être une évidence que les Français partageaient d’ailleurs avec lui. «La France est en guerre». À partir de là, il remettait immanquablement ses pas dans une tradition qui est celle des institutions de la Cinquième et au delà, de la République façonnée par la longue montée en puissance du pouvoir exécutif en France. Grâce soit rendue à Nicolas Roussellier d’avoir su mettre cette histoire en toile de fond de l’événement. À le lire, on comprend mieux. Ce qui, on l’avouera, n’est pas donné à tout le monde par les temps qui courent.

(1) La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles – Collection NRF Essais, Gallimard – 848 pages

La première version de cet article a été publiée le 8 janvier 2016 sur Challenges.fr