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Le nouvel été de Hollande

Le nouvel été de Hollande

François Hollande fait partie de ces hommes politiques qui se meuvent d’autant plus volontiers dans le désordre et le flou – quand ils ne l’organisent pas eux même ! – qu’ils considèrent que l’événement, par nature imprévisible, viendra inévitablement donner, un jour ou l’autre, à leur action, cette cohérence qu’elle n’avait pas à l’origine ou qu’ils ne voulaient pas afficher au grand jour. Ceux-là jouent en contre, le plus chichement possible. Leur pari constant est celui d’une lente cristallisation dans un processus aux formes inédites.

S’ils flottent, c’est pour mieux surnager. Les vagues qui les portent sont celles qu’ils n’ont pas fait lever. Là où leurs prédécesseurs étaient entrés dans la carrière avec des projets clé en main, quitte à devoir ensuite en limer les contours, ils se fabriquent en avançant une ligne de conduite dont rien ne laissait penser qu’elle serait la leur. Ce faisant, ils ne trahissent pas mais ils s’adaptent. Le risque, pour eux, est celui de l’évanescence. Jusqu’au moment où les circonstances leur offrent – hasard ou nécessité ? – l’occasion d’un dévoilement inattendu.

Aujourd’hui, on en est là. Chef de guerre sur le terrain extérieur, grand mécanicien de la machine déglinguée de l’Europe, porte-drapeau un brin baroque d’un social-libéralisme à la française, François Hollande peut vanter son «audace» sans craindre le ridicule. On dit qu’il exagère mais exagérer, c’est forcer le trait et non pas l’inventer. On dit qu’il surligne mais n’est-ce pas reconnaître du même coup que la dite-ligne existe bien, là où l’on ne voyait autrefois que le vide ? «L’audace» du président, la vraie, celle qui ne relève pas de l’habituelle auto-satisfaction de chefs d’État en mal de réélection, c’est moins d’avoir choisi ou même bifurqué que d’avoir su saisir l’occasion lorsqu’elle s’est présentée à lui.

Dans le quinquennat de François Hollande, rien n’était écrit à l’avance. Tout a été improvisé sous contrainte, à commencer par le soit-disant tournant du pacte de responsabilité. Mais, en même temps, il faut bien reconnaître que cette improvisation – autre nom de la liberté – est en train de le replacer là où précisément il fallait qu’il soit, c’est à dire au cœur de la partie. À la fin de l’année dernière, le président était à la dérive avec une présidentialité en berne et une efficacité en lambeau. Aujourd’hui, sur fond de menace terroriste et de crise grecque, il peut enfin se prévaloir d’une volonté et d’un bilan, fût-il minimum. Autrement dit d’une cohérence dont on peut contester le contenu mais en aucun cas la nature.

Entre les attentats de janvier et le sommet européen du week-end dernier, c’est plus qu’un simple chapitre du mandat hollandais qui s’est écrit par touches successives, les unes renvoyant à la guerre du Mali et autres aux gammes d’Emmanuel Macron. En un peu plus de six mois, le président de la République a été celui que les Français, dans leur globalité, attendaient qu’il soit, alors même qu’ils n’espéraient plus grand chose de lui. En ce sens, il n’a rien gagné mais, en tous cas, il a sauvé l’essentiel : la capacité à poursuivre son bonhomme de chemin autrement que comme le promeneur triste et impuissant d’une faillite annoncée.

François Hollande, c’est le vrai sens de son intervention télévisée du 14 juillet, est redevenu un acteur de la vie politique. C’est dire, au passage, combien sa position était devenue périlleuse au mitant de son quinquennat. En sachant ressaisir le fil d’une action conforme à son statut, il s’est – enfin ! – donné les moyens de susciter à nouveau cette esquisse d’attention sans laquelle il n’y a, dans l’opinion, qu’indifférence butée.

Bien sûr, sa popularité reste calamiteuse. Certes, ses méthodes demeurent contestées. À l’évidence, la crédibilité de sa politique, notamment sur le front économique et social, n’est toujours pas restaurée. Mais quand François Hollande continue à faire du retournement de la courbe du chômage l’unique critère d’une nouvelle candidature, il dit en filigrane que, sur ce double terrain, il n’a rien perdu de ses ambitions.

Un président, lorsqu’il redevient acteur de son propre destin, est naturellement un candidat en puissance. Il l’est d’ailleurs d’autant plus qu’il n’a plus besoin de le rappeler. Ce que François Hollande cherche désormais, avec les cartes qu’il a encore en main, c’est une forme d’évidence. La seule qui puisse justifier qu’il rempile. Elle lui a permis de refermer les portes d’une primaire dont l’organisation était l’enjeu caché du dernier congrès socialiste alors même qu’elle nourrit déjà, à droite, surenchères et divisions assassines.

En politique, comme d’habitude, tout bouge en bloc. Dans cette physique très particulière, François Hollande, parce qu’il est devenu vraiment président et parce qu’il n’est plus contesté par les siens, pour la première fois depuis 2012, a un petit coup d’avance. Ce n’est pas grand chose. C’est fragile. Ce n’est peut-être pas durable. On fera ici l’hypothèse que là se niche le vrai ressort de cette (auto)satisfaction qu’il a tant de mal à masquer.

Ce texte a été publié dans le numéro du Figaro daté du mardi 21 juillet 2015.