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Les lois de la primaire. Celles d’hier, celles de demain (extraits)

Les lois de la primaire. Celles d’hier, celles de demain (extraits)

Les institutions de la Ve République ont une histoire. Ses fondations ont été posées en 1958, puis renforcées en 1962 avec l’élection du président de la République au suffrage universel. Validé par référendum, ce bloc initial est l’œuvre, pour l’essentiel, du pouvoir gaulliste. Il dessine, à ce titre, une conception de l’autorité dont certains, à chaud, ont pu contester le caractère républicain. Pour le dire autrement, la Ve République, dès l’origine, penchait à droite.

Il a fallu attendre plusieurs décennies pour que cet édifice soit modifié, corrigé ou rééquilibré. En acceptant et, surtout, en codifiant les règles d’une cohabitation durable, entre 1986 et 1988, François Mitterrand a introduit une manière de droit coutumier dans un système institutionnel qu’il avait longtemps contesté. En 2002, c’est par référendum, sous l’impulsion décisive du Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, que le quinquennat, bientôt suivi par l’inversion du calendrier électoral, est venu renforcer le caractère présidentiel de la Ve République. À deux reprises, des codicilles ont donc été introduits par la gauche, comme si la correction d’un texte qui, à l’origine, échappait à sa tradition lui avait été réservée par les circonstances et l’histoire.

On a longtemps estimé que ces retouches étaient des remords, au sens pictural du terme. Faute de pouvoir imposer une nouvelle République, la gauche – celle, du moins, qui aspire à gouverner – aurait été contrainte d’habiller son ralliement par des réformes qui, sans être marginales, n’auraient fait que renforcer la logique des textes existants. François Mitterrand, contempteur farouche du « coup d’État permanent », et Lionel Jospin, adversaire constant d’un mal français nommé bonapartisme, auraient ainsi poussé dans le même sens qui est précisément l’inverse de celui qu’ils prétendaient. C’est à la lumière de ces expérimentations paradoxales qu’il faut examiner aujourd’hui le mouvement en faveur des primaires qui, en France, est né à gauche, sous l’impulsion de responsables politiques souvent favorables, à l’instar d’Arnaud Montebourg, à une République, sixième du nom, rendue à une vérité démocratique trop longtemps malmenée à leur goût.

La primaire, plus encore que la cohabitation, relève du droit coutumier. Elle ne découle d’aucune interprétation constitutionnelle. Elle n’est encadrée par aucun texte législatif. Elle ne répond à aucun impératif légal. Elle est laissée, pour l’instant, à l’appréciation des seules forces partisanes et ne progresse que par capillarité. On pourrait même défendre l’idée que ce mode de sélection des candidats à la présidentielle est à ce point extérieur aux règles institutionnelles en vigueur qu’il n’influe en rien sur leur fonctionnement habituel. Telle n’est pas la thèse que l’on défendra ici. De même que l’élection du président de la République au suffrage universel a changé la Ve République, la primaire modifie le mode de sélection des futurs chefs de l’exécutif. Inévitablement, elle influera sur le profil de ceux qui, demain, exerceront les plus hautes responsabilités à la tête de l’État, et donc sur leur lecture des institutions.

Déjà, avec François Hollande, premier président issu de cette procédure, on a vu combien la primaire pesait dans les rapports de forces au sein du gouvernement. Tout cela ne modifie en rien les textes qui encadrent le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, mais les habitudes qui s’instaurent, les réflexes qui s’installent, les rôles qui s’expérimentent dessinent progressivement des parcours politiques nouveaux et, avec eux, des rapports originaux entre celui qui préside et ceux qui prétendent l’avoir fait roi. Dans l’articulation entre gouvernants, partis politiques et citoyens, la primaire, au minimum, fait bouger les lignes.

Il est encore trop tôt pour savoir si ce mouvement, qui ne fait que commencer, renforcera, comme tous ceux initiés avant lui par la gauche, le caractère présidentiel du régime ou s’il débouchera, cette fois-ci, sur une démocratie renouvelée, hors des sentiers plébiscitaires voulus par le fondateur de la Ve République. Pour le moment, une seule chose est sûre et qui explique d’ailleurs qu’il faille considérer la primaire comme un phénomène particulier et global à la fois, échappant de ce fait à la seule loi des partis : cette procédure ne peut, demain, que se généraliser. La gauche, socialiste ou écologiste, l’a inscrite dans ses statuts. La droite républicaine n’a pu y échapper, en dépit des réticences qui continuent à s’exprimer dans ses rangs. Une fois qu’il a été actionné par tel ou tel, le ressort de la primaire – celui de l’appel au peuple des sympathisants – est trop puissant pour que d’autres puissent lui résister. Et puis, surtout, il a tellement bien fonctionné la première fois qu’il a été expérimenté dans sa formule la plus pure qu’il passe désormais, à tort ou à raison, pour l’un des sésames de la victoire possible. Avec d’ailleurs un effet assez paradoxal sur les nouveaux acteurs de cette compétition : ceux qui, à droite, en contestaient le principe en reprennent aujourd’hui, au détail près, les règles et les rites, tandis qu’à gauche, ceux qui en ont été les inspirateurs célèbrent cette innovation à longueur de rapports, tout en expliquant qu’elle mériterait d’être perfectionnée ou adaptée à de nouvelles circonstances. Un peu comme si la rude simplicité du mécanisme qu’ils ont mis en place leur donnait le vertige, soit que ses effets ne soient pas ceux qu’ils espéraient vraiment, soit qu’ils n’aient pas encore compris les vraies lois d’un scrutin ô combien étranger à l’esprit de sophistication.

Ce double mouvement a ceci d’assez farce qu’à y regarder de près, le lien n’est peut-être pas aussi fort qu’on le prétend parfois entre la primaire des 9 et 16 octobre 2011 et l’élection de François Hollande le 6 mai 2012. Le principal intéressé, en tout cas, n’était pas un chaud partisan de ce mode de sélection. Il aurait aimé qu’il soit moins tardif. Il s’y était préparé contre un adversaire, Dominique Strauss-Kahn, qui ne fut pas présent à ce rendez-vous. Pour François Hollande, la primaire fut d’abord une contrainte. Il l’a affrontée comme on franchit un obstacle et non comme un point d’appui pour la suite. Il en a utilisé les ressources a minima. Comme toujours, il s’est adapté. À travers cet épisode, on vérifie, une fois encore, que les innovations les plus fortes et surtout les plus riches, en politique, ne sont pas forcément celles qui avaient été le plus finement pensées par leurs bénéficiaires. Reste que la primaire de 2011 est une expérience qui vient de loin, qui a réussi au-delà de toute espérance et qui s’installe, de ce seul fait, comme un modèle à suivre. Sa force est d’avoir eu lieu. Ni plus ni moins. C’est ce qui justifie qu’on l’observe de près, comme le laboratoire d’un système politique sinon rénové, du moins modifié en profondeur.

Le texte intégral de cette note est disponible sur le site de la Fondapol ainsi qu’en version papier (3 euros).