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Macron prévient ses «obligés»

Macron prévient ses «obligés»

Les électeurs qui sont allés voter lors de la présidentielle et qui s’apprêtent à recommencer lors des législatives ont été à deux doigts d’être également convoqués, en juin, pour un référendum. Emmanuel Macron et ses équipes avaient caressés cette idée durant la dernière campagne. Ils ne l’ont abandonné qu’à contre-cœur. L’idée, il est vrai, était habile et donc séduisante. Puisqu’une loi de moralisation de la vie politique doublée d’une réforme électorale figurait en tête de l’agenda macroniste, pourquoi ne pas profiter du 1er tour des législatives pour soumettre directement aux Français l’ensemble de ce projet ? C’eût été taper vite et fort en montrant que les promesses de la présidentielles ne resteraient pas lettre morte tout en donnant aux candidats d’En Marche un élan supplémentaire dans leurs circonscriptions.

Cette opération un brin propagandiste se heurtait toutefois à une série d’obstacles constitutionnels qui ne pouvaient être levés dans le délai de trois semaines qui sépare l’entrée en fonction du nouveau Président et le scrutin du 11 juin prochain. On sait désormais quelle sera sa nouvelle programmation. Emmanuel Macron en a fait la confidence à la veille de son élection de manière tout à fait explicite devant la rédaction de Médiapart. La loi de moralisation portant notamment sur les conflits d’intérêts et les conditions d’emplois des assistants parlementaires sera présentée lors d’un des premiers conseils des ministres du quinquennat. Elle sera donc sur la table avant que les Français n’élisent leurs députés. À charge pour ceux-ci de la voter dès la session de cet été, ce qui, dans le contexte actuel, ne devrait guère poser de problèmes.

Quant à la réforme électorale, elle sera engagée avant la fin de l’année. Elle prévoit d’ores et déjà une part de proportionnelle et la réduction d’un tiers du nombre des députés. Le débat reste ouvert sur le format exact de ce nouveau mode de scrutin. François Bayrou, par exemple, souhaiterait qu’il soit calqué sur le modèle allemand. Mais quelle est encore l’influence du président du Modem ? Les règles de révision constitutionnelle aux 3/5ème n’obligent-elles pas, par ailleurs, qu’on réduise concomitamment le nombre des députés et des sénateurs ? Ce sont des arbitrages politiques et juridiques qui devront être faits sans trop tarder. Reste – et c’est sans doute l’essentiel – que sur ce sujet-là, Emmanuel Macron a d’ores et déjà prévenu : en cas de blocage du Parlement, dit-il, «je ne m’interdirais pas d’aller devant le peuple».

Concrètement, cela signifie donc que l’Assemblée nationale, telle qu’elle sortira du scrutin de juin, sera d’emblée en sursis et sous haute surveillance. On s’interroge beaucoup, actuellement, sur le périmètre exact de la nouvelle majorité parlementaire. Cette dernière sera-t-elle absolue ou relative ? Sera-t-elle monocolore, de coalition ou même de cohabitation ? Ce qu’annonce Emmanuel Macron montre surtout que, dans son esprit, «la recomposition politique» qui découle de son élection à présidence de la République est un processus qui ne fait que commencer et qui est amené à se poursuivre tout au long du quinquennat. Par le dialogue et la concertation, si c’est possible. Par des méthodes plus brutales, si nécessaire. Y en a-t-il, en politique, qui le soient davantage que le recours éventuel au référendum lorsqu’il s’agit de redéfinir l’ensemble des règles qui concourent à l’expression du pouvoir législatif ?

Emmanuel Macron n’est pas le premier à avoir annoncé une réforme du mode de scrutin lors de la campagne de son élection. François Hollande, lui aussi, avait promis aux députés une part de proportionnelle. Nicolas Sarkozy, à sa façon, l’avait envisagée. L’un comme l’autre, pour des raisons différentes, y avaient finalement renoncé, étant entendu que cette réforme ne pouvait être qu’à effet différé dès lors qu’il était impossible de la mettre en œuvre au tout début du quinquennat. C’est là une difficulté qu’Emmanuel Macron a rencontré à son tour. La nouveauté, avec lui, est que plutôt que d’attendre avant de renoncer, il avertit avant d’accélérer et, éventuellement, de trancher dans le vif.

Tout député sous le Cinquième République, surtout quand il appartient à la majorité, vit sous la menace d’une dissolution. C’est ce qui, généralement, l’incite à une discipline minimale, même quand il est frondeur, et en tous cas, le retient de faire tomber le gouvernement en votant contre lui une motion de censure. Lors de la législature qui s’ouvrira en juin, chaque député, qu’il soit ou non macronien, devra aussi comprendre que le risque d’un retour prématuré devant les électeurs est désormais décuplé. Car une fois votée la réforme électorale, ce sont tous ses repères qui seront subitement bousculés non pas tant par la proportionnelle que par la réduction des effectifs parlementaires.

Un tiers de députés en moins, ce sont en effet 200 circonscriptions qui disparaissent illico. Ce sont aussi les 400 restantes qu’il faut nécessairement redécouper. Ce sont donc, au bout du compte, des députés sortants largement dépendants des choix du gouvernement et des appareils politiques que celui-ci contrôle. «On sait quelle est la nature humaine», a glissé Emmanuel Macron lorsqu’il a détaillé son projet de réforme devant Médiapart. Qu’en termes choisis, tout cela a-t-il été dit… On verra bien, dans les prochaines semaines, quelles seront les bases exactes du pouvoir qui s’est installé à l’Élysée, le 7 mai. Pour ceux qui en doutaient encore, il est désormais clair que l’objectif assumé du successeur de François Hollande est d’agir à l’inverse de ce qui a été fait entre 2012 et 2017. Ses marcheurs seront ses obligés.

La première version de cet article a été publiée le 12 mai 2017 sur Challenges.fr