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Marine Le Pen est-elle la vraie fille de Georges Marchais ?

Marine Le Pen est-elle la vraie fille de Georges Marchais ?

Lorsqu’il était encore secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon racontait volontiers avoir sorti un jour un tract de sa poche pour le lire devant le Bureau confédéral de son organisation. Après avoir laissé chacun, autour de la table, en louer la pugnacité et l’efficacité, il avait alors révélé à ses camarades, un brin estomaqué, que ce texte, alors distribué aux portes des usines, était signé par…le Front national. A sa manière, François Hollande dit aujourd’hui tout haut que Thierry Lepton racontait, hier, tout bas et on peut même faite l’hypothèse que cette anecdote n’est pas arrivée jusqu’à l’Élysée par la simple opération du Saint-Esprit.

Certes, le président de la République change les dates et modifie la cible. Quand il parle de tracts, il évoque ceux du PC, il y a de ça une quarantaine d’années. Mais au fond, le constat est à peu près le même, à ceci près que l’époque ne l’est pas. Avec Marine Le Pen, le FN a changé de discours. C’est une certaine tradition de gauche que ce parti explore désormais sans complexes, avec l’espoir d’attirer encore davantage des classes populaires essorées par la crise et déboussolées par une mondialisation sans limite. L’extrême-droite, en France et ailleurs, est coutumière du fait. Est-il donc nécessaire de pousser des cris d’orfraies lorsque François Hollande se risque à souligner cette supercherie, quitte à montrer au passage tout ce qu’elle révèle de démagogie partagée ?

Pour prendre la juste mesure des propos présidentiel, dimanche, sur Canal +, encore faut-il toutefois les citer dans leur intégralité. Le président de la République n’a pas simplement dit que Marine Le Pen parlait «comme un tract du PC des années soixante-dix». Il a ajouté aussitôt  : «sauf que celui-ci ne demandait pas qu’on chasse les étrangers et les pauvres». La nuance est de taille. Les dirigeants communistes, en choeur, ont préféré l’oublier dans un numéro d’indignation de la plus belle eau où ils ont entraîné jusqu’aux anciens ministres de François Mitterrand. Les voilà même qui demandent à François Hollande des excuses publiques. Comme si c’était son genre…

Dans cette polémiques inattendue, il est difficile de croire que ce dernier ait cédé à l’improvisation. Il savait à l’avance qu’il serait interrogé sur la poussée du Front et sur l’écho que rencontrent ses thèses dans un électorat hier acquis à la gauche. En revanche, il est possible que François Hollande, comme tant d’autres avant lui, n’ait pas mesuré que lorsqu’on lâche une formule-choc, rien ne sert d’essayer d’en atténuer l’impact, fut-ce dans la même phrase. Le système médiatique est ainsi fait qu’il concentre à l’envie. Il adore les raccourcis.

De Michel Rocard à Lionel Jospin, de «la misère du monde» à «l’État (qui) ne peut pas tout», c’est toujours la même histoire. La presse oublie souvent de citer la suite comme pour mieux monter en sauce ce qui, a priori, ne le mérite guère. En tous cas, ce n’est pas François Hollande qui devrait s’en étonner depuis qu’à longueur de colonnes, on écrit qu’au Bourget, début 2012, il a fait de la finance, son ennemie alors qu’il suffit de se reporter au texte de son discours pour constater qu’il ne parlait ce jour-là que du «monde de la finance». Ce qui, on l’avouera, n’est pas tout à fait la même chose.

Au delà des habiletés de langage ou de l’innocence du propos, reste quand même, dans la bouche de François Hollande, la mise en valeur d’une analogie entre la ligne actuelle du FN et celle du PC de feu Georges Marchais, au moins sur le plan économique et social. La seule question qui vaille est donc à double détente. Cette comparaison est-elle justifiée et si, oui, en quoi ? Quelle utilité peut-elle bien avoir dans le combat politique de 2015 ?

D’un simple point de vue historique, le président de la République dit vrai mais de manière approximative. Durant les années soixante-dix, en effet, le PC a évolué. Unitaire au départ, il fut à la fin de cette période l’un des plus féroce adversaire de François Mitterrand. François Hollande le sait mieux que quiconque, lui qui assista, lorsqu’il était encore lycéen, au meeting monstre de la porte de Versailles en décembre 1972, quelques mois après la signature du Programme commun entre le PC, le PS et les radicaux de gauche. Mais en même temps, il faut avoir le culot de Pierre Laurent, pourtant fils d’un ancien dirigeant communiste, pour dire que son parti fut l’un des principaux artisans de la victoire de 1981.

Entre ces deux dates, sous la houlette de Georges Marchais, le PC a cherché à briser à tout prix les ressorts de l’union qu’il avait lui-même installés. Pour cela, il a instruit avec une rare constance le procès de François Mitterrand, doublement accusé d’infidélité et de dérive idéologique. C’est dans ce contexte qu’il a progressivement durci son projet. En proposant, tout d’abord, une lecture de plus en plus extensive de la liste des nationalisations prévues par le Programme commun. Puis en chargeant la barque, tant en matière fiscale que sociale. Du même coup, il a donné à son discours un tour de plus en plus nationaliste en plaidant pour une politique fermement neutraliste, en s’opposant à toute nouvelle avancée de la construction européenne et en magnifiant, surtout, un savoir-faire français trop souvent battu en brèche par les forces apatrides du «grand capital».

Aujourd’hui, Marine Le Pen ne se bat pas sur le front des nationalisations. Mais, comme d’autres – Arnaud Montebourg, par exemple – elle reprend à son compte un slogan – «produire Français» – que Georges Marchais avait été le premier à installer dans le débat public, au grand dam des commentateurs et des dirigeants socialistes de l’époque, Jean-Pierre Chevènement excepté. Plutôt que de comparer les tracts, François Hollande aurait donc mieux fait de souligner, entre le FN et le PC d’hier, une communauté de projet dans un mixte de surenchère sociale, de repli identitaire et d’aspirations égalitaires. Les uns nourrissant les autres, en inversement.

Quand il exonère le parti de Georges Marchais de toute tentation xénophobe, le président se montre enfin bien plus charitable à son égard qu’on a bien voulu le dire ici ou là. Entre les bulldozers de Vitry lancés contre des foyers d’immigrés et les entreprises de délations contre des étrangers accusés de trafic de drogue, à Montigny-les-Cormeilles, le PC de la fins des années soixante-dix a parfois dérapé. Les anciens ministres de François Mitterrand qui protestent aujourd’hui, le savent mieux que quiconque, eux qui ne cachaient pas, à l’époque, les hauts-le-cœur que leur donnaient les excès d’une politique bénie par la place du colonel Fabien et mise en musique par la jeune garde de Georges Marchais, Robert Hue en tête. Mais c’est une autre histoire…

Tous ces épisodes dans la grande saga des relations entre socialistes et communistes ne sont pas des détails de l’histoire de la gauche. On peut toutefois s’étonner que François Hollande soudain les rappellent ou les suggèrent a-minima, au moment même où, dans la perspective du rendez-vous de 2017, il tente de rassembler, sous son drapeau, l’ensemble des composantes de son camp. L’hypothèse la plus probable est que dans cette opération, le futur candidat à la présidentielle s’est moins préoccupé du PC et de ses éventuelles indignations que du FN et de ses possibles marges de progression.

François Hollande, en fait, parle comme Nicolas Sarkozy mais il ne s’adresse pas au même public. Le patron de l’UMP lorsqu’il met en garde ses électeurs contre la tentation frontiste qui pourrait les saisir, leur rappelle à longueur de discours que Marine Le Pen a le programme – horresco referens – d’un dirigeant d’extrême-gauche. L’actuel président, lui, recadre des troupes en leur rappelant, par analogie, que «tenir bon», comme disait François Mitterrand, ce n’est pas céder aux pressions de l’adversaire, quand bien même celui-ci utiliserait des mots et des références qui continuent à parler au cœur d’une fraction de l’électorat populaire. Son objectif, au fond, est de délégitimer le FN comme parti de gouvernement. Pour cela, il le renvoie à ce que fut le destin du grand parti de la protestation sociale, durant l’après guerre.

Derrière la comparaison des tracts, il y a l’idée qu’un jour, immanquablement, une forme de démagogie ne peut que se heurter au mur de la réalité. Au cours des années soixante-dix, le PC, à force de dériver, n’a-t-il pas été abandonné par son électorat le plus traditionnel ? Ce n’est pas, en tous cas, son discours prétendument social qui lui a évité une forme de marginalisation. François Hollande le rappelle d’autant plus volontiers qu’il estime que le point faible du FN est précisément de ne pas être jugé encore capable d’exercer demain le pouvoir. Dans son esprit, c’est même la véritable nature de ce plafond de verre qui bride les ambitions de Marine Le Pen et peut encore l’empêcher de réaliser, dans deux ans, le hold-up qu’elle imagine.

En comparant le PC des années soixante-dix et le FN d’aujourd’hui, François Hollande évite, bien sûr, de s’interroger sur les raisons profondes qui ont conduit une partie de son électorat à l’abandonner sans guère d’espoir de retour, à court terme. Mais ce qu’il suggère, faute de mieux, entre les lignes, est que Marine Le Pen, comme autrefois Georges Marchais, ne sert à rien dès lors qu’il ne s’agit plus de protester mais de gouverner. Le retournement qu’il dessine, par touches successives, est celui qu’il mettra immanquablement au cœur de sa prochaine campagne en 2017. Résistance aux thèses de l’extrême droite, cela va de soit. Résistance à ceux qui, tel Nicolas Sarkozy, empruntent au FN l’essentiel de son discours xénophobe, à l’évidence. Mais aussi résistance à ces forces politiques, dont le FN est la nouvelle incarnation, et qui, jamais, ne peuvent être celles du vrai changement, faute d’alliés et surtout de crédibilité dans l’exercice des responsabilités.

Sans doute a-t-on connu, dans l’Histoire, argumentaire plus sophistiqué. Celui-là, dans le contexte, à l’avantage d’être terriblement rustique. Il est d’un terre à terre absolu en ce sens qu’il fait appel au seul intérêt personnel de ceux auquel il s’adresse et qui aspirent encore à un changement tangible. Son hollandisme est chimiquement pur.