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Mélenchon dans l’impasse

Mélenchon dans l’impasse

Le Parti de gauche tient son congrès, ce week-end, à Villejuif, dans le Val de Marne. Le choix de cette ville est tout un symbole. Feu Gorges Marchais en fut longtemps le député. Ce fief communiste a basculé à droite, l’année dernière, au terme d’une campagne dont Alain Lipietz, vieux routier de l’extrême gauche passé à l’écologie, fut l’un des principaux artificiers. Difficile de trouver mieux pour illustrer les affres d’une gauche radicale qui ne parvient pas à échapper à son passé et dont le présent reste l’histoire d’une division renouvelée dans sa forme mais immuable dans sa nature profonde. Au moment même où les succès municipaux de Podemos et les combat de de Syriza rebattent les cartes, sur la scène européenne, Mélenchon et ses camarades disent vouloir ouvrir, à leur manière, sur le sol français, une nouvelle «ère des peuples». Il réécrivent plutôt celle des groupuscules.

Le Parti de gauche dit compter 10.000 adhérents. Seul un quart d’entre eux se sont déplacés pour départager les deux motions qui étaient soumis à leur suffrage et qui portaient pour l’essentiel sur l’Europe. En sortir ou non ? Le texte de la majorité sortante qui plaidait pour une réorientation de l’Union a obtenu une courte majorité (55%). Il n’était peut-être pas nécessaire que les porte-paroles du PG moquent aussi bruyamment le dernier congrès socialiste, à Poitiers, pour reproduire, en pis, un pareil spectacle.

On parle souvent souvent de la crise de la sociale-démocratie. Elle est réelle et profonde. Le parti «solférinien», comme dit Mélenchon, est une formation nécrosée qui survivra difficilement à l’éventuelle défaite de son champion en 2017. Mais que dire de la gauche radicale ! Le PG tourne en rond autour de son nombril. Les Verts sont au bord de la scission. Le NPA a disparu des radars et ses vieux leaders – Krivine et Sabado – sont en guerre ouverte. Lutte ouvrière, dans son coin, persiste dans sa nature sectaire. Le PC en est réduit à jeter ses dernière forces, derrière son secrétaire national, dans la bataille régionale de l’Île de France avec pour seul objectif de franchir la barre des… 5%. Sur ce champ dévasté, pullulent, enfin, les petites personnalités dont Clémentine Autain est l’expression la plus achevée et dont les interventions, au nom de l’unité nécessaire, ne font rajouter de la confusion dans un débat qui l’est déjà à l’extrême.

Quant au mouvement que l’on dit social, censé bousculer les lignes, il est aujourd’hui au point mort. La CGT ne parvient pas à surmonter les luttes de clans qui l’ont conduit au bord du gouffre. Sud n’est plus que l’ombre de lui-même. La FSU coule. Seul les plus anciens se souviennent qu’Attac, il y a de cela dix ans, tenaient le haut du pavé. Le mouvement associatif survit de plus en plus difficilement, faute des subventions qui lui tenaient hier la tête hors de l’eau. La presse radicale n’est guère plus prospère que celle qui ne l’est pas. Médiapart, sous la rude férule d’Edwy Plenel, est désormais le dernier cercle où cette famille élargie peut encore communier. C’est tout dire…

Cette décomposition des structures de la gauche radicale pourrait être sa chance. Elle ne l’est pas pour une double raison. La première tient à son mode d’organisation. Plus ce mouvement est faible et plus les formations qui l’incarne sont raides. Les groupuscules – ce n’est pas nouveau – tiennent d’autant plus à leur indépendance que sont minces leurs chances de survie. Le changement auquel elles disent aspirer ne vaut pas pour ceux qui les dirigent. Ceux-ci vivent en vase clôt dans des jeux d’appareils aussi abscons que stériles. Pis, ils sont tous atteints, en France, par le virus de la présidentialisation. La question de leur unité est entièrement liée, aujourd’hui, à celle des échéances de 2017 et on devine aisément que, passé ce cap, le rendez-vous suivant de 2022 viendra encombrer leurs stratégies rivales.

Mélenchon, de ce point de vue là, est archétypal. Plus unitaire de lui, il n’y a pas. Mais à condition de ce soit derrière son drapeau rouge. Au delà des apparences, le congrès de Villejuif n’est pas fait pour examiner les conditions du rassemblement mais pour mettre en place les conditions organisationnelles d’une nouvelle candidature du fondateur du Front de gauche. Cette opération ne pourrait réussir que si elle prenait appui sur une impulsion venue d’en bas qui soit suffisamment puissante pour faire taire les intérêts boutiquiers des uns et des autres. Or on voit bien que celui-ci n’existe pas.

La gauche radicale est en cela à l’image des grands partis traditionnels de la vie politique française. Elle survit vaille que vaille et bloque du même coup un renouvellement que l’opinion souhaite sans jamais trouver les formes de sa réalisation. S’ajoute à cela le fait que la gestion de la crise par les gouvernements qui se succèdent depuis dix ans n’a pas la brutalité qu’on a pu observer en Espagne ou en Grèce. La «pasokisation» de la gauche sociale-démocrate – mélange d’impuissance et de corruption – n’est pas encore à l’ordre du jour, en France et on peut d’ailleurs noter, au regard des dernières élections municipales, qu’elle reste très relative outre-Pyrénées. Enfin, la présence d’un FN en pleine expansion complique singulièrement l’émergence d’une force radicale, à gauche, dès lors que dans un système tripolaire, seul le large rassemblement de toutes les forces progressistes permet d’éviter un de ses désastres dont nul ne peut espérer sortir la tête haute.

Là est l’équation insoluble de Villejuif. Celle-ci conduit tout droit à l’examen du cas Mélenchon. Le leader du Parti de gauche est sans conteste le plus fin et le plus rigoureux des animateurs de la gauche radicale. Il a su montrer la bonne voie, avec un succès relatif mais réel, lors de la présidentielle de 2012. On comprend aisément qu’il veuille renouveler cette expérience en 2017. Il en a le talent et les ressources potentielles. De son point de vue, il a raison de pointer le caractère délétère des stratégies électorales à géométrie variable voulues par ses prétendues alliées lors des élections municipales et départementales et qui sont de nouveau à l’ordre du jour des prochaines régionales. Quant il confie par exemple que l’opportunisme de Cécile Duflot ou de Pierre Laurent lui est encore plus insupportable que celui des hiérarques de Solférino, Mélenchon ne joue pas. Et c’est bien là la problème.

Plus on s’approche du cœur de la gauche radicale et plus sont violentes les critiques portées contre lui. C’est le paradoxe de Mélenchon. Les alliés qu’il recherche sont ses pires adversaires. Rien ne peut se faire sans lui, rien ne peu se construire avec lui. Question de caractère ? L’explication est un peu courte. Le style du président du Parti de gauche est d’abord une construction. Celle-ci répond à son tempérament mais elle découle aussi d’une analyse politique serrée. Pour débloquer un système partisan dans lequel il ne peut être qu’un comparse impuissant, Mélenchon est le seul qui, dans sa famille de pensée, ait compris que le populisme n’était pas un danger mais une arme.

Or on a jamais vu un responsable politique manier cette arme dans le respect des élégances. Lorsqu’il recherche des modèles, Mélenchon regarde autant vers Podemos ou même Syriza, que vers l’Amérique latine de feu Chavez ou vers l’Italie de Pépé Grillo. «Le bruit et la fureur» n’était pas, chez lui, qu’une vaine formule. Le problème de ce positionnement n’est pas qu’il hérisse les commentateurs de tous poils. Après tout, c’est même l’objectif recherché. Mais quand il bouscule, quand il provoque, lorsqu’il brise une à une les règles de la bienséance, Mélenchon est dans un rôle qu’il assume alors qu’il le place illico dans une situation intenable vis à vie de ses partenaires qu’il traite en fait aussi bas que ses adversaires tout en leur enjoignant de suivre, derrière lui, le chemin de l’unité retrouvée.

Ce double langage, inhérent à sa stratégie, renvoie au double visage d’un homme qui ne parvient pas à rompre avec son passé alors qu’il cherche à renouveler toutes les traditions de son courant de pensée. C’est le même qui dans ses discours et ses écrit reproduit les mises en scène classiques du mouvement ouvrier, dans sa version communiste et qui explore des techniques de show-man censées attirer l’attention d’une fraction de l’opinion en rupture avec ce que la politique peut avoir de plus désuet. Le risque, pour lui – celui qui se vérifie chaque jour – est de devenir, à ce jeu, un acteur isolé, trop étranger à une réalité parfois désolante mais ô combien prégnante, jusqu’à n’être plus demain que le bouffon d’un système qui se meurt et le tolère, précisément, parce qu’il accompagne son agonie. Villejuif, en ce sens, se présente comme une veillée d’armes. Mais ce n’est sans doute qu’un spectacle de plus.