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Montebourg, en bloc et en détail

Montebourg, en bloc et en détail

Avant de s’envoler pour les États-Unis et, plus précisément, pour Princeton où il doit donner une série de cours à la fin février, Arnaud Montebourg s’est rappelé au bon souvenir de ses camarades en déposant sur la table accueillante de Mediapart, quatre documents d’un grand intérêt. A l’heure où les responsables du PS déposent leurs «contributions» pour le congrès de Poitiers, en juin prochain, l’ancien ministre du Redressement productif offre ces notes à la fois comme un témoignage et une preuve. Entre septembre 2012 et mars 2014, elles ont toutes été adressées à François Hollande. Elles avaient alors un caractère confidentiel. Elles étaient destinées à convaincre le président qu’une autre politique économique était possible qui soit à la fois plus efficace, plus juste et plus respectueuse de l’intérêt national, au regard des valeurs de la gauche. Aujourd’hui que ces notes sont rendues publiques, on découvre qu’elles venaient acter des désaccords persistants dont Arnaud Montebourg entendait laisser la trace dans les archives de l’État. La méthode est classique. Elle n’a rien de choquante. Elle en dit, en tous cas, davantage que les livres vite écrits et vite lus que d’anciennes ministres, telles Cécile Duflot ou Delphine Batho, se sont autorisées, à peine revenues à la vie civile.

Six mois après sa démission forcée, Montebourg veut montrer à ceux qui doutent encore de sa cohérence et de son sang froid qu’il n’était pas qu’un cheval fou, tout juste bon à ruer dans les brancards de la République. Ces quatre notes sont charpentées, construites et cohérentes. Elles dessinent une ligne plus pragmatique qu’on a bien voulu le dire, à chaud. Elles montrent, au passage, que le style flamboyant et provocateur que l’ancien ministre aime adopter dans le débat public n’exprime qu’une facette de sa personnalité. Les livraisons de Mediapart participent d’un essai de rectification d’image. Avant d’entamer une nouvelle étape de sa vie professionnelle, Montebourg adresse un triple message à ceux qui s’intéressent encore à sa carrière. 1/ je suis un pragmatique ; 2/ j’aurai tout essayé ; 3/ mon départ était sans doute programmé mais il reposait sur des bases politiques sérieuses et constantes. Dans le procès qui lui est fait de manière récurrente, l’ancien ministre du Redressement productif retrouve sa robe d’avocat. Il plaide la bonne foi en expliquant – preuves à l’appui – que s’il est resté si longtemps, ce n’est pas par simple goût du pouvoir et que s’il est parti si brutalement, ce n’est pas simplement par manque de maîtrise.

A travers ce procès, en apparaît toutefois un autre qui est celui de François Hollande et dans lequel Arnaud Montebourg joue, cette fois-ci, le rôle de procureur. L’acte d’accusation repose sur les mêmes pièces. Les quatre notes publiées par Mediapart qui servent à disculper le ministre peuvent être retournées contre celui auxquelles elles étaient initialement destinées. Si Montebourg a bien été l’homme fidèle et cohérent qu’il prétend, n’est-ce pas la preuve que le président fut l’exact contraire? On retrouve là un discours qui court depuis le jour où Hollande est entré à l’Élysée en mai 2012. Avec lui, la trahison aurait été immédiate. Sa brutalité aurait été d’autant rapide qu’elle fut constante et sans complexe.

Si on lit de près les quatre notes de Montebourg et si on les met surtout en parallèle avec la politique suivie par le chef de l’État, on s’aperçoit pourtant que l’affaire est plus complexe que ne veulent bien le dire ses habituels accusateurs et notamment ceux qui, à gauche, pointent la longue liste de ses renoncements. Comme si, face aux éternels frondeurs et autres partisans de la révolution permanente, il n’y avait qu’une engeance dont Hollande serait la dernière incarnation en date : celle de la trahison permanente.

Le cœur de la dispute entre le président et son ministre apparaît dès septembre 2012. Elle ne porte pas sur un détail. Elle renvoie à un débat qui avait d’ailleurs surgi au grand jour dès les primaires socialistes de l’année précédente. Pour que le changement promis devienne le changement réel, fallait-il ou non se redonner des marges budgétaires en remettant en cause la politique de réduction des déficits publics ? Montebourg a toujours contesté cet objectif. Hollande ne l’a jamais récusé. Mieux, il l’a repris à son compte dès son entrée dans la compétition interne du PS. De ce point de vue, il n’a jamais biaisé. Son engagement constant a été de ramener le déficit à 3% du PIB, dès la fin 2013, et de le réduire à rien, avant la fin de son quinquennat. Martine Aubry, sa principale concurrente lors de la primaire, avait d’ailleurs fini par admettre qu’elle ne pensait pas autrement. Sauf que pour elle, cet objectif ambitieux ne méritait pas qu’on le célèbre à ce point puisque ce n’était rien moins qu’une contrainte liée aux engagements de la France dans des traités signés de longue date avec nos partenaires européens.

Comme candidat à l’investiture socialiste, Montebourg était en droit de contester politiquement cet objectif. Il ne s’en est d’ailleurs pas privé. Le problème est qu’il n’a pas suffisamment su convaincre. A partir du moment où il n’était pas été qualifié pour la finale de la primaire, il avait le choix entre l’abstention ou le ralliement. Il a d’abord expliqué qu’entre Hollande et Aubry, il n’y avait que des différences de «tempéraments» qui le laissaient indifférent. Puis, il s’est laissé convaincre, après avoir fait mine d’interroger les deux impétrants, qu’en abandonnant ainsi la partie, il se condamnait à l’impuissance et à la marginalité. C’est dans ces conditions que Montebourg a rejoint le courant le plus porteur, celui dont la victoire lui semblait le plus probable. Ce choix, plus stratégique que vraiment politique, l’a conduit à appeler à voter pour Hollande «à titre personnel». Puis à s’auto-désigner comme «l’allié de référence» du futur président.

Les quatre notes, écrites entre septembre 2012 et mars 2014, sont l’expression achevée de ce statut très particulier que Montebourg s’est octroyé et que Hollande, comme d’habitude, n’a ni confirmé, ni jamais contesté. Dans ce curieux mariage, il n’y a eu ni notaire, ni contrat. La récompense de tout cela fut un beau portefeuille octroyé au soir de la victoire du 6 mai. C’est alors que l’ambiguïté de cette alliance de la carpe et du lapin est apparue au grand jour. La carpe – mais n’est-ce pas sa nature ? -n’avait pas dit grand chose de précis dans sa campagne. Mais comment l’accuser de trahir dès lors que son seul engagement structurant, devant les Français, était le respect du fameux 3% et qu’à aucun moment, Montebourg n’avait su obtenir le moindre propos, la moindre déclaration, qui laisse entendre qu’on pourrait prendre quelques libertés avec les traités et Bruxelles?

Quand on lit la première note de Montebourg, celle qui annonce toute la suite, on voit bien combien sont faibles ses marges de manœuvre. L’autre politique proposée par le ministre du Redressement productif se présente comme une inflexion et non comme un virage à 180 degrés. Elle repose sur un raisonnement que partage d’ailleurs le président selon lequel rien ne sera possible sans un retour de croissance. Montebourg, avec des propositions affinées, suggère ainsi, que pour réduire, à terme les déficits, il est absurde de mener une politique aux effets si manifestement «récessifs». Sa ligne, on le voit, n’est donc pas d’attaquer frontalement un engagement clé du programme présidentiel, mais d’expliquer qu’il peut être lissé et surtout que pour le respecter, il est sans doute plus intelligent de suivre un autre chemin que celui de la rigueur budgétaire à tous crins, mise en œuvre par Jérôme Cahuzac, sur fond de ponction fiscale.

Le plus curieux dans ce débat qui va durer deux ans et s’achever par une démission forcée est qu’il repose moins sur des principes opposés que sur une ambiguïté partagée qui découle du statut de ses deux principaux acteurs. Hollande est le président et la réduction des déficits publics est l’engagement central de son mandat, celui qui, en pratique, a des conséquences bien plus tangible que la désignation comme «ennemi» du fameux «monde de la finance». De son côté, Montebourg n’est que ministre. Dans ce rôle, il estime que la réduction rapide des déficits public contrevient à la mission qui lui a été confiée dès lors que celle-ci passe par la croissance et le réarmement industriel du pays. Du coup, la bataille se joue à fronts renversés. L’un dit vouloir tenir ses promesses. L’autre voudrait plus de souplesse. Dans ces moments où se joue le destin du quinquennat hollandais, le plus raide des deux n’est pas celui qu’on pense!

En pratique, la suite montrera que les deux hommes n’étaient pas aussi éloignés qu’on a bien voulu le dire après coup. C’est d’ailleurs ce qui explique que leur collaboration ait duré si longtemps au regard de l’ampleur de leurs désaccords affichés, dans une de ces mises en scène dont la politique a le secret. Montebourg n’est pas laxiste. La politique qu’il prône n’est pas celle de la facilité. Il ne demande pas qu’on lâche les vannes du déficit. Il propose une stratégie de tension avec l’Allemagne. S’il combat la finance, c’est pour défendre l’industrie, ce qui passe par des alliances avec une partie de patronat. De son côté, Hollande n’est pas un boucher. S’il plaide pour la rigueur, il ne pratique pas l’austérité. Le meilleure preuve est qu’il ruse avec Bruxelles. Pas un jour ne passe sans qu’il réaffirme ses engagements. Pas un seul ne passe aussi sans qu’il les contourne. Même quand il obtient des délais, il ne tient pas ses promesses. Le rapport Gallois et le pacte de compétitivité d’un côté, la diplomatie bruxelloise menée depuis Bercy par Pierre Moscovici, de l’autre, constituent les deux facettes d’une synthèse a minima que, dès septembre 2012, la note de Montebourg laissait entrevoir, loin des clichés relayés par la presse de l’époque, loin aussi des mauvais procès qui perdurent.

Au fil des notes publiées par Mediapart, on voit bien cependant que la pérennité de la synthèse espérée supposait qu’une porte ses fruits tant sur le plan économique que politique. A partir du moment où il devenait clair que la croissance n’était pas au rendez-vous et que le décrochage électoral, lui, était avéré, la question de l’inflexion de la ligne gouvernementale s’est posée inévitablement. Les chemins de Hollande et Montebourg ont commencé à se séparer début 2014 quand le président s’est rallié définitivement à cette politique de l’offre, esquissée par Gallois, qui répondait aux attentes de Bruxelles en matière de réformes structurelles. Or celle-ci n’avait de sens, pour le ministre du Redressement productif, que si l’on desserrait, ouvertement cette fois, l’étau budgétaire, loin de ces demi-mesures dont, jusque là, s’était satisfait Bercy.

Dans cette histoire de deux ans, on comprend désormais mieux la stratégie et la psychologie des acteurs. L’épisode final reste toutefois à écrire. La dernière note publiée par Mediapart date de mars 2014, juste avant le désastre des municipales qu’elle prévoit et qu’elle éclaire sans fard. Or c’est la suite qui manque et que Montebourg n’a pas encore voulu révéler. Au printemps de l’année dernière, le quinquennat a changé de visage avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon. Dans le même temps, Montebourg est devenu le grand maître de Bercy. En élargissant son portefeuille, il a aussi modifié son statut et il n’a d’ailleurs pas tardé à expliquer que son référent n’était plus le même qu’autrefois. Après Hollande, Valls, celui-là même à qui il conseillait fin 2011 d’adhérer à l’UMP! Avec cette absence de complexes qui le caractérise quand il s’installe autour du tapis vert de la politique, Montebourg a claironné qu’après avoir fait un président, il venait de faire un Premier ministre et que sa nouvelle alliance ne concernait plus que celui-ci. Y-a-t-il eu des échanges de notes avec Valls avant et après qu’il s’installe à Matignon? Ce contrat-là a-t-il été signé, en bonne en due forme avant qu’il n’entre en vigueur ? Quel en étaient la philosophie et le contenu? Qui a manqué à sa parole ? Dans les archives de Montebourg, il doit sans doute y avoir la réponse à toutes ces questions. Comme on dit à Mediapart, on les attend maintenant en bloc et en détail.